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VII.1 Dangers associés au traitement à l’EpoRH

L’EpoRH est un agent neuroprotecteur puissant qui ouvre des perspectives encourageantes dans le traitement des accidents et maladies neurologiques. Malheureusement, comme de nombreuses molécules thérapeutiques, l’EpoRH est susceptible de provoquer des effets secondaires néfastes. L’effet physiologique le plus connu de l’EpoRH est la stimulation de l’hématopoïèse. Le traitement à l’EpoRH augmente l’hématocrite (rapport entre le volume des globules rouges et le volume sanguin total) en favorisant la production d’érythrocytes. C’est pourquoi, le traitement à l’EpoRH est utilisé afin de traiter les anémies, notamment chez les patients victimes d’insuffisance rénale et chez les patients cancéreux rendus anémiques par le traitement chimiothérapique. Le 17 avril 2007, les sociétés Amgen et Janssen-ortho ont publié un rapport alarmant sur l’usage de l’EpoRH chez des patients anémiques. En effet, plusieurs études cliniques ont arrêté prématurément le traitement à l’EpoRH car il augmentait la mortalité et le risque de troubles cardio-vasculaires chez les patients anémiques. Dans ce contexte, les risques associés au traitement à l’EpoRH sont engendrés par des modifications durables des propriétés hémodynamiques du sang.

Eu égard de ce rapport, la communauté scientifique est en droit de s’interroger sur la pertinence d’étudier les effets neurologiques d’une molécule qui s’est avérée dangereuse dans un autre contexte. Néanmoins, selon Hannelore Ehrenreich, ces risques sont inexistants dans le cadre de traitement à l’EpoRH de courte durée dès que i) les paramètres hématologiques des patients sont scrupuleusement surveillés et ii) les critères d’exclusion sont choisis avec précaution 59,60,62. Les résultats des études cliniques (voir paragraphe IV.5.b) montrent en effet que les patients victimes d’accident/ maladie neurologique traités à l’EpoRH ne connaissent pas d’aggravation de leur pathologie, ni de problèmes cardiovasculaires. Ceci peut notamment s’expliquer par le fait que l’augmentation de l’hématocrite chez ces patients n’est pas maintenue assez longtemps pour entraîner des perturbations du système cardio-vasculaire.

Néanmoins, depuis quelques années, dans un soucis de précaution, de nombreux efforts sont consacrés au développement de nouvelles molécules d’Epo qui conservent une activité neuroprotectrice tout en étant dépourvues d’activité hématopoïétique.

VII.2 Les dérivés non hématopoïétiques de l’EpoRH et leurs effets neuroprotecteurs

VII.2.a Asialo-Epo

L’asialo-Epo est une molécule obtenue après digestion enzymatique des acides sialiques de l’EpoRH. Sa demi-vie plasmatique étant très faible en comparaison à la protéine native, l’asialo-Epo n’a pas d’effet hématopoïétique 67. En revanche, trois études ont montré que le traitement à l’asialo-Epo était neuroprotecteur dans des modèles d’ischémie cérébrale 67,273, de compression de la moelle épinière et du nerf sciatique 67 et de sclérose multiple 163. Les résultats démontrent en effet que l’asialo-Epo protège le SNC et permet une récupération des fonctions cognitives de manière identique à l’EpoRH. L’asialo-Epo se lie à l’homodimère [EpoR]2 avec la même affinité que l’EpoRH 67. Toutefois, dans un modèle de maladie de Parkinson, l’asialo-Epo s’est montré inefficace pour protéger les neurones et améliorer les performances cognitives et fonctionnelles 80.

VII.2.b L’Epo carbamylée

La carbamylation des lysines de l’EpoRH en homocitrulline modifie la conformation et la fonction de la molécule. L’EpoRH carbamylée (CEpo) est dépourvue d’effet hématopoïétique 175 puisque son injection à de fortes doses chez des rongeurs, ne modifie ni la concentration en hémoglobine dans le sang, ni l’hématocrite 137,153. En revanche, plusieurs études récentes montrent que la CEpo possède des effets neuroprotecteurs comparables à l’EpoRH. A l’heure actuelle, les effets bénéfiques de la CEpo ont été observés dans des modèles in vivo d’ischémie cérébrale 137,265,274, de sclérose multiple 163, de compression du nerf sciatique et de la moelle épinière 137, d’irradiation cérébrale 66, de neuropathie diabétique 137,211 et d’encéphalite 137. Le traitement à la CEpo exerce des effets anti-apoptotiques et anti-inflammatoires 163,265,274 et stimule la neurogenèse 153. En outre, la protection tissulaire observée chez les animaux traités à la CEpo s’accompagne d’une amélioration des capacités d’apprentissage 153 et d’une récupération des fonctions (sensori) motrices 66,137,265.

