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Gérer la complexité et les modèles

Les SPI et les EIAH sont des systèmes complexes, qui nécessitent la prise en compte de différentes dimensions. Ainsi que mis en évidence par les travaux qui portent sur les systèmes

complexes78, ces systèmes doivent être abordés sur la base de modèles proposant des points de

77 L’instrumentation correspond à l’adaptation de l’utilisateur aux contraintes que véhicule l’artefact, l’instrumentalisation correspond au processus par lequel l’utilisateur attribue à l’artefact des fonctions qui n’étaient pas prévues initialement par le concepteur. P. Béguin, P. Rabardel, 2000, « Concevoir des activités instrumentées ». Revue d’Intelligence Artificielle 14, pp 35-54.

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vue différents (éventuellement partiellement redondants) des objets considérés, et l’articulation de ces modèles. Les travaux relatifs aux EIAH et aux SPI doivent reposer sur des modèles permettant, d’une part, de fonder le processus de conception et, d’autre part, de permettre l’analyse des usages et effets des systèmes, et, donc, des hypothèses sous-jacentes. La description des modèles est un élément clé de l’explicitation des travaux et de leur nature.

5.3.1. La multiplicité des modèles

Les travaux liés aux EIAH impliquent différents modèles en raison de (1) la nécessité de prendre en compte des analyses ou points de vue de natures différentes (par exemple, pédagogique, psychologique ou informatique) et (2) la nécessité de prendre en compte la complexité des systèmes. Par exemple, un EIAH pensé comme un milieu réactif aux actions de l’apprenant peut amener à considérer différents modèles comme : modèle des connaissances du domaine abordé (ce qui peut amener à dissocier connaissances de référence du domaine, de l’enseignant, de l’apprenant) ; scénarios pédagogiques ; modèle des actions possibles de l’apprenant au sein de l’environnement ; modèle des rétroactions de l’environnement et/ou de communication médiatisée (communication entre apprenant et logiciel, apprenant et tuteur, ou entre apprenants) ; modèle pour la perception et l’interprétation des actions des apprenants et des interactions communicatives ; modèle de contrôle de l’interaction (par l’apprenant, par le logiciel) ; modèle de gestion des caractéristiques individuelles des apprenants et/ou de l’évolution des connaissances des apprenants ; modèle pour l’évaluation des apprentissages ; etc.

La multitude et l’intrication des dimensions à prendre en compte imposent de prendre un soin tout particulier à :

- Décrire les modèles utilisés.

- Définir ce que modélisent les modèles.

- Définir la nature et l’objet des modèles (cf. Chapitre 4).

- Décrire les éventuelles articulations des modèles.

La complexité des dimensions à prendre en compte fait que, si certains problèmes peuvent être étudiés isolément, la conception d’un EIAH n’est généralement pas réductible à une simple juxtaposition de problèmes et de modèles relevant de domaines disciplinaires, et nécessite au contraire la prise en compte simultanée d’une multitude de problèmes (et de modèles) inter-reliés.

Du point de vue de la conception, un modèle peut être utilisé de différentes façons79. Certains

modèles sont directement liés à la conception : modèle décrivant ce qu’il faut construire, modèle intégré dans un composant logiciel, etc. D’autres modèles sont utiles à la conception par le fait qu’ils apportent une certaine compréhension d’un phénomène, compréhension dont les implications vont influencer la spécification du logiciel. Par exemple, un logiciel de communication synchrone favorisant les interactions épistémiques peut être fondé sur un modèle général de collaboration sans réifier nécessairement celui-ci. De même, un modèle visant à représenter les connaissances d’un apprenant et à prédire leur évolution est un modèle pour comprendre. Ce type de modèle peut, par ailleurs, être utilisé pour créer, au sein d’un EIAH, une fonctionnalité de diagnostic des connaissances de l’apprenant. C’est alors, également, un modèle pour la conception. Cette fonctionnalité peut cependant être abordée par un modèle dont la raison d’exister est d’apporter une contribution positive en permettant de réaliser cette fonctionnalité,

79Cf. également M. Baker, “The roles of models in Artificial Intelligence and Education research: a prospective view” (op. cit.).

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sans que ce modèle ne soit un modèle pour comprendre (par exemple, par l’utilisation de bases de cas et de mécanismes purement statistiques).

