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En liant les ressources à l’activité, grâce au recueil systématique des données médicales, la T2A entendait mettre en place un mode de financement plus transparent, mais aussi plus équitable, par la réduction des rentes de situation et des inégalités historiques des dotations qui pénalisaient les établissements les plus actifs. Le pilotage par les recettes imposait également une forte mobilisation des directions et équipes hospitalières autour d’objectifs d’efficience accrue.

En dépit des difficultés rencontrées et des contraintes nouvelles liées à cette réforme, on peut constater qu’elle a modifié la culture et la gestion hospitalières et qu’elle a conduit les responsables médicaux et soignants à s’impliquer activement dans des problématiques jusqu’alors plutôt confinées aux cadres de direction.

Une étude du ministère de la santé

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observait ainsi une nette tendance au développement, au sein des établissements, des analyses dites « médico-économiques » qui amènent les services ou pôles à renouveler les approches de leur activité. Elles s’appuient sur une batterie d’informations : tableaux de bord, indicateurs, comptes de résultat analytique - Créa dans le jargon -, tableaux coûts case-mix, fiches de préparation de l’EPRD. Ces outils de connaissance de l’activité et d’évaluation de l’organisation ont permis de

« développer des logiques de responsabilisation », soit à travers des contrats annuels de pôle, soit de façon plus informelle lors des discussions relatives au budget et aux investissements ou aux choix de développement d’activités.

Utile, cette approche ne doit cependant pas dévier vers une analyse financière uniquement fondée sur les pôles : comme il a été dit à la mission lors de son déplacement au CHU de Rennes, « les pôles ne sont pas des PME indépendantes » et le financement doit rester solidaire pour l’ensemble de l’établissement.

Différents interlocuteurs de la mission ont également souligné l’impact de la loi HPST sur l’évolution de la gouvernance des hôpitaux, les implications de la T2A ne pouvant en être complètement déconnectées.

De manière plus générale, l’étude précitée souligne que la diffusion et le renforcement de l’approche médico-économique, considérée comme indissociable de la T2A, ont favorisé une meilleure compréhension et la coopération entre responsables médicaux et gestionnaires, les départements d’information médicale jouant sur ce point un utile rôle d’interface.

1 Les impacts de la T2A sur les modes d’organisation et de fonctionnement des établissements de santé, Dossiers Solidarité et santé n° 16 (2010), Drees.

2. Un révélateur des fortes disparités de situations entre établissements

Le déploiement de la T2A a-t-il amélioré ou détérioré la situation, notamment financière, des établissements de santé ?

Cette question, formulée de manière aussi générale, manque en partie de pertinence pour les raisons précédemment évoquées. La ressource hospitalière globale résulte de l’Ondam, la T2A ne fait qu’en déterminer la répartition en s’appuyant sur des données d’activité. Par ailleurs, la T2A s’applique à plus de mille deux cents établissements, très différents par leur taille, leur statut, leur histoire, leur place dans leur environnement territorial ou leurs activités.

Il est clair que la T2A a entraîné des redistributions de ressources entre établissements. Certains y ont donc « gagné » alors que d’autres y ont

« perdu ».

Toutefois, la montée en charge de la T2A aura été progressive. Sa part dans le financement est passée de 10 % à 50 % entre 2004 et 2007, puis à 100 % en 2008, mais l’impact de cette accélération a en partie été compensé par les « coefficients de transition » qui ont été appliqués jusqu’en 2011, une partie du financement, les Migac, continuant en outre à s’effectuer sous la forme de dotations.

Sur la période 2005-2011, la DGOS évalue la redistribution entre établissements à 140 millions d’euros dans le secteur privé lucratif et à 1,3 milliard d’euros, dont 540 millions entre 2008 et 2011, dans les secteurs public et privé à but non lucratif.

Ces montants sont à rapprocher du montant total des ressources attribuées aux établissements entrant dans le champ de la T2A, qui était proche de 55 milliards d’euros en 2011. L’effet redistributif lissé dans le temps n’est donc ni négligeable ni déterminant.

Pour une part, cette redistribution répond à un souci d’équité, en remédiant à des inégalités historiques entre établissements et en permettant à l’activité de mieux s’ajuster aux besoins de santé à l’échelle des territoires.

Mais elle a aussi révélé et accentué des handicaps propres à certains établissements et sur lesquels ceux-ci, malgré tous leurs efforts de gestion, n’ont que peu de prise.

En effet, la T2A repose sur un financement moyen alors que les case-mix sont très différents selon les établissements.

Les établissements situés dans des bassins à faible densité de

population sont peu susceptibles de développer leur activité. En leur

appliquant des tarifs établis sur la base d’une hausse prévisionnelle d’activité,

on provoque inévitablement une érosion de leurs ressources les entraînant sur

une pente déficitaire. En tout état de cause, en l’absence de mesures

correctrices, un établissement dont le bassin de population ne lui permet pas d’avoir une activité correspondant à ses coûts demeurera dans une situation difficile.

La démographie médicale est un autre facteur exogène qui, du fait de la T2A, influe directement sur la situation financière des établissements. Les difficultés de recrutement de praticiens, rencontrées dans nombre de territoires, ont un impact négatif sur l’activité et accentuent les « taux de fuite » vers les structures des grands centres urbains. En outre, les établissements les plus confrontés à cette pénurie de praticiens doivent recourir à l’intérim médical, avec des surcoûts extrêmement importants. Les médecins intérimaires bénéficieraient de rémunérations jusqu’à trois fois supérieures à celles des praticiens statutaires. On peut alors véritablement parler d’une spirale du déficit, que l’établissement peut difficilement contrecarrer seul.

