6.3. Les EIAH et l’informatique
6.3.2. Les EIAH et l’informatique en tant que discipline
La question de savoir si les travaux sur les EIAH font avancer l’informatique (en tant que discipline) est, ici encore, une question dont l’intérêt est relatif (mais qui est souvent posée).
Considérer le champ des EIAH comme un champ scientifique propre (et, selon l’hypothèse de transdisciplinarité de ce champ, travailler à l’élaboration de résultats relevant de ce champ, et non pas uniquement de l’une ou l’autre de ses disciplines concernées) n’empêche pas d’analyser sa relation à ces disciplines.
Analyser le champ des EIAH du point de vue de la discipline informatique pose un problème
de départ : il n’y a pas de définition précise et partagée de ce qu’est l’informatique108.
L’informatique peut être considérée de différents points de vue dont (au moins) les trois suivants :
- Vision centrée sur les fondements théoriques du traitement de l’information.
- Vision technique ou technologique, centrée sur les artefacts.
- Vision socio-technique.
Ces différentes approches de l’informatique ne sont pas exclusives, et peuvent cohabiter au sein d’un même projet ou au sein des activités d’un même chercheur.
EIAH et dimensions théoriques de l’informatique
Dans une vision de l’informatique comme « l’étude des fondements théoriques du traitement de l’information par des ordinateurs », le domaine des EIAH est essentiellement un terrain d’application possible des applications technologiques de l’informatique.
EIAH et dimensions techniques de l’informatique
Dans une vision technique ou technologique de l’informatique, centrée sur les artefacts et leurs processus de conception, le domaine des EIAH est, au même titre que de nombreux autres domaines (systèmes d’information, interfaces homme-machine, ingénierie des connaissances, etc.), un terrain pour étudier différentes problématiques générales de l’informatique : transformations dirigées par les modèles, adaptivité des interfaces, modélisation des connaissances, résolution de problème, interprétation des traces d’utilisation, etc. La conception de certains EIAH pose des problèmes d’informatique que l’on peut, à un certain niveau de granularité, isoler de leur problématisation d’origine et aborder en tant que problème d’informatique.
L’intérêt de ce domaine (comme certains autres terrains d’application) est qu’il fournit un cadre d’étude contraint : un projet impliquant la conception d’un EIAH définit un système de contraintes précis (lié aux objectifs et contraintes d’utilisation) qui fixe une spécification externe au problème informatique, ainsi que des éléments pour sa validation. Ceci aide à éviter les dérives consistant à modifier l’objectif (le problème informatique considéré) au fur et à mesure des (difficultés des) travaux. Ce type de démarche conduit à des résultats qui peuvent être spécifiques du champ des EIAH et/ou peuvent être isolés de leur problématisation d’origine et trouver un spectre d’application plus large. Un exemple ancien mais typique est la façon dont la recherche d’une utilisation pédagogique des systèmes experts a contribué à l’élaboration de
108 Pour un développement de ce point en relation avec l’EIAH consulter : P. Tchounikine, A.I. Mørch, L. Bannon « A computer science perspective on TEL research” (op. cit.).
Précis de recherche en ingénierie des EIAH Chap. 6 – Une perspective
concepts et de techniques ayant notablement fait évoluer l’intelligence artificielle et l’ingénierie
des connaissances109.
L’intérêt particulier du domaine des EIAH comme terrain d’application est l’importance des dimensions sociales et humaines dans le processus de conception, les différents degrés de granularité et dimensions à prendre en compte (sociologiques, psychologiques ; individuelles,
collectives ; etc.) et le caractère évolutif des utilisateurs110.
L’inconvénient principal du domaine comme terrain d’application est la difficulté de l’évaluation.
EIAH et dimensions socio-techniques de l’informatique
Dans une vision socio-technique, l’informatique est concernée par les dimensions fonctionnelles des artefacts et par l’ensemble des dimensions ayant une influence sur leurs usages effectifs.
Les travaux sur les EIAH constituent un vecteur d’avancement particulièrement pertinent de l’informatique vue sous cet angle. Outre les dimensions techniques (cf. supra), ce domaine propose en effet un terrain particulièrement riche (contexte d’étude, matériau, spécifications, éléments pour la validation) pour étudier des questions socio-techniques comme la compréhension de l’activité des acteurs, l’instrumentation des acteurs et le support à l’activité, ou encore la malléabilité des logiciels comme un élément de leur adaptation en contexte par leurs utilisateurs.
Sur ces questions, les travaux sur les EIAH permettent de produire des résultats spécifiques de ce champ et/ou qui trouvent un spectre d’application plus large.
Ainsi, le programme de recherche « Science of Design - Software-Intensive Systems
program »111 met en avant l’importance d’aborder en tant que tels des problèmes comme : la
satisfaction de besoins utilisateurs multiples, contradictoires et partiellement compris ; la mise au point de processus flexibles permettant de gérer le fait que nombre d’éléments émergent pendant la conception ; les questions de la malléabilité des logiciels, de la qualité, de l’effet ou du test. Ce programme est fondé sur l’idée que les systèmes du futur seront profondément différents des systèmes actuels, et que les avancées en termes de matériel, de réseau et d’interfaces homme-machine nécessiteront de repenser la façon dont les systèmes sont conceptualisés, construits, compris et évalués. Ce programme se donne ainsi comme objectif : « […] bring new paradigms, concepts, approaches, models, and theories into the development of a strong intellectual foundation for software design, which will ultimately improve the processes of constructing, evaluating, and modifying software-intensive systems. This body of knowledge needs to be intellectually rigorous, formalized where appropriate, supported by empirical evidence where possible, open to creative, artistic expression, and above all, teachable ». La recherche en ingénierie des EIAH est un vecteur d’avancement de cette informatique.
109 Cf. notamment : W.J. Clancey, 1986, « From Guidon to Neomycin and Heracles in twenty short lessons: ORN final report 1979-1985 », The AI magazine, pp 40-60.
110 Par définition, l’objectif est que les connaissances et/ou l’activité de l’utilisateur-apprenant évoluent.
111 Science of Design (SoD) Software-Intensive Systems. Program Solicitation, National Science Foundation, NSF 07-505, 2007.
Précis de recherche en ingénierie des EIAH Annexe 1