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Chapitre 7. Distribution des Carabides à l'échelle locale

II.7.5. Structure des données

II.7.5.3 Groupement

On a choisi de mettre en oeuvre la méthode de classification par réallocation k-means pour établir des groupes entre les relevés. Avec les groupements agglomératifs, la structure très diversifiée révélée par les méthodes d'ordination pourrait conduire à des relations de hiérarchie éloignées de la réalité. Toutefois, les groupes isolés par les deux approches sont très concordants. La méthode k-means est appliquée aux coordonnées des cycles annuels de piégeage sur les 20 premiers axes d'une analyse en coordonnées principales réalisée sur la matrice de similarité établie à partir de l'indice de KULCZYNSKI. Cet indice a été choisi parce qu'il tient compte des différences d'abondance mais est moins sensible que l'indice de STEINHAUS au nombre total d'individus des deux échantillons comparés.

La Figure II.39 présente les résultats des partitions jusqu'à 9 groupes. La première étape oppose toutes les pelouses calcicoles, les pelouses calaminaires, les landes minérales et sablonneuses (groupe A) aux tourbières hautes, aux cuvettes de palses, aux prairies

alluviales et aux bas-marais (groupe I). A l'étape suivante, le groupe des habitats secs se sépare d'une série de stations moins xériques que les pelouses calcicoles, les pelouses calaminaires, les landes sablonneuses sèches et les landes minérales rocailleuses. Le nouveau groupe formé, symbolisé par la lettre F à k = 3 groupes, se séparera par la suite en deux éléments, l'un principalement composé de landes sablonneuses humides et de landes tourbeuses, l'autre (appelé G à k= 5), est plus hétérogène. Il rassemble notamment les stations de l'Étang des Éplattis (46), les stations sèches de Luchy (69), les murailles de palses de la Grande Fange (stations 49 et 51), la lande herbeuse du camp militaire d'Elsenborn (station 79) et la prairie alluviale de la vallée de la Holzwarche (station 55). Pour k = 4 groupes, l'originalité des pelouses calcicoles est confirmée par leur isolement. Ensuite, c'est la formation du groupe G qui a déjà été évoqué. La cinquième subdivision (k = 6) oppose les pelouses calaminaires et certaines landes minérales aux landes sablonneuses sèches. Pour k = 7, c'est enfin le groupe des stations humides qui se sépare en deux éléments. Le premier rassemble les bords d'étangs, les bas-marais et les prairies alluviales; le second est composé des cuvettes de palses, des tourbières hautes, de certaines landes tourbeuses. Une des cuvettes de palses (station 29) ne fait pas partie de ce dernier groupe. Les étapes suivantes isolent respectivement les pelouses calaminaires (k = 8) et les pelouses calcicoles de la Montagne St-Pierre (k = 9).

II.7.5.4. Discussion

Ce travail est l'une des rares analyses à large échelle des choix d'habitat des Carabides. Des travaux comparables sont ceux de DEN BOER (1977) et de EYRE & LUFF

(1990). DEN BOER (1977) s'est toutefois limité à l'établissement de larges catégories d'habitat sur base de son expérience pour déterminer les choix d'habitats. EYRE & LUFF

(1990) ont analysé 638 cycles de piégeage dans des habitats ouverts en Europe disponibles dans la littérature, mais avec plus de 50 % des sites en Grande-Bretagne. La surimposition de facteurs biogéographiques aux facteurs écologiques complique cependant l'interprétation des résultats. On notera aussi les travaux de BUTTERFIELD & COULSON

(1983) et de GARDNER (1991) qui ont étudié la distribution des Carabides dans les landes.

L'ensemble des données obtenues dans le cadre de ce travail est très riche en informations sur l'écologie des espèces de Carabides et les facteurs écologiques qui structurent les assemblages d'espèces. Bien que la matrice de données soit composée de 91.2 % de zéros, l'arrangement des présences exprime des choix d'habitats très particuliers. Plus de la moitié de cette information est conservée si les 145 cycles sont répartis en seulement 10 groupes basés sur la classification physionomique des habitats établie a priori.

