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Les déterminants de la constitution des réseaux étudiants

1. Les sources de l’intégration sociale étudiante

1.2. Les déterminants de la constitution des réseaux étudiants

Les enquêtes menées par Coulon (Coulon et Paivandi, 2008) montrent que durant les premières semaines, les interactions entre étudiants sont notamment relatives au fonctionnement de l’université et aux règles qui régissent ce nouveau monde. Il s’agit là d’une première phase de leur socialisation, servant autant à vérifier leur propre compréhension des règles et à s’entraider qu’à esquisser les traits de futures relations

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sociales. Montfort (2003) montre à ce titre que les « voisinages » de la première heure sont souvent à l’origine des relations durables relevées plus tard et notamment des relations de travail les plus solides. Il apparaît également que ce type de relations demeure intra-niveaux, peu d’échanges s’effectuant entre étudiants issus de niveaux différents dans une même formation. En effet, les petits groupes informels sont issus de la coprésence en cours ou de la collaboration studieuse exigée dans le cadre d’exercices ou de devoirs à rendre ou à présenter (Molinari, 1992).

a. Des dispositions communes

Bien que rattachées à l’activité studieuse, les relations de travail entre étudiants, qui renvoient aux interactions internes dans notre définition de l’intégration sociale étudiante (cf. chapitre I), auraient un effet bénéfique sur l’intégration des primo-entrants, ces derniers étant ceux qui présentent le plus de difficultés à nouer des contacts menant à des relations durables (Boyer, Coridian et Erlich, 2001), mais aussi sur leur réussite car elles contribuent parallèlement à améliorer le travail personnel effectué par les étudiants individuellement (Millot et Orivel, 1980 ; Bédarida, 1994). Ces relations de travail émergent souvent d’une disposition commune entre deux ou plusieurs étudiants, qu’il s’agisse d’une disposition spatiale, car ils se sont assis à côté en cours, ou d’une disposition didactique où la relation sert à combler le manque d’information transmise par l’institution, à rassurer, à tester sa propre compréhension et à préparer une réponse au travail demandé (Montfort, 2003). C’est un besoin partagé qui rapproche des étudiants et contribue à la création de relations de travail et de relations sociales, le groupe ainsi constitué servant dès lors de référent. Contrairement à ce que laisserait penser leur faible engagement associatif, les étudiants ne sont donc pas pour autant individualistes et affirment l’existence d’une solidarité étudiante, de même qu’ils déclarent majoritairement travailler souvent avec d’autres étudiants (Galland, 1995). L’entraide étudiante serait même une partie dominante du processus de socialisation qui conduit à la formation de groupes, de réseaux et d’amitiés chez les étudiants : ceux qui sont peu prompts à pratiquer l’entraide seraient implicitement écartés du processus de socialisation (Merle, 1997). Les enquêtes de l’OVE montrent à ce sujet qu’un tiers des étudiants se dit globalement satisfait de l’entraide existant entre étudiants à l’université, ce taux augmentant légèrement d’une enquête à l’autre (Vourc’h, 2009).

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Au-delà de la disposition didactique et de la coprésence studieuse, les caractéristiques sociodémographiques des étudiants peuvent également être abordées afin d’envisager comment elles structurent les relations sociales entre étudiants mais aussi la composition du réseau social. Dans leurs analyses, Chapman et Pascarella (1983) relèvent en effet des différences en termes d’intégration sociale en fonction du genre, de l’âge, du statut social ou encore du passé scolaire des étudiants. De même, chez Berger et Milem (1999), le genre et l’origine sociale des étudiants apparaissent comme des facteurs fortement explicatifs de l’implication dans les relations interpersonnelles avec les pairs et in fine de l’intégration sociale.