5.3.2. Les fondements des modèles

Un modèle est un artefact. La conception de cet artefact peut être fondée sur différentes choses, par exemple :

- Une théorie ou un ensemble de théories qui fondent ou guident la conception du

modèle.

- Une proposition originale, empirique, inspirée d’une analyse spécifique.

- Une adaptation d’un modèle existant par ailleurs.

L’explicitation des fondements des modèles est un élément clé de leur compréhension. L’une des caractéristiques des travaux menés sur les EIAH est de faire référence à des théories SHS : behaviorisme, constructivisme, socioconstructivisme, cognition située, cognition distribuée, théorie de l’activité, genèse instrumentale, etc. L’une des difficultés centrales de l’ingénierie des EIAH est l’articulation des problèmes liés à la conception des EIAH avec les théories prises en référence, en particulier car :

- Il n’existe pas de théorie (ou de « corps de connaissances constitué ») dont

découleraient directement des modèles computables sur lesquels fonder le processus de conception.

- Les théories habituellement invoquées sont des théories provenant de travaux des

SHS qui ont pour la plupart été proposées pour interpréter des situations et des phénomènes : elles ne sont pas directement utilisables en termes prescriptifs.

- Les théories habituellement invoquées n’ont pas été élaborées en prenant en compte

les spécificités du milieu informatique. Ceci pose le problème de la « migration » de théories et modèles issus des SHS vers l’informatique et du travail scientifique de construction des modèles sur lesquels fonder le processus de conception.

5.3.3. La traçabilité des modèles

Les EIAH, en tant que logiciels, sont fondés sur des modèles computables.

La notion de traçabilité dénote le fait de maintenir une correspondance entre les différents éléments des théories, des modèles et des logiciels.

Dans les travaux sur les EIAH, la difficulté de la traçabilité est liée à la mise en relation de modèles computables et de théories, modèles ou notions relevant de disciplines qui ne sont pas informatico-mathématiques.

La recherche d’une traçabilité des modèles est un enjeu fondamental de l’avancée des connaissances en ingénierie des EIAH. C’est en effet une condition nécessaire pour aborder l’étude des modèles dans leurs interactions avec les théories et les champs expérimentaux, l’exploration et/ou la falsification d’hypothèses, ou encore l’interprétation des résultats à un niveau abstrait et la capitalisation de connaissances.

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L’explicitation des relations entre théories invoquées et modèles utilisés (des modèles à gros grains aux modèles computables) sont donc des éléments clés de l’explicitation des travaux (cf. Chapitre 4), qui doivent notamment permettre de préciser :

Le rôle que les théories jouent dans la conception de l’EIAH ou de la SPI, par

exemple :

- Base sur laquelle établir des ensembles de préceptes et éventuellement des

modèles réutilisables.

- Référence proposant des résultats utiles à la résolution de problèmes qui se

posent lors de la conception.

- Simple cadre général dénotant un type d’approche.

La place des théories dans le processus de conception, par exemple :

- Théorie pertinente pour un aspect particulier de la conception (par

exemple, un modèle d’interaction dialogique).

- Théorie (théorie unifiée ou articulation de théories) couvrant de façon

intégrée plusieurs (voire l’ensemble) des problématiques de la conception.

La nature des théories, par exemple :

- Théories générales pouvant être appliquées aux EIAH.

- Théories prenant en compte ce qu’est, spécifiquement, un EIAH.

5.3.4. La description des modèles

La présentation d’un modèle n’a de sens et d’intérêt que si elle est adaptée à son intention. Un modèle constitué de quelques boîtes et quelques flèches dont la sémantique n’est pas définie n’est que peu informatif. La description des modèles doit donc faire l’objet d’un effort particulier. Différents points doivent être pris en considération en fonction de ce que modélise le modèle, pour qui et pour quoi faire, en particulier :

Caractère informatif ou computable (i.e., implantable) du modèle.

Nature du langage de modélisation et, en particulier :

- Définition des primitives de modélisation (objets, relations) et des

contraintes sur ces primitives.

- Niveau d’abstraction (par exemple, niveau connaissance – au sens de

Newel80 – ou niveau symbolique).

- Degré de formalisation (par exemple, langage formel, langage semi-formel

ou langage informel).

Couverture du modèle, i.e., définition de ce que le modèle permet et ne permet pas

de modéliser.

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