Le groupement produit une classification qui synthétise de nombreuses observations indiquées par les ordinations à différents niveaux d'intégration de la structure d'échantillonnage. Les groupes de stations obtenus sont assez semblables à ceux définis a

priori. La Figure II.40 présente l'évolution de l'information apportée par la nouvelle

classification des cycles annuels de piégeage, en se basant sur la partition de l'exponentielle de l'indice de SHANNON-WIENER (méthode de ALATALO & ALATALO (1977), déjà évoquée dans la section II.7.5.1 concernant la diversité β). La courbe évolue rapidement jusqu'à un plateau atteint vers 65 %. La neuvième partition provoque même une légère diminution de l'information expliquée traduisant un plus grand chevauchement des espèces que celui obtenu pour 8 groupes. Ces valeurs sont légèrement supérieures à celles obtenues avec la classification physionomique, définie a priori lors de l'établissement de la structure de l'échantillonnage.

Le facteur écologique majeur est le degré d'humidité du substrat; c'est ce facteur qui explique la répartition des espèces entre les différents habitats, mais aussi au sein des classes d'habitats établies a priori, comme c'est le cas des landes sablonneuses et des landes tourbeuses. Même pour des tapis flottants comme ceux qui occupent les cuvettes de palses, la présence de plages d'eau libre provoque un changement du spectre de dominance des espèces, au profit de Pterostichus minor et de P. rhaeticus. Ce sont encore des différences parmi les caractéristiques hydriques du substrat qui expliquent l'opposition entre les landes sur sol minéral rocailleux et non rocailleux. Ce facteur écologique est aussi celui que DESENDER et al. (1984), LUFF et al. (1989), EYRE & LUFF (1990) reconnaissent comme première structure de leur jeu de données composé d'échantillonnages d'habitats ouverts.

Ce facteur écologique est le seul véritable gradient de l'ensemble de données. Les autres structures tendent à isoler des groupes de stations ou à opposer seulement deux groupes de stations.

L'assemblage des espèces des pelouses calcicoles a très peu de points communs avec les autres assemblages d'habitats secs. Soit il s'isole, soit il s'oppose à ceux des pelouses calaminaires et des landes sablonneuses. Toutefois, l'ordination et le groupement des pelouses calcicoles indiquent que ce groupe n'est pas homogène. Les pelouses de Ranzinelle, des Fonds de Leffe, des Préales s'opposent à celles de Torgny et de la Montagne St-Pierre. Si elle ne correspond pas exactement à la subdivision phytosociologique des Xerobrometum et Mesobrometum, il exprime la même information que celle obtenue sur base de la végétation (voir la Figure II.13).

La singularité de l'assemblage des espèces des pelouses calaminaires est étonnante. L'analyse confirme les observations préliminaires de DUFRÊNE (1990) : les pelouses calaminaires sont des habitats riches, tant en individus qu'en espèces, et ce malgré des conditions écologiques qui semblent largement défavorables. De plus, plusieurs espèces, comme Amara lucida et A. equestris ne sont observées ou ne sont fréquentes que dans cet habitat. Une première analyse des concentrations en zinc de quatre espèces a révélé que les concentrations des deux espèces brachyptères étaient nettement plus élevées que celles des espèces macroptères, plaidant pour la mise en oeuvre de mécanismes physiologiques de résistance. Il semble donc que les conditions extrêmes caractérisant cet habitat puissent être supportées. Cette analyse devrait être bientôt confirmée par des mesures individuelles des concentrations en zinc chez Pterostichus lepidus et Calathus fuscipes où des individus macroptères et brachyptères sont disponibles. Si aucune différence n'est observée entre les deux morphes et que les concentrations en métaux lourds sont nettement plus élevées que celles d'échantillons de référence, l'analyse confirmerait l'hypothèse de la possibilité de la persistance de ces populations durant les épisodes de pollution intense. Dans le cas contraire, elle montrerait que les populations ont pu persister grâce à un afflux d'immigrants, à potentiel de dispersion élevé.

