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CHAPITRE III – Le droit à l'égalité sous le regard de la Postmodernité

2. Les convictions politiques réelles ou perçues

Pour définir le motif interdit de discrimination des convictions politiques, il faut se demander ce qui est politique dans notre société au sens de la Charte québécoise. Or, la définition du politique est une tâche ardue, notamment parce que ce qui est conceptualisé comme politique varie en fonction des époques; il suffit de comparer l’interventionnisme minimal de l’État moderne et le rôle joué par l’État providence pour s’en convaincre. Ainsi, le Chapitre I nous a permis d’établir qu’une conception stato-centriste du politique domine la période de l’établissement de l’État libéral démocratique moderne. Le politique référe alors à la seule participation aux structures de l’État et aux seuls sujets en lien direct avec les actes de l’État. Cette première définition du politique, bien que restrictive, nous indique tout de même la protection minimale offerte par l’interdit de discrimination fondée sur les convictions politiques. Est discriminatoire la distinction, l’exclusion ou la préférence fondée sur la participation d’une personne aux structures étatiques comme le fait d’être un élu ou un candidat, d’être membre d’un parti politique ou encore de contribuer en tant que citoyen à une instance étatique (en commission parlementaire ou lors d’une assemblée municipale par exemple). L’est également une prise de position directement en lien avec les actions de l’État comme la dénonciation des politiques du gouvernement ou de leur

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exécution par l’administration publique, la réprobation de l’inaction étatique sur un enjeu ou la critique des prises de position d’un élu, d’un candidat ou d’un parti politique. Nous avons vu au Chapitre II qu’une telle définition du politique ne cadre pas parfaitement avec les paradigmes qui président à la reconnaissance de libertés et de droits fondamentaux au XXe siècle et à leur interprétation judiciaire. La Cour suprême du Canada considère que

la liberté d’expression doit être comprise à la lumière des trois valeurs qui la sous-tendent, dont celle, parfois présentée comme la plus importante, de la discussion publique dans un régime démocratique. Celle-ci vise la protection de la participation citoyenne non plus uniquement aux structures étatiques mais plus largement aux débats publics. Ainsi, le type de participation que l’on veut préserver de la discrimination politique englobe non seulement nos exemples précédents mais également l’appartenance à un groupe de pression ou de réflexion politique tout comme la présence à une manifestation, un rassemblement ou tout autre évènement de de contestation ou d’échanges de nature politique. De même, est protégée la prise de parole dans les médias et lors de toute forme d’assemblée ou de réunion en dehors des structures étatiques. Il faut de plus rappeler que la liberté d’expression garantie toutes les formes d’expression, à l’exclusion du recours à la violence. Ainsi, seront visées les convictions politiques énoncées verbalement ou à l’écrit, par le port d’un symbole politique ou la production d’une œuvre artistique et même, par la simple présence à une activité politique. Il faut ici rappeler que la partie demanderesse doit prouver que le traitement qu’elle allègue fut fondé sur ses convictions politiques réelles ou perçues. Ainsi, elle pourra mettre en preuve toutes manifestations de ses opinions véritables, connues du défendeur et susceptibles d’avoir influencées ce dernier mais elle pourra également établir que le défendeur a agi de la façon reprochée parce qu’il lui a attribué erronément une conviction politique. Par exemple, un passant aux abords d’un rassemblement partisan peut être victime de discrimination politique bien qu’il n’ait absolument rien à voir avec le groupe visé, tout comme une personne peut être victime par association aux idées politiques de son conjoint ou d’un membre de sa famille.

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sur les «questions d’intérêt public», nous croyons que le politique ne peut plus référer strictement à la direction de l’État, c’est-à-dire que les sujets pouvant être qualifiés de politique ne doivent pas être limités à ceux liés aux actions étatiques. Pour une protection complète de la libre discussion, la prohibition de la discrimination politique doit viser les opinions exprimées par une personne quant à l’État mais également quant aux actions d’autres acteurs qui occupent une position leur permettant d’influencer les choix collectifs d’une société. Cette conclusion concorde avec la protection de la liberté d’expression sur les questions d’intérêt public qui assure aux citoyens de pouvoir critiquer autant des acteurs publics que des acteurs privés. En effet, une définition stato-centriste du politique risque d’offrir une protection incomplète qui délaisse un pan important des espaces où se prennent des choix politiques. Par exemple, une revendication exigeant l’abandon, lors de la fabrication d’un bien, du recours à un produit considéré dangereux pour la santé humaine ou pour l’environnement nous semble présenter un aspect politique, peu importe que cette demande soit adressée à la compagnie produisant le bien en cause ou à l’État afin qu’il établisse une interdiction. En ce sens, nous avons proposé au Chapitre III que les convictions politiques réfèrent aux opinions quant aux choix portant sur des questions collectives. Nous croyons que c’est sous cet éclairage qu’il faut comprendre la définition sommaire proposée par le juge Lebel alors qu’il siégeait à la Cour d’appel du Québec : les convictions politiques réfèrent aux « débats sur l’organisation ou le fonctionnement de la société, ses buts ou sa nature »1. D’ailleurs, le Service de recherche de la Commission des

droits proposait en 1983 que le politique renvoie au pouvoir et à la lutte autour du pouvoir dans une société, que ce pouvoir soit relié ou non à ses instances politiques formelles2.

Ainsi, lors de l’analyse visant à établir l’existence d’une discrimination prima facie, le critère exigeant que l’acte attaqué se fonde sur les convictions politiques d’une personne sera atteint par la démonstration que cet acte fût influencé par l’opinion du demandeur quant à un choix collectif. Dans sa forme la plus achevée et la plus complexe, une telle conviction prendra la forme d’une «idéologie politique», ce que le Service de la recherche

1 Morel c. Corporation de Saint-Sylvestre, [1987] D.L.Q. 391 (C.A.) (j. LeBel). Voir notre analyse de cette

décision : supra, Chapitre introductif, 2.

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de la Commission des droits définissait en 1983 comme un système de pensée qui questionne l’organisation et l’exercice du pouvoir, de même que les politiques concrètes qui en découlent3. Nous ajoutons cependant que la notion de conviction politique doit aussi

inclure l’adhésion à une proposition plus modeste quant à l’organisation et l’exercice du pouvoir afin que soit tout autant protégée la personne qui ne se revendique pas d’un système idéologique complet et explicité. La liberté d’opinion, en tant que droit individuel, permet aux personnes de développer une pensée originale qui n’a pas à être conforme à une idéologie politique monolithique, ni à atteindre un niveau de sophistication digne d’un penseur en sciences politiques.