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Section I. L’intégration économique et commerciale

I.2. Les effets statiques de l’intégration commerciale :

Le phénomène de l’intégration régionale – les ZLE en particulier – a posé de sérieux problèmes d’analyse aux théoriciens du commerce, parce que les plans d’intégration régionale associent en principe des éléments tant du libre-échange (au sein de l’union), que du protectionnisme (contre les non-membres). De toute évidence, si l’aspect libéralisation du commerce de l’intégration régionale concorde avec la perception néoclassique d’un régime commercial qui renforce le bien-être, il n’en demeure pas moins que l’aspect discriminatoire de l’accord peut nuire à la réalisation du bien-être régional et mondial.

Dès 1950, Viner a mis en exergue l’ambivalence des effets statiques du libre-échange sur le bien-être. À cet effet, il oppose la création de commerce – qui constitue les gains en termes de bien-être du libre-échange – au détournement de commerce – responsable des pertes de bien-être. Les réflexions de Viner sont par la suite enrichies par les travaux d’auteurs, tels que W. M. Corden (1974), R. E. Baldwin (1985), H. Flam (1992) et J. Bhagwati (1988 et 1993).

Selon le modèle de Viner, les effets statiques de l’intégration résultent d’une réallocation unique des facteurs de production économique et des ressources naturelles, et entraînent des impacts négatifs et positifs sur le bien-être. Le modèle fournit un outil permettant d’analyser les effets des ZLE sur le bien-être, en introduisant les concepts de création et de détournement

du commerce. La mesure dans laquelle les changements de bien-être se produisent, dépend grandement de la prédominance de l’un ou de l’autre de ces effets.

La création de commerce désigne le volume de commerce supplémentaire qui résulte de l’abolition des barrières tarifaires au sein de la ZLE. Selon les hypothèses de création de courants commerciaux, la structure des échanges reflète fortement les différences d’avantages comparatifs entre les pays membres. Il y a création de commerce lorsque les pays abandonnent la production des biens et services qu’ils produisent de façon moins efficace, en échange des biens et services produits de façon plus efficace par un pays partenaire. De ce fait, le bien-être régional est renforcé lorsque les changements introduits par la ZLE produisent une modification de la consommation, les produits intérieurs de coût élevé étant abandonnés en faveur de produits à plus faible coût d’un pays partenaire.

Robson (1984) déclare qu’il y a probabilité de création de courants commerciaux, lorsque la zone économique d’intégration et le nombre de pays membres sont grands, que les barrières tarifaires et non tarifaires ont été réduites ou éliminées en raison de la ZLE, et que les économies des pays intégrés sont compétitives, ayant des niveaux de développement comparables et une base de ressources complémentaires. D’où la nécessité de la convergence des économies pour les pays qui souhaitent constituer un espace économique unifié.

L’effet du détournement de commerce, par contraste, passe pour être un coût pour la région et le monde en

général. On dit qu’il y a détournement de commerce lorsque le changement intervenu dans la consommation est davantage en faveur de produits et de services plus chers de la région, que de produits et de services meilleur marché fournis par des pays extérieurs à la région. C’est pourquoi le détournement de commerce pourrait produire un environnement peu compétitif, l’inefficacité et la perte d’excédent de consommation.

Bien que l’on considère en règle générale comme de la théorie le fait que la création et le détournement de commerce soient des résultats potentiels des systèmes commerciaux préférentiels, et qu’ils auraient tendance à déplacer le bien-être économique dans des directions opposées (Viner, 1950), l’effet net des deux phénomènes est une question empirique.

Plusieurs études ont montré que le bilan de la formation de l’union douanière de la Communauté économique européenne (CEE) est plutôt mitigé. Pour Robson (1984), la création de courants d’échanges l’emporte largement sur le détournement de flux d’échanges, en ce qui concerne les produits manufacturés. Il paraît, selon lui, que la formation de la CEE a engendré la création de flux d’échanges extérieurs non négligeables. Il écrit : « De ces deux points de vue, on peut considérer que la création de la CEE a eu des effets favorables quant à l’efficacité de la répartition des ressources à l’échelle globale. » Cependant, Pomfret (1988) conteste l’existence d’un moindre indice de

« création de courants d’échanges extérieurs ».

Concernant l’agriculture, beaucoup d’auteurs sont d’avis que la Politique agricole commune (PAC) de la CEE a engendré un détournement sensible des courants d’échanges et d’importantes pertes de revenus pour les pays exportateurs de produits agricoles, à cause de la baisse des prix mondiaux des produits couverts par la PAC.

Quant aux effets sur la croissance, Pomfret (1988) conclut, à partir de l’analyse des études empiriques existantes, que l’union douanière n’a pas permis d’avoir des économies d’échelle supplémentaires ou des gains d’efficience. Cependant, la CEE aurait bénéficié d’une augmentation des IDE et d’une amélioration des termes de l’échange, et dans les deux cas, il s’agit davantage d’une redistribution que d’un gain économique net pour le monde entier.

Pour Balassa (1975), tenant compte des effets de détournement des produits agricoles, le gain économique pour la CEE a été inférieur à 0,1 % du PNB des pays membres. À l’opposé, N. Owen (1983), intégrant les économies d’échelle réalisées par les industries manufacturières et recourant à la méthode de l’équilibre partiel, aboutit à un résultat plus satisfaisant pour la CEE, avec un gain de l’ordre de 3 à 6 % du PIB des six États membres d’origine.

Par ailleurs, une étude de la Banque mondiale (1996), citée par P. Krugman (2003), a montré que les effets nets de la ZLE sud-américaine – le Mercosur – étaient négatifs, et ce en dépit du triplement de la valeur des échanges entre les pays membres – Argentine, Brésil,

Uruguay et Paraguay. La constitution de cette ZLE a engendré une situation de détournement de commerce, très préjudiciable, en particulier pour les consommateurs.

Pour l’Afrique, et en particulier l’Afrique de l’Ouest, la théorie économique statique centrée sur le détournement de commerce agissant sur le bien-être, pourrait ne pas se justifier, dès lors que les objectifs de l’intégration du continent transcendent des considérations économiques étriquées. L’approche de l’intégration appliquée par le continent présente en effet de réelles justifications liées au développement, qui dépassent le cadre d’une analyse théorique classique en faveur de son intégration régionale.

I.3. Les effets dynamiques de l’intégration commerciale