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1.5 Résumé du chapitre 1

2.1.1 Les différentes classifications climatiques

Différentes approches sont décrites dans cette section. La première est conçue pour étudier spécifiquement les niveaux d’aridité, tandis que les suivantes sont fondées sur la notion plus complexe de classe climatique.

L’approche strictement climatique

Une approche purement climatique de la caractérisation des régions semi-arides consiste à identifier celles-ci en recourant à un gradient de rapport entre précipitations (P) et de-mande évaporative (évaporation potentielle, EP) : l’aridité est d’autant plus forte que ce rapport P/EP est faible. Il est alors possible, à partir des scénarios climatiques futurs, de suivre l’évolution temporelle de ce rapport. En chaque point, on suit donc l’évolution du caractère plus ou moins aride des conditions locales.

Construire des classes, ou des enveloppes, climatiques (contenant un segment du gra-dient de rapport P/EP) permet en outre d’identifier un ensemble limité de zones présen-tant différents degrés d’aridité et de suivre l’évolution de leur répartition géographique. Cette approche permet de décrire le paysage climatique futur comme le déplacement à la surface terrestre d’enveloppes climatiques.

Figure 2.1 – Figure extraite de Feng et Fu (2013) : Aridification future. Zones

devenues plus arides à la fin du 21esiècle (période moyenne 2071-2100) par rapport à la situation à la fin du 20e siècle (1961-1990), selon le RCP 8.5. Ne sont représentées que les zones pour lesquelles 80% de 27 modèles s’accordent sur le sens du changement (vers une aridification).

Feng et Fu (2013) utilise le rapport P/EP comme un indice d’aridité jalonné de seuils définis par l’UNCCD : 0.65 (sub-humide), 0.5 (semi-aride), 0.2 (aride) and 0.05 (hyper-aride). La demande évaporative est calculée à partir de la formule de Penman-Monteith. Ils démontrent ainsi que la surface totale couverte par les régions arides les drylands

-a glob-alement commencé à s’-accroître -au debut du 20e siècle et que cette tendance va

se poursuivre dans le futur, selon deux scénarios climatiques. La figure 2.1 montre ainsi, pour un scénario climatique prolongeant la trajectoire actuelle des émissions de gaz à

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Figure 2.2 – Figure extraite de Feng et Fu (2013) : Changements du rapport P/EP

(barre supérieure), et des contributions de E (barre du milieu) et de P (barre inférieure) à ce changement, entre les périodes 1961-1990 et 2071-2100, pour le RCP 8.5. Les résultats sont obtenus pour 27 modèles, puis moyennés. Les barres d’erreur représentent l’écart-type de la dispersion entre les modèles. Les valeurs indiquées à droite montrent les changements de surface.

effet de serre, sans l’infléchir, que de nombreuses régions du monde vont connaître une aridification : en Amérique du Nord, en Europe et autour du bassin Méditerranéen, en Amérique et en Afrique du Sud, et dans le sud de l’Australie.

Cette approche permet en outre aux auteurs de séparer l’effet dû aux changements des précipitations, d’une part, et de la demande évaporative, d’autre part, sur le rapport final. Pour le RCP 8.5, ils montrent ainsi que la demande évaporative augmente dans tous les cas. Ce sont donc le sens et l’amplitude des changements de précipitations qui déter-minent l’aridification ou l’humidification des régions. Dans le cas des régions connaissant une aridification, c’est l’effet de l’augmentation de la demande évaporative qui domine largement la transformation des zones humides en zones subhumides sèches et de ces der-nières en zones semi-arides. Pour les autres transformations, c’est l’effet de la diminution des précipitations qui domine (voir la figure 2.2).

