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Conclusion partie

PARTIE 2 LES ESPOIRS DÉÇUS 1966-

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Avec l’équilibre de la terreur, l’étau de la « Guerre froide » se desserre progressivement. La coexistence pacifique laisse place à un processus de détente, amorcé dès lors que les Etats- Unis et l’URSS acceptent un statu quo sur le problème allemand. Il ne reste à présent aux dirigeants de la RFA qu’à compter sur leurs propres initiatives pour surmonter la division de leur nation. Avant même l’arrivée de Willy Brandt au pouvoir, Konrad Adenauer pose les premiers jalons de l’Ostpolitik.549 Des accords commerciaux sont conclus avec la Roumanie et la Hongrie fin 1963, et avec la Bulgarie en 1964. Les milieux d’affaire, les intellectuels et les Eglises protestantes soutiennent le dialogue avec l’Est. Cette orientation s’affirme encore avec l’instauration en 1966 d’un gouvernement de grande coalition, associant les sociaux- démocrates et les chrétiens démocrates, dans lequel Willy Brandt (SPD) est vice-chancelier et ministre des affaires étrangères. Pour ce nouveau gouvernement, la détente est un moyen de parvenir à la réunification des deux Allemagnes. Mais l’invasion de la Tchécoslovaquie (1968) discrédite la RDA et interrompt momentanément la détente. En 1969, Willy Brandt devient chancelier et fait de l’Ostpolitik une priorité, d’autant que l’essoufflement de l’économie appelle la conquête de nouveaux marchés. La RFA n’est pas la seule à faire ce calcul. Au cours de l’été 1970, le directeur du commerce international au Département du commerce des Etats-Unis effectue un voyage en Europe de l’Est afin de développer les échanges avec les pays de cette région.550

La détente internationale, les réformes économiques engagées en URSS sur le plan intérieur551 et l’Ostpolitik de Willy Brandt se traduisent sur la scène syndicale par le développement des relations bilatérales. En Europe, les contacts entre les syndicats affiliés à la CISL552, à la CISC et à la FSM se multiplient. En 1964, le CCSS signe un accord de coopération avec la SAK finlandaise et envoie une délégation en Norvège. Des délégations des centrales d’Europe occidentale se rendent dans les pays socialistes. Pour la première fois depuis la création de la CISL, le 12 septembre 1966, une délégation officielle du TUC se rend à Moscou. A la recherche d’un nouvel ancrage identitaire, la CFDT multiplie, depuis sa

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P. Guillen, La question allemande, op. cit., p. 73.

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La RFA et les Etats-Unis ne sont pas les seuls concernés. Notons par exemple qu’en 1966, la France et l’URSS prévoient de doubler le volume des échanges d’ici 1968.

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P. Léon (dir.), Histoire économique et sociale du monde – Le second Xxe siècle, de 1945 à nos jours, Paris, A. Colin, Paris, 1977, tome 6.,p. 176-187.

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En 1970, la CISL lève l’interdiction imposée à ses membres de ne pas avoir de contacts avec des membres de la FSM.

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déconfessionnalisation, les contacts avec les syndicats de l’Est européen : en 1964, une mission d’étude séjourne en Yougoslavie ; en 1965, des contacts sont noués avec les syndicats officiels de Pologne ; l’année suivante, la confédération envoie une délégation en Union soviétique.

Ce climat d’ouverture n’est pas sans répercussions sur les débats internes des OSI qui, dans ce nouveau contexte, apparaissent incapables de dépasser les clivages de la « Guerre froide ».

L’approfondissement de la construction européenne et la perspective d’un élargissement aux pays du Sud de l’Europe constituent d’autres facteurs de changement agissant aussi bien sur l’équilibre géopolitique que sur le syndicalisme international. Ainsi, les organisations européennes de la CISL et de la CISC-CMT se rapprochent. Une fusion est envisagée dès 1970.553 Le processus unitaire prend cependant une autre forme que celle prévue initialement : la CESL se transforme d’abord en CES (1973) et accueille seulement l’année suivante les affiliés européens de la CISC-CMT, ainsi que la CGIL.

En France, la CGT sort de l’isolement dans lequel elle était confinée grâce à la conclusion d’un accord d’unité d’action avec la CFDT en 1966. Le spectre de 1936 se met à hanter les esprits. L’heure est à l’union, interrompue paradoxalement par le vaste mouvement gréviste de mai 1968. Comme dans d’autres pays, la mobilisation des étudiants et des ouvriers est porteuse de nouvelles revendications sociétales telles que le féminisme, l’écologie, la libéralisation des mœurs, la contestation du productivisme et de la société de consommation. Mais si la CFDT ne tarde pas à se réapproprier ces nouveaux mots d’ordre, la CGT et Force ouvrière restent attachées aux revendications quantitatives. Bien que la droite au pouvoir sort renforcée de la révolte de Mai, la gauche politique entame une phase de recomposition.

En 1971, le congrès d’Epinay consacre la refondation d’un nouveau parti socialiste rassemblé autour de François Mitterrand qui, l’année suivante, signe un programme commun avec les radicaux de gauche et le Parti communiste français. Après des années de division, la gauche retrouve un nouveau souffle grâce à un projet commun qui suscite des espoirs dans le monde

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G. Groux, R. Mouriaux, J.M. Pernot, « L’européanisation du mouvement syndical : la Confédération européenne des syndicats », Le Mouvement social, n°162, janvier-mars 1993, p. 48.