Les différents types de landes sont caractérisés par des assemblages particuliers d'espèces. L'un des plus originaux est celui des landes sablonneuses sèches. Mises à part quelques particularités régionales, les landes sablonneuses des trois régions biogéographiques (Campine, Hainaut, Lorraine belge) sont très semblables. On notera que le fauchage de la station 19 qui a eu lieu au mois de février 1987 a apporté 8 espèces nouvelles et modifié le spectre des espèces présentes. Mises à part les espèces accidentelles comme Harpalus anxius, H. distinguendus, H. fuliginosus, Masoreus wetterhali, Amara tibialis dont un individu a chaque fois été observé, on notera les fréquences particulièrement élevées d'Harpalus smaragdinus, H. rufitarsis et de Pterostichus lepidus qui sont respectivement passées de 0 à 40 individus, de 1 à 371 individus et de 36 à 189 individus. De telles différences ne s'expliquent pas uniquement par une meilleure efficacité des pièges en milieu dégagé ou une augmentation de l'activité des espèces. La regénération des landes, telle qu'elle se pratique en Campine, contribue immédiatement à une augmentation de la diversité spécifique et à la dominance d'espèces relativement rares en Belgique. Cette observation ponctuelle est opposée à celle de GARDNER & USHER (1989), dans les landes à bruyères d'altitude en Grande-Bretagne. Elle devrait donc être complétée par un suivi plus approfondi des mesures de gestion des landes à bruyères de nos régions. Des points communs sont observés entre les classifications obtenues dans le cadre de ce

travail et celles de GARDNER (1991) et de EYRE & LUFF (1990). Le groupe des tourbières hautes et des cuvettes de palses, caractérisé par Pterostichus rhaeticus24 et Agonum ericeti est

commun aux trois analyses. Pour les autres groupes les comparaisons sont plus difficiles. Il est toutefois clair que certaines espèces, limitées en Belgique aux landes sablonneuses, sont observées dans d'autres types de landes en Grande Bretagne.

II.7.6. Conclusions

L'inventaire systématique des Carabides par la méthode du piège à fosse a été réalisé dans 80 stations, dont 65 ont fait l'objet d'un échantillonnage durant deux années, soit un total de 145 cycles annuels de capture. Ces données représentent 43 096 individus et 190 espèces, dont certaines sont très rares. Trois espèces supposées disparues de Wallonie depuis 1950 ont été à nouveau observées. De nouvelles données de répartition sont obtenues pour de nombreuses espèces, notamment celles dont les habitats étaient rarement prospectés par les entomologistes.

L'analyse de l'exhaustivité de l'échantillonnage indique que les stations sont relativement hétérogènes. La diversité spécifique moyenne par piège n'atteint que 40 % de la diversité stationnelle. Les habitats xériques, comme les pelouses calcaires sont parmi les plus hétérogènes. Toutefois, l'analyse des pentes des courbes de saturation montre que souvent un piège supplémentaire n'aurait pas apporté une espèce de plus à l'échantillon.

Il existe une relation entre les nombres d'individus et d'espèces d'une station. Les prairies alluviales sont les biotopes les plus riches, mais elles sont dépassées par certaines stations originales comme la pelouse calcicole de Seilles, la lande minérale de Hurtebise et certaines landes sablonneuses. La faible diversité botanique de ces dernières stations contraste avec la diversité des Carabides. On devrait tenir compte de ce groupe d'invertébrés lors des procédures d'évaluation de la qualité biologique des landes et des pelouses sèches.

La diversité β, les ordinations et le groupement indiquent que les données sont très structurées. Plus de la moitié de l'information est conservée si les 145 cycles annuels de piégeage sont rassemblés en 10 classes correspondant à une classification physionomique de la végétation établie a priori pour structurer l'échantillonnage. Une nouvelle classification des stations échantillonnées est proposée. Par exemple, elle oppose les landes

24 Les deux publications citent Pterostichus nigrita mais il est très probable qu'il s'agisse de l'espèce jumelle P. rhaeticus.

sablonneuses sèches à Calluna et les landes minérales dont le sol est en partie dégagé (groupe E), aux landes sablonneuses plus humides, dominée par Erica tetralix (groupe F), et aux landes minérales dont la végétation est dominée par des graminées (groupe G). Les cuvettes de palses et les tourbières hautes, pourtant botaniquement bien distinctes, sont rassemblées dans le même ensemble (groupe I). Ce groupe des milieux tourbeux actifs s'oppose aux bas-marais et aux prairies alluviales (groupe H).

Ces différents habitats ne s'ordonnent les uns par rapport aux autres qu'en fonction d'un gradient d'humidité. Ce facteur écologique est le seul véritable gradient de l'ensemble de données. Les autres structures principales représentées sur les axes des ordinations tendent à isoler des groupes de stations ou à opposer seulement de petits groupes de stations. Le résultat du groupement est donc la meilleure synthèse des données. Pour une partition en huit groupes, il explique près des 3/5 de la distribution des espèces.