Cet article a été publié fin 2013, alors que le travail réalisé pour ce chapitre de thèse, suivant une autre approche, était en cours. Les résultats de ces travaux concomitants pourront donc être comparés. La démarche suivie par Feng et Fu (2013) est performante en ce qu’elle permet de représenter l’évolution du degré d’aridité à la surface du globe de manière objective. Elle permet en outre de discriminer l’effet du changement des pré-cipitations de celui du changement de demande évaporative en tout point de la grille terrestre. Cependant, cette approche ne s’affranchit pas tout à fait du caractère arbitraire des seuils fixés. Le choix de ces seuils d’aridité est justifié d’une part par leur utilisa-tion large (leur reconnaissance par l’UNCCD leur conférant un caractère quasi-officiel), d’autre part par la démonstration d’un recouvrement satisfaisant avec la répartition des écosystèmes arides. On observe en effet une bonne adéquation visuelle (voir figure 2.3) entre les zones identifiées comme climatiquement semi-arides et la répartition (à partir

Figure 2.3 – Figure extraite de Feng et Fu (2013) : Comparaison de la répartition de zones climatiques et écologiques. Comparaison de la répartition des zones semi-arides à la fin du 20e siècle (1961-1990), selon des observations climatiques (gauche), et de la répartition des prairies et des savanes d’après les observations du satellite ISLSCP II MODIS (Collection 4, 2010) IGBP Land Cover

d’observations satellites) de deux types d’écosystèmes : les savanes et les prairies.

L’approche fondée sur la caractérisation du degré d’aridité par le rapport des précipitations sur la demande évaporative est performante pour décrire l’évolution des zones arides dans leur ensemble. Son utilisation a permis de démontrer que l’aridification de zones déjà arides, ou humides, allait augmen-ter au cours du 21e siècle selon deux scénarios climatiques.

:

Cependant, si l’approche fondée sur l’indice d’aridité est performante pour étudier les régions sèches, elle ne permet pas d’étudier les niches climatiques des différents écosys-tèmes terrestres. Des approches alternatives sont mieux adaptées à cet objectif. Celles-ci soit s’inscrivent dans la même démarche d’objectivité climatique en réalisant des classifi-cations statistiques à partir d’un ensemble de variables climatiques plus large que celui de l’indice d’aridité, soit créent un ensemble d’unités climatiques fonctionnelles en se fondant sur leur signification écologique et anthropique.

L’approche bioclimatique

Parmi ces deux types de méthodes alternatives, la plus ancienne et la plus fréquemment utilisée est l’approche bioclimatique. Celle-ci consiste à construire un outil d’identification d’unités climatiques caractérisées par leur signification écologique. Les classes climatiques sont construites à partir de variables simples telles que la température et les précipitations. Les limites de classe sont fondées sur la connaissance empirique de niches fonctionnelles du point de vue de la destination de la classification ainsi construite.

La classification climatique la plus couramment utilisée dans la littérature scientifique est celle de Köppen-Geiger, tant pour sa facilité d’appréhension que pour les multiples validations d’usage dont elle a fait l’objet (par exemple Jylhä et al. (2010)).

La classification de Köppen, construite dans sa première version à la fin du dix-neuvième siècle (voir encadré), a été améliorée dans les décennies suivantes, bénéficiant tant de la progression des connaissances climatiques que des capacités technologiques.

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Histoire de la classification de Köppen

La classification climatique de Köppen-Geiger, largement utilisée aujourd’hui, est le résultat de décennies de développement et d’amélioration à partir de la première classification proposée par Köppen en 1884, dans l’article fondateur : " The thermal

zones of the Earth according to the duration of hot, moderate and cold periods and of the impact of heat on the organic world " .

Rubel et Kottek (2011) relate l’évolution historique du concept de zone climatique et des classifications climatiques associées depuis l’idée originelle d’un zonage latitu-dinal, dans la Grèce antique, à la délimitation des zones sur un critère thermique. Köppen introduisit le critère de variabilité intra-annuelle de la température, en dis-tinguant des zones selon la durée de saisons chaudes, modérément chaudes et froides. A la même époque, la première cartographie des précipitations moyennes annuelles fut établie, rendant possible l’élaboration d’une nouvelle classification fondée sur la conjugaison de deux critères, thermique et ombrométrique ; le mérite de cette nou-velle classification revient encore à Köppen (1900) (Griffiths (1977), cité par Rubel et Kottek (2011)).