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du travail. La dynamique unitaire créée par la coordination des partis de gauche et l’accord CGT-CFDT se traduit alors par une montée des luttes et par une progression de la gauche. Cette présentation sommaire des éléments favorisant les convergences syndicales ne doit cependant pas masquer les contradictions de la période.

Au début des années 1970, des changements importants surviennent en Europe. En 1973, la république est proclamée en Grèce. L’année suivante, les libertés sont restaurées tandis que le régime des colonels est enterré. En 1974, la révolution des œillets initiée par une junte que dirige le général Spinola ouvre la voie à la démocratisation du Portugal et à la décolonisation de son Empire554. Enfin, en 1975, la dictature franquiste s’éteint avec son dirigeant. Au Portugal, en Espagne mais aussi en Italie555, les communistes semblent aux portes du pouvoir. Aux yeux des Américains, la contagion démocratique au Sud de l’Europe s’apparente à une contagion communiste. Dans ses mémoires, Henry Kissinger exprime les craintes qui furent les siennes alors qu’il était conseiller du Président des Etats-Unis pour la sécurité nationale (1969-1975) et Secrétaire d’Etat (1973-1977) :

« Si les communistes mettaient un pied au gouvernement dans l’un ou l’autre de ces pays, l’évolution paraîtrait inéluctable et faciliterait leur entrée dans le gouvernement d’autres pays de l’OTAN. A l’heure où le monde occidental subissait le choc de la crise de l’énergie, où le leadership américain était terni par le Watergate et la contestation de la guerre du Vietnam, où les dirigeants soviétiques signalaient avec insistance un changement de la « corrélation des forces », le phénomène de l’eurocommunisme en Europe de l’Ouest risquait d’être dangereusement contagieux. »556

Dans la seconde moitié de la décennie (1974-1979), une série de révolutions secoue l’Afrique, l’Asie et l’Amérique. Certains régimes issus de cette vague révolutionnaire, tel celui de l’Angola, offrent à l’URSS des bases militaires, accréditant ainsi l’idée d’une alliance entre

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Entre 1974 et 1976, la Guinée-Bissau, le Mozambique, les îles du Cap-Vert, S o Tome et Principe, et l’Angola accèdent à l’indépendance.

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L’instabilité politique pousse les partis italiens à rechercher l’alliance la plus large possible. Le leader communiste Enrico Berlinguer propose un « compromis historique » avec la démocratie-chrétienne. Cf. J. Gotovitch, P. Delwit, J.M. De Waele, L’Europe des communistes, Bruxelles, Complexe, Questions au Xxe siècle, 1992,p. 245-247.

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l’URSS et le Tiers-Monde.557 La séduction qu’exerce le socialisme sur les pays arabes558 renforce encore ce sentiment, que la coopération de la Confédération internationale des syndicats arabes avec la FSM ne dément pas. Enfin, les pays en voie de développement ayant nouvellement accédé à l’indépendance cherchent à établir des moyens de contrôle sur leur économie nationale, et usent dans ce but de la nationalisation559. La diplomatie américaine, déjà ébranlée par la guerre du Vietnam, voit dans ces évolutions un danger potentiel. Commence alors la « seconde Guerre froide »560.

Le début des années 1970 marque le début d’une longue période de crise économique. Après la dissolution du système monétaire international, la crise de l’énergie et des matières premières ébranlent les économies occidentales. En 1974, la France est le deuxième pays exportateur mondial. Cependant, le taux de couverture des échanges industriels se dégrade et l'accroissement de la dépendance énergétique, avec l’importation de pétrole et de charbon étrangers bon marché depuis les années 1960, fragilisent la position hexagonale, déséquilibrée par le choc pétrolier de l’automne 1973. Le chômage se met à augmenter. De 3.8% de la population active en 1975, il passe à 6.1% en 1980 (soit 1.4 millions de chômeurs). Parallèlement, le taux de syndicalisation baisse.561 Si la gauche accède au pouvoir, parviendra t-elle à enrayer les effets de la crise ? Ne comptant pas sur une telle alternative, FO préfère modérer les revendications. La CGT, elle, continue de soutenir le programme commun. Mais à l’automne 1977, l’union de la gauche se rompt. Quelques mois plus tard, la CFDT annonce son recentrage. L’union syndicale ne résiste pas à la désunion politique.

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E. J. Hobsbawm, L’âge des extrêmes – Histoire du Court Xxe siècle, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 327.

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A. Hourani, Histoire des peuples arabes, Paris, Seuil, point Histoire, 1993, p. 527 et suivantes.

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« De 1960 à 1976, 1369 filiales de MN ont été nationalisées dans les PVD, contre 47 de 1977 à 1985, et quasiment aucune ultérieurement. ». W. Andreff, « La déterritorialisation des multi-nationales : firmes globales et firmes réseaux », dans B. Badie, M.C. Smouts (dir.), L’international sans territoire, Paris, L’Harmattan, Cultures et Conflits, 1999, p. 378.

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Eric J. Hobsbawm, op. cit., p. 587.

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Alors que pendant 20 ans, le taux de syndicalisation est resté stable, il se dégrade à partir de 1977-1978. cf. D. Labbé, Syndicats et syndiqués en France depuis 1945, L’Harmattan, Logiques politiques, 1996,p. 14.

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CHAPITRE 4 : L’UNION POUR LA VICTOIRE DU