Ces fortes disparités de situation sont tout à fait indépendantes de l’efficience des établissements. Elles sont le plus souvent inhérentes à la nécessité non contestée d’assurer un accès aux soins sur des territoires aux caractéristiques démographiques et économiques moins favorables que la moyenne. Non seulement elles semblent mal prises en compte par l’actuel mode de financement, mais celui-ci a plutôt tendance à les accentuer ; une aide à la contractualisation, à la disposition des ARS, existe bien pour maintenir une activité déficitaire identifiée dans des zones spécifiques, mais son montant a difficilement atteint 35 millions d’euros en 2010, dont la moitié pour les départements d’outre-mer.

Une étude relative aux effets de taille et de gamme a été lancée en 2010 sous l’égide de la DGOS. Il s’agissait moins d’évaluer les effets de la tarification au regard des caractéristiques des établissements que de s’intéresser à l’influence éventuelle de la taille des structures et de la gamme d’activité sur les coûts de réalisation des soins. Cette étude n’a pas débouché sur une conclusion significative concernant les économies d’échelle ou au contraire les surcoûts résultant de ce type de facteur.

Cette étude vient d’être recentrée sur la problématique beaucoup plus prégnante des handicaps géographiques. Il s’agit d’évaluer si des établissements isolés géographiquement, de taille réduite et à la patientèle limitée, peuvent véritablement atteindre l’équilibre économique dans le système de la tarification à l’activité, et d’envisager le cas échéant les modalités de financement complémentaires adéquates. On peut penser que cette étude confirmera la pénalisation dont souffrent ces établissements. Elle devrait pouvoir en mesurer l’ampleur afin d’y remédier rapidement.

Enfin, d’une manière plus générale, on peut remarquer que la logique

de l’enveloppe fermée dans laquelle s’inscrit la T2A crée entre les

établissements une interdépendance parfois antinomique à la volonté de

dynamiser leur gestion.

Le fait que le mode de financement encourage individuellement les établissements à développer l’activité tout en les pénalisant collectivement par des blocages ou des baisses de tarifs est particulièrement difficile à admettre et a pu produire un effet démobilisateur auprès de certaines équipes médicales.

De même, la régulation infra-annuelle, par l’annulation de dotations Migac, frappe indistinctement tous les établissements publics, donnant le sentiment que le système ne récompense pas les efforts réalisés.

3. Un mode de financement qui peut décourager les coopérations hospitalières

Nombre d’interlocuteurs de la Mecss ont souligné que la T2A pouvait constituer un obstacle aux coopérations hospitalières, pourtant vivement encouragées par le législateur, par exemple dans la loi HPST, dans la mesure où elle oriente les établissements dans une stratégie individualiste de maximisation des recettes et où il n’existe aujourd’hui aucun mécanisme correcteur garantissant le maintien des ressources en cas de partage d’activité.

Ce constat n’est pas nouveau. Dans son rapport annuel sur les lois de financement de la sécurité sociale pour 2011, la Cour des comptes estimait que

« la logique coopérative se heurte souvent à la logique concurrentielle inhérente à la tarification à l’activité ». De même, le rapport de la mission hôpital public, remis en avril 2012, considère que, « dans le système de tarification à l’activité, aucun établissement public n’a intérêt à mettre en place des coopérations avec des établissements voisins puisque, dans la plupart des cas, il risque d’y perdre des recettes ».

Il faut ici distinguer plusieurs cas de figure. La coopération peut prendre la forme d’une entente visant à spécialiser chaque établissement, cette répartition des activités éliminant des « doublons » qui peinent à trouver leur équilibre financier. La Cour des comptes souligne la difficulté de ce type d’opérations, un établissement pouvant être pénalisé ou avantagé selon la dynamique d’activité des spécialités qu’il a conservées ou cédées. Plusieurs exemples de coopérations public-privé réalisées au détriment des établissements publics ont été mentionnés à cet égard.

Les coopérations peuvent également chercher à mieux satisfaire les

besoins de santé sur un territoire donné, notamment dans des établissements

confrontés à des difficultés de recrutement médical ou dont l’activité serait

insuffisante pour justifier de tels recrutements. Un praticien provenant d’un

autre établissement pourra y réaliser régulièrement des consultations, dites

avancées, ou des actes techniques. Dans ce cas, l’établissement bénéficiaire

effectue un remboursement du temps médical de mise à disposition mais, pour

l’établissement d’origine, la perte de recettes est bien plus importante que le

seul temps médical, puisque son praticien ne produit aucune activité tarifable et

que le tarif hospitalier couvre des charges plus larges que le seul salaire du

praticien.

La Cour des comptes relevait que « certains établissements (par exemple le CHU de Grenoble ou le CHR d’Orléans) ont bien noté qu’il serait financièrement plus avantageux de garder leurs praticiens sur place et percevoir l’entier financement par la T2A, plutôt que d’organiser dans d’autres hôpitaux des consultations avancées ne générant que des compensations financières et non de l’activité ».

L’établissement d’origine ne peut préserver son intérêt financier qu’en introduisant dans la convention de coopération une compensation plus substantielle de ses pertes de recettes. De telles clauses sont en général dissuasives pour l’établissement bénéficiaire de la mise à disposition.

D’autres types de freins ont été signalés. Le mode de calcul des forfaits

pour les services d’urgence peut également provoquer des pertes de recettes en

cas de coopération inter-établissements.