Cette classification est fondée sur deux variables climatiques seulement, la température et les précipitations. Leur utilisation décline valeurs moyennes, extrêmes et saisonnalité. Les limites de classes sont fondées sur l’identification des niches climatiques associées à des « biomes » écologiquement identifiés. La classification de Köppen inclut donc une dimension fonctionnelle en prenant explicitement en compte des critères écologiques dans la délimitation des classes, ce que ne font pas les autres méthodes. L’interprétation des cartes de Köppen en termes de paysage écosystémique préférentiel est donc immédiate, et permet de comparer différentes époques et différents scénarios de manière générique.

Dans la même approche, une alternative existe : la classification climatique de Thorn-thwaite. Construite ultérieurement, cette classification repose sur le même principe mais inclut des critères de décision raffinés par rapport à ceux de la classification de Köppen. Du fait de sa complexité, cependant, la classification de Thornthwaite demeure moins utilisée aujourd’hui (Feddema, 2005).

Les deux classifications montrent des niveaux de performance comparables. Le choix de retenir ici la classification de Köppen est un choix de simplicité et de généricité : elle est à la fois plus intuitive et plus largement utilisée, y compris dans divers domaines scientifiques.

La classification climatique de Köppen est la plus utilisée dans les approches « bioclimatiques ». Moins « objective » mais plus générique que la classification fondée sur l’indice d’aridité, ou que les approches statistiques qui seront pré-sentées dans la section suivante, elle est porteuse de sens, adaptée à l’analyse de climats en transition et simple d’utilisation.

L’approche statistique

La troisième approche consiste à combiner objectivité de la classification et généricité pour toutes les unités bioclimatiques homogènes de la surface terrestre. Pour cela, l’ap-proche statistique consiste à sélectionner un ensemble plus ou moins grand de variables climatiques et de réaliser des classifications de ces variables par différentes méthodes.

Deux exemples de classification statistique du climat de surface sont livrés par Cannon (2012) et Metzger et al. (2013). Cette dernière étude propose de réaliser une « stratification environnementale ». Le principe est de réaliser une partition statistique à partir des va-riations entre variables climatiques indépendantes, en acceptant que les facteurs détermi-nants à l’échelle globale et continentale sont climatiques (Klijn et de Haes (1994) cité par Metzger et al. (2013)).

Au terme d’une analyse en composantes principales, Metzger et al. (2013) retient ainsi quatre variables, expliquant 99.9% de variabilité : le degré-jour de croissance (GDD), l’indice d’aridité (AI)1, la saisonnalité de la température et la saisonnalité de l’évapo-transpiration potentielle.

Figure 2.4 – Figure extraite de Metzger et al. (2013) : Classification hiérarchique

aboutissant à l’identification de 18 « zones environnementales globales ». Les cou-leurs (la répartition RVB) sont construites en utilisant les vacou-leurs moyennes obtenues pour les trois composantes principales : rouge pour la température, vert pour la saisonnalité et bleu pour l’aridité.

Chaque groupe (cluster ) est principalement déterminé par une de ces quatre variables, mais toutes les variables montrent une certaine influence sur chacun des groupes. Les deux premières variables (GDD et AI) sont les plus importantes. Il est arbitrairement décidé