b. Le genre

Pour ce qui est du genre, les recherches américaines relèvent une plus forte implication des filles dans les interactions entre pairs, notamment les activités sociales et les conversations informelles en dehors des cours, ainsi qu’une plus grande satisfaction vis-à-vis de ces relations sociales (Chapman et Pascarella, 1983 ; Berger et Milem, 1999). Le genre affecterait notamment la disposition à solliciter l’aide de ses pairs et à rechercher leur soutien émotionnel, les garçons étant moins enclins à exprimer leurs émotions et à verbaliser leur besoin d’assistance au nom de l’affirmation de leur masculinité et du conformisme aux stéréotypes de genre (Pollack, 1998), ce qui réduit les opportunités de soutien social reçu au sein du réseau et amenuise dès lors les possibilités d’intégration, sociale comme académique, à l’université (Tremblay et al., 2006). Par ailleurs, ils tendent à favoriser les activités externes telles que les activités sportives ou professionnelles, et moins souvent les activités pro-scolaires davantage associées à un comportement féminin. En termes de sociabilité étudiante, les garçons se montrent plus extravertis et privilégient les sorties et soirées étudiantes ainsi que les activités sportives, alors que les filles favorisent les sorties culturelles (Erlich, 1998).

Le genre agit en outre sur les lieux de socialisation fréquentés (Duclos, 2011), les garçons privilégiant les espaces consacrés aux activités sportives alors que les filles privilégient les lieux de vie telles que les résidences universitaires, ce qui induit le type d’interactions. Les garçons, notamment en début de parcours, investiraient davantage dans le développement de leur réseau social, prioritairement à leurs études, ce qui induit le type d’interactions au sein du réseau (Larose et Roy, 1993). La socialisation des garçons, de par

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son caractère stéréotypé, serait ainsi moins favorable à leur adaptation scolaire, y compris à l’université, ainsi qu’à leur adaptation sociale (Dusek, 1987). Dès lors, les garçons seraient plus enclins à présenter des difficultés socioaffectives et scolaires à l’arrivée à l’université ce qui influerait négativement sur leur degré d’intégration (Larose et Roy, 1994). Les réseaux sociaux des garçons se construisent davantage sur un rapport ludique ou de comparaison, ce qui leur permet de se situer et de réaffirmer leur valeur personnelle (Richard et Robbins, 2000), mais se révèlent moins intimistes que les réseaux des filles, plus à même de fournir un soutien scolaire et émotionnel (Larose et Roy, 1994). Enfin, le genre affecte également le type de fréquentations puisque les filles présenteraient une plus grande diversité dans leurs relations, fréquentant davantage des personnes qui ne suivent pas d’études (Erlich, 1998).

c. L’origine sociale

Autre indicateur relevant des caractéristiques sociodémographiques des étudiants, l’origine sociale est également un facteur pouvant insuffler des rapprochements entre étudiants (Montfort, 2003). Plusieurs travaux ont en effet relevé que les étudiants qui composent un même réseau d’appartenance disposent généralement de capitaux économiques et culturels proches (Molinari, 1992 ; Beaud, 1997). Ainsi la constitution des réseaux étudiants illustrerait la composition sociale à l’intérieur des formations. En outre, pour Clémençon (1995, p. 125), le milieu social d’origine et l’éducation qui en découle « prédispose différemment aux contacts sociaux » les étudiants, révélant un effet culturel qui se matérialise par une propension à sortir différente selon la catégorie sociale d’origine. Pour l’auteur, « le domaine des sorties demeure sans doute le domaine de la vie étudiante qui reste le plus marqué par les effets de la catégorie sociale » (p. 125). L’étude menée par Berger et Milem (1999) montre ainsi que pour les étudiants, le fait d’être issu de familles aisées influe positivement sur l’implication avec les pairs. Il faut bien sûr considérer à ce niveau que le milieu socioéconomique d’origine implique une situation financière qui n’est pas sans incidence sur les moyens pouvant être investis pour garantir l’intégration. Aussi Clémençon (1995, p. 119) rappelle que la sociabilité étudiante « croît avec le statut social », en ce sens que les individus socialement favorisés développent davantage de relations amicales alors que les individus plus modestes ont davantage de relations familiales. Pour autant, l’adhésion au statut d’étudiant et l’investissement dans les relations sociales avec d’autres étudiants peut être plus forte chez les étudiants socialement défavorisés, car elle s’associe à un éloignement

