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Chapitre I : Présentation et contexte bibliographique

B) Exemples de systèmes photochromiques

2. Les dithiényléthènes

Les dithiényléthènes, décrits pour la premières fois par Irie et Mohri en 1988[42], sont à l'heure actuelle parmi les photochromes les plus utilisés de par leurs nombreuses qualités telles qu'une haute résistance à la fatigue[43], une stabilité thermique accrue[44] ainsi que des temps de réponse allant jusqu'à la picoseconde[45]. Ces performances ont nécessité de longues optimisations car à l'origine les dithiényléthènes, ou de façon plus générale les diaryléthènes, sont des dérivés du stilbène, réputé pour son isomérisation trans-cis (Figure 7).

Figure 7 : Photochromisme et dégradation du stilbène

Le photochromisme des diaryléthènes quant à lui repose sur une électrocyclisation à 6 électrons π du motif hexatriène présent dans la forme cis du stilbène (Figure 7). Les premiers exemples de diaryléthènes n'étaient pas très efficaces en raison de la compétition de l'isomérisation de la double liaison, d'un retour thermique important ainsi qu'une oxydation sous air en phénanthrène. Plusieurs modifications structurales ont donc été apportées afin d'améliorer ce système[44] (Figure 8).

Figure 8 : Schématisation de l'optimisation structurale des dithiényléthènes

L'apport d'un pentacycle A sur la double liaison centrale a permis de supprimer l'isomérisation

cis-trans défavorable dans ce cas. L'amélioration de la stabilité thermique a été possible en remplaçant les groupements phényles par des groupements de type furane ou plus efficacement de type thiophène, soit les dithiényléthènes (Figure 8). De plus, les différentes réactions de décomposition ont pu être diminuées en modifiant les thiophènes impliqués dans la fermeture électrocyclique. Typiquement, la déshydrogénation est évitée en substituant les positions R par des méthyles, et la photo-stabilité vis-à-vis de l'oxygène a été obtenue en décorant les positions externes des thiophènes. A titre d'exemple, lorsque le thiophène est

Isomérisation trans-cis (Stilbène)

Electrocyclisation (Diaryléthène)

29 | P a g e remplacé par un groupement benzothiophane, la formation d'endopéroxyde est sensiblement diminuée permettant de réaliser plus de 104 cycles de photo-commutation sans fatigue apparente[46].

Figure 9 : Représentation du couplage électronique photo-induit lors de l'électrocyclisation des dithiényléthènes (gauche) et spectres d'absorption des isomères (droite)

De manière générale, le photochromisme des dithiényléthènes est basé sur la photo-commutation entre une forme "ouverte" peu colorée et une forme "fermée" absorbant dans le visible. Contrairement aux azobenzènes, pour ces systèmes, le passage d'un état à l'autre s'accompagne d'un changement considérable des propriétés optiques et électroniques (Figure 9). Lorsque l'unité se présente sous sa forme ouverte, les deux cycles aromatiques sont électroniquement isolés ne permettant pas de communication entre les substituants R2. En revanche, sous irradiation UV la fermeture électrocyclique induit une élongation de la conjugaison des électrons π le long du squelette photochromique, favorisant alors l'interaction des groupements externes R2.

Cette particularité a notamment été mise à profit de façon novatrice par l'équipe de Jean-Marie Lehn dans les années 1990 afin de moduler le comportement redox d'un dérivé dithiényléthène par application de stimuli lumineux[47].

300 400 500 600 700 A b s o rb a n c e Longueur d’onde (nm) Forme ouverte Forme fermée

30 | P a g e

Figure 10 : Modulation de la réponse électrochimique entre -0,6 et 0,6 V d'un dithiényléthène portant deux

unités pyridinium dans CH3CN + TBATFB [0,1 M][47]

Pour cela, le photochrome a été substitué par deux unités pyridinium électrochimiquement actives (Figure 10). Dans la forme ouverte non conjuguée, les substituants se comportent de façon indépendante et se réduisent non réversiblement à un potentiel de -1,04 V (vs SCE)[48]. Sous irradiation à 365 nm, l'isomérisation vers la forme fermée permet alors une communication entre les pyridinium se traduisant par l'apparition de deux vagues de réduction mono-électroniques à -0,23 et -1,47 V. De manière judicieuse, considérant la fenêtre électrochimique entre -0,6 et 0,6 V (Figure 10), la différence de signature entre les deux isomères permet d'associer un état OFF à la forme ouverte non-active et un état ON pour la forme fermée. Cet exemple représente alors un prototype de fil moléculaire dont le transport électronique pourrait être modulé par la lumière entre un état OFF isolant et un état ON conducteur.

Récemment, l'équipe du Professeur Rigault a exploité cette aptitude en réalisant une jonction de transport moléculaire basée sur des fils organométalliques comprenant une unité dithiényléthène ainsi que deux centres métalliques de ruthénium, jouant le rôle de relais d'électrons entre les électrodes d'or et le photochrome[49] (Figure 11).

31 | P a g e

Figure 11 : Schématisation de la jonction de transport électronique à base de dithiényléthènes (gauche) et

caractérisation I-V en fonction de l'état du DTE[49] (droite)

Le dispositif présenté dans la Figure 11 a été réalisé par la méthode de lithographie sur fil permettant de créer des intervalles de taille précise entre deux fils d'or. Dans ce cas, des intervalles de 3 nm ont été fonctionnalisés de manière covalente avec plusieurs fils moléculaires organométalliques via une liaison S-Au, assurant une bonne connexion électronique entre les électrodes et le fil photo-commutable. Le dispositif fabriqué à partir de la forme fermée conjuguée affiche une conductance non négligeable, dépendante du nombre de fils moléculaires introduits : c'est l'état ON. Sous irradiation dans le visible (700 nm), le passage vers la forme ouverte s'accompagne d'une diminution de la conductance d'environ un ordre de grandeur, correspondant alors à l'état OFF. La réversibilité du processus a pu être confirmée en poursuivant l'analyse par une irradiation à 365 nm, permettant alors de recouvrir partiellement la conductance de l'état ON. Ce modèle exalte donc la potentialité des dérivés dithiényléthènes pour l'élaboration de nano-circuits en électronique moléculaire, photo-dirigés bi-directionnellement par la lumière.

Dans un autre contexte, ce changement de la répartition électronique a également été employé afin de modifier leurs propriétés chimiques, notamment la réactivité nucléophile comme dans l'exemple ci-dessous rapporté par l'équipe de Branda en 2006 (Figure 12).

Figure 12 : Photo-modulation de la nucléophilie d'une pyridine portée par un dithiényléthène

Volt (V) C o u ra n t A) Au Au Au Au

32 | P a g e

Le système admet une force nucléophile notoire dans son état ouvert permettant de réaliser des réactions de substitution nucléophile sur des dérivés halogénés[50] ou des réactions de complexation avec des centres métalliques[51]. En revanche, après irradiation dans l'UV, la conjugaison impliquée par la cyclisation relie électroniquement la pyridine nucléophile au pyridinium électro-accepteur diminuant alors fortement la disponibilité du doublet non-liant. De façon similaire, des travaux antérieurs menés par l'équipe de Jean-Marie Lehn en 1999 ont montré qu'il était possible d'influencer le pKa d'un groupement phénol en fonction de la communication photo-générée avec un groupement électro-accepteur de type pyridinium[52].