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de discriminer 125 groupes par la classification hiérarchique. Ces groupes sont ensuite rassemblés en 15 à 20 « zones environnementales globales », auxquelles sont attribués des noms explicites, construits à partir des composantes principales les ayant déterminés (voir figure 2.4). Nous voyons que dans ce travail la définition des drylands inclut uniquement les climats chauds et présentant un gradient d’aridité (indiqué entre parenthèses) : secs (0.3-0.6), xériques (0.1-0.3) et arides (0-0.1). D’autres zones sèches sont identifiées parmi les climats tempérés chauds (zone « tempérée chaude et xérique ») et froids (zone « tempérée froide et xérique », zone « tempérée froide et sèche »). La classification obtenue montre une bonne concordance avec les résultats d’autres classifications climatiques reconnues,

notamment, à l’échelle globale, celles de Köppen et du WWF2. Cependant, comme

l’ob-jectif de cette méthode n’est pas de décrire des entités observables, il n’est pas possible de confronter directement les résultats à des observations. La validation de la classifica-tion obtenue par voie statistique en termes de correspondance écologique ne peut être effectuée que comme comparaison à un panel d’autres classifications de référence, pour rendre compte d’une occupation potentielle de la surface par différents biomes. La réfé-rence la plus courramment employée est la classification climatique de Köppen, qui relève de l’approche bioclimatique discutée plus haut.

L’étude de Cannon (2012) est motivée par l’objectif d’évaluer la performance de cette classification de référence par rapport à la classification statistique obtenue à partir des mêmes variables climatiques, mais sans application de seuils empiriques. Les résultats indiquent que les deux classifications sont performantes pour identifier les régions homo-gènes en termes de température, mais que la classification de Köppen est moins efficace en ce qui concerne les précipitations (la dispersion intra-classe est globalement plus éle-vée dans la classification de Köppen). L’explication en est que, dans la classification de Köppen, seules les classes appartenant au groupe des climats « arides » sont déterminées par un critère de précipitation ; dans la classification statistique, en revanche, les précipi-tations constituent un critère de discrimination pour trois classes sur cinq. Du point de statistique, la classification de Köppen présente donc une sensibilité trop importante à la température (Cannon, 2012).

La comparaison réalisée entre les classifications de Cannon (2012) et de Köppen valide donc la signification statistique des classes arides de cette dernière. Les régions identifiées comme arides par la classification de Köppen forment donc bien un ensemble homogène du point de vue de la distribution des variables climatiques. Néanmoins, les autres classes climatiques de cette classification comprennent également certaines zones aux conditions de précipitations proches de celles de la classe aride. Par conséquent, d’un point de vue statistique, l’utilisation des classes arides au moyen de la classification de Köppen néglige une partie des régions sèches réparties parmi les autres classes. Cependant, la classifi-cation de Köppen n’a pas pour objectif initial de discriminer statistiquement les classes climatiques homogènes, mais d’identifier les niches climatiques d’existence des grandes familles de végétation. Par conséquent, une sensibilité moindre aux variations des précipi-tations pour les classes non arides peut être interprétée comme une tolérance accrue des écosystèmes à ces variations, et une sensibilité supérieure aux variations de température.

Si l’approche bioclimatique ne produit pas des résultats extactement équi-valents à ceux des approches plus objectives d’un point de vue climatique, elle est cependant mieux adaptée à l’étude de la répartion des biomes. La

Figure 2.5 – Figure extraite de Fraedrich et al. (2001) : Changements dans la

classification de Köppen à la fin du 20e siècle. Classification de Köppen appliquée à

la climatologie moyenne des années 1901 à 1995 ; les changements survenus à la fin de cette période (1981-1995) sont indiqués en noir sur la carte. Les classes Ax, Bx, Cx, Dx et Ex ap-partiennent respectivement aux groupes des climats « équatoriaux », « arides », « subtropicaux », « tempérés », « boréals » et « polaires », selon la nomenclature de Fraedrich et al. (2001).

performance de la classification de Köppen à identifier ces aires de répartition de différentes formations végétales est validée par l’observation (par exemple Rohli et al. (2015)) et par son utilisation largement répandue dans différents domaines, ce qui constitue une validation par l’usage. Elle a en outre prouvé sa performance comme outil d’analyse des transitions écoclimatiques, ainsi que nous allons le voir dans la section suivante.