L’ensemble de ces résultats montre donc que la CEpo, qui ne possède pas d’activité hématopoïétique, exerce des effets neuroprotecteurs. La perte de son activité hématopoïétique s’expliquerait par son manque d’affinité pour l’homodimère [EpoR]2, comme il l’a été démontré sur des cellules de lignées neuronales UT-7 137. Ce dernier résultat suggère que la CEpo exercerait son action neurobiologique en se fixant à un site de liaison alternatif présent dans le SNC.

VII.3 Identité du site de liaison de l’Epo dans le SNC : controverse ?

La CEpo ne se fixe pas sur l’homodimère [EpoR]2 mais exerce tout de même des effets neuroprotecteurs. Ce résultat implique qu’il existe un récepteur à l’Epo différent de [EpoR]2, responsable des effets de l’Epo dans le SNC. Il a été proposé que ce récepteur soit un hétérodimère constitué d’un monomère d’EpoR et du récepteur de la chaîne β-commune (βc) 22. La chaîne βc est associée aux récepteurs de l’IL-6, l’IL-3 et du GM-CSF (pour Granulocyte-Macrophage Colony-Stimulating Factor). Cette théorie explicitée dans une revue de Nature Neurosciences 22 reste sujette à controverse, les arguments en « faveur » et les arguments en « défaveur » de cette théorie sont présentés ci-dessous :

Arguments en « faveur » du complexe EpoR/ βc dans le SNC

Les traitements à l’EpoRH et à la CEpo protègent la moelle épinière chez les souris sauvages, mais pas chez les souris KO-βc, suggérant que la βc soit indispensable aux effets neuroprotecteurs de ces deux molécules 23. En outre, le fait que les souris KO-βc ne présentent pas de problème d’hématopoïèse implique que le récepteur de l’Epo responsable de la production d’érythrocytes ne comprenne pas la βc.

L’EpoR est lié avec la βc sur la membrane plasmique des cellules P19 (lignée de tératocarcinome murin), ce qui montre que l’association entre ces 2 protéines est possible 23.

L’association entre l’EpoR et la βc est fonctionnelle comme en témoigne une étude sur des cellules Ba/F3 (lignée myéloïde/lymphoïde murine). En effet, les cellules Ba/F3 qui expriment l’EpoR, présentent une plus grande sensibilité à l’EpoRH lorsque le gène βc est transfecté dans ces cellules 115.

Arguments en « défaveur » du complexe EpoR/ βc dans le SNC

Les effets anti-apoptotiques de l’EpoRH passent par l’homodimère [EpoR]2 dans deux lignées cellulaires de type neuronal, les cellules PC12 (phéochromocytome de rat) et SH-SY5Y (neuroblastomes humain) 255. En effet, non seulement l’EpoRH ne protège pas les cellules dès lors que l’expression de l’EpoR est réprimée, mais en plus les cellules PC12 et SH-SY5Y n’expriment pas la βc, compromettant ainsi toute alliance de l’EpoR avec la βc 255.

Chez le rat adulte, l’EpoRH protège les neurones de l’hippocampe après un Status

Epilepticus alors que l’expression de la βc dans les neurones de cette région cérébrale

est particulièrement faible et que celle de l’EpoR est importante 176.

A l’exception de la publication de 2004 sur la souris KO-βc 23, aucune étude n’a permis de renforcer l’hypothèse selon laquelle les sites de liaisons de l’Epo dans le SNC seraient composés d’un monomère d’EpoR et d’un homodimère de βc. Aujourd’hui, une simple caractérisation de l’expression cérébrale de l’EpoR et de la βc permettrait de savoir si la βc est présente dans les neurones. Cette information est indispensable pour démontrer une quelconque implication de la βc dans la neuroprotection par l’Epo.