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subjectif renforcé vis-à-vis des parents (Galland, 1995), le milieu étudiant et son intégration pouvant représenter pour ces étudiants une sorte de promotion sociale qui passe par l’assimilation au groupe majoritaire. Enfin, l’influence du milieu social d’origine transparaît également dans le cas des étudiants étrangers dans la mesure où le fait d’être issu d’un milieu favorisé dans le pays d’origine semble faciliter l’intégration dans la société d’accueil (Duclos, 2011).

d. La nationalité

La nationalité des étudiants constitue un autre indicateur sociodémographique pouvant influer sur les relations sociales à l’université. A l’intérieur des cités universitaires, la nationalité des étudiants peut effectivement agir comme un facteur de sociabilité plus ou moins discriminant, les étudiants étrangers organisant généralement leurs relations sociales en fonction de leur origine géographique (Erlich, 1998), conduisant à la création de réseaux communautaires constitués autour d’une origine partagée. Pour les étudiants étrangers, le groupe représenté par les autres étudiants de même origine apparaît comme un espace de socialisation et d’entraide privilégié, et d’autant plus dans le cas des étudiants arrivés antérieurement et déjà intégrés à l’université (Duclos, 2011). Se rapprocher d’étudiants issus de la même origine culturelle permet d’obtenir le soutien nécessaire à l’arrivée dans l’établissement et à l’apprentissage des codes et valeurs partagés au sein de la société d’accueil, mais permet également d’atténuer le choc pouvant résulter de la confrontation culturelle. Pour ces étudiants, l’intégration sociale se résume donc généralement à une socialisation au sein du groupe partageant les mêmes caractéristiques, ethniques voire religieuses, mais n’implique l’ouverture à la société d’accueil que pour une minorité d’entre eux qui correspond aux plus âgés. Leur socialisation s’effectue notamment par les lieux de regroupement de leur culture d’origine mais aussi par le biais des résidences universitaires et des centres d’activités sportives du campus qui sont vus comme étant des lieux favorisant leur intégration (Duclos, 2011). Si cette proximité géographique et culturelle peut être vue comme un facilitateur social, on a pu évoquer précédemment que ce maintien d’une culture d’origine peut également se faire au détriment de l’ouverture à la culture étrangère (Berry, 1997), ce qui inclut les étudiants originaires du pays d’accueil.

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e. Le mode d’hébergement

Enfin, le mode d’hébergement des étudiants peut également être mobilisé en vue d’expliquer ce qui induit les rapprochements entre étudiants. En effet, le recours à la sociabilité étudiante est par exemple plus important pour les étudiants décohabitants, puisque confrontés à la solitude que génère la prise d’un logement indépendant (Bonnet, 1997). Par ailleurs, les travaux de Grayson (1997) indiquent que le fait de résider au sein du campus dans les résidences étudiantes peut également promouvoir l’engagement des étudiants dans la vie de l’université et l’intégration sociale étudiante. Le fait de résider en cité universitaire favoriserait en effet la fréquence des relations amicales, alignant ainsi la proximité spatiale à une proximité affective, la première favorisant les relations d’entraide et de bonne entente qui induisent la seconde (Erlich, 1998).

La socialisation des étudiants émane donc du partage d’une condition commune, la condition étudiante, mais cette dernière n’est pas pour autant indifférente aux différences, le genre, l’origine sociale ou encore la nationalité régissant également la constitution des réseaux étudiants et les interactions sociales qui en découlent, ces caractéristiques n’étant dès lors pas indépendantes les unes des autres. Remplissant des fonctions diverses, assurant l’affiliation et l’acculturation nécessaires à leur intégration à l’université, la sociabilité étudiante semble en outre participer d’un autre apprentissage, se juxtaposant aux apprentissages découlant de la formation suivie, et auquel les étudiants se retrouvent confrontés mais à des degrés différents : l’autonomisation ou l’apprentissage du « rôle d’adulte » (Galland et al., 1995). Comme le souligne Bonnet (1997, p. 70), « l’essence sociale de la pratique du groupe étudiant est d’être une pratique transitionnelle ». Aussi les études peuvent constituer un sas, un passage entre deux modes de vie. Cependant, inégalement situés le long de ce processus et poursuivant des études pour des raisons variées, les étudiants mobilisent le réseau étudiant et les interactions sociales à des degrés différents.

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