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De nombreuses études attestent de la difficulté des enfants présentant des troubles du langage à entrer en interaction avec leurs pairs. En effet, ces enfants seraient plus en retrait et plus réticents à aller vers les autres. Fujiki, Brinton, Morgan et Hart (1999) ont demandé aux

remplir, pour chacun d’entre eux, le

Teacher Behavioral Rating Scale

(i.e., TBRS, Hart & Robinson, 1996). Cette échelle mesure les comportements sociaux des enfants. Elle est composée de 161 items qui traitent de différents aspects comportementaux tels que l’agressivité, le retrait et la sociabilité. Le retrait regroupe plusieurs composantes : le retrait solitaire actif, qui est défini comme l’exclusion volontaire de l’enfant par ses pairs (e.g., « l’enfant anime des jouets près de ses pairs sans aucune interaction ») ; le retrait solitaire passif, défini comme une volonté de la part de l’enfant de se mettre en retrait pour jouer seul (e.g., « l’enfant réalise des constructions tout seul ») ; et enfin la réticence qui est la peur d’aller vers l’autre, malgré une volonté d’interagir avec ses pairs (e.g., « l’enfant regarde fixement ses pairs sans interagir »). De même, la sociabilité regroupe plusieurs composantes telles que le contrôle de l’impulsivité (e.g., « l’enfant modère les conflits avec ses pairs ») , la sympathie (e.g., « les autres enfants aiment être avec lui ») et les comportements prosociaux (e.g., « l’enfant réconforte un autre enfant quand il pleure »). Les résultats de cette étude révèlent, d’une part, que les enfants avec TL présentent davantage de comportements de retrait de type réticence que leurs pairs au développement typique. D’autre part, les résultats indiquent que les enfants avec TL contrôlent moins leur impulsivité que les enfants au développement typique. Ils montrent également moins de comportements prosociaux.

Dans une autre étude, Fujiki, Brinton, Isaacson et Summers (2001) ont observé le comportement et les interactions d’enfants avec TL et sans TL âgés de 6 à 10 ans. Pour cela, ils ont installé plusieurs caméras dans la cour de récréation, puis ils ont fixé des microphones sur certains enfants. Les enregistrements sont ensuite analysés selon la méthode de Hart, DeWolf, Wozniak et Burts (1992) qui consiste à classer chaque comportement selon les catégories suivantes : (1) interaction avec les pairs, (2) interaction avec les adultes, (3) retrait, (4) agressivité, (5) victimisation et (6) autre. Les résultats de cette étude montrent que les deux principales conduites observées sont les interactions avec les pairs et les comportements

de retrait. Ainsi, les enfants avec TL passent moins de temps à interagir avec leurs pairs, et plus de temps à être en retrait. A l’inverse, les enfants au développement typique passent plus de temps à interagir avec leurs pairs, et moins de temps à être en retrait.

Ces études indiquent une certaine difficulté, pour les enfants avec TL, à être en interaction avec les autres. Ceci peut être expliqué en partie par leur trouble du langage. En effet, leur communication verbale étant altérée, cela engendre des difficultés pour entrer en interaction avec autrui. Mais cela peut également être expliqué par leur difficulté à décoder les émotions. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, les enfants avec TL ont de moins bonnes performances que leurs pairs au développement typique lorsqu’il s’agit d’identifier les émotions. Sans aucun doute, les difficultés de communication entrainent un manque d’expérience dans les échanges émotionnels. Ce manque d’expérience ne permet pas à l’enfant de s’adapter correctement à l’autre et augmente ainsi sa difficulté à interagir avec ses pairs.

Au regard de ces connaissances, étudier le développement émotionnel s’avère très intéressant dans les pathologies, et en particulier lorsque nous nous intéressons aux troubles du langage. En effet, l’étude de la compréhension des émotions chez les enfants avec TL permet d’apporter des éléments de réflexion quant aux difficultés sociales rencontrées par ces enfants. Ainsi, il est probable que le retrait observé chez les enfants avec TL soit en partie dû à leurs difficultés à comprendre l’émotion d’autrui et à réagir de manière adaptée. De plus, une meilleure connaissance du développement émotionnel des enfants avec TL pourrait permettre de proposer des outils plus adaptés pour évaluer leur compréhension des émotions en entretien clinique, mais également de favoriser le développement d’outils dans le but d’améliorer cette capacité au quotidien.

PROBLÉMATIQUE

De nombreuses études se sont intéressées au développement des capacités à comprendre les émotions et à les marquer graphiquement dans un dessin, mais peu d’entre elles ont examiné ces capacités de façon conjointe. A notre connaissance, seulement deux travaux ont observé le développement de ces deux capacités dans une même étude (Brechet et al., 2009 ; Brechet & Jolley, 2014). Ces deux études ouvrent la voie à une nouvelle ligne de recherche. En effet, en s’intéressant conjointement aux habiletés de compréhension émotionnelle et de marquage graphique des émotions chez l’enfant, ces travaux semblent indiquer que les enfants ont recourt à des connaissances émotionnelles communes pour comprendre une émotion dans un récit et pour marquer cette émotion dans un dessin. Ainsi, les enfants peuvent utiliser leurs connaissances à propos des situations prototypiques des émotions, mais également avoir recours aux termes émotionnels et/ou aux expressions faciales pour identifier l’émotion suggérée dans une histoire. De même, les enfants peuvent utiliser leurs connaissances à propos des expressions faciales pour marquer une émotion dans leur dessin. Les études de Brechet et collaborateurs (2009, 2014) apportent des éléments de réflexion quant à la relation pouvant exister entre les habiletés de compréhension et de marquage des émotions. Toutefois, les connaissances issues de ces travaux mériteraient d’être approfondies, notamment en ce qui concerne le décalage pouvant exister entre ces deux capacités en fonction des émotions mais également en fonction de l’âge. Par exemple, Brechet et Jolley (2014) n’ont comparé que deux groupes d’âge (i.e., 7 et 10 ans), et soulignent l’intérêt de s’intéresser à un échantillon plus large regroupant des enfants de différents groupes d’âge. Les travaux de Brechet et collaborateurs (2009, 2014) nous ont amené à nous intéresser à la question suivante : Quel décalage existe-t-il entre les capacités des enfants à

comprendre les émotions et à les représenter graphiquement dans un dessin ? Les deux premières études réalisées dans le cadre de ce travail de thèse permettront de répondre à cette première question.

Par ailleurs, les travaux de Brechet et collaborateurs (2009, 2014) ne se sont pas particulièrement intéressés à l’influence du genre sur les capacités des enfants à comprendre et à marquer les émotions dans un dessin. Pourtant, certains travaux examinant l’une ou l’autre des deux capacités de manière indépendante font état de meilleures compétences chez les filles que chez les garçons (e.g., Blanc, 2010 ; Picard & Boulhais, 2011). D’autres constatent également des différences liées au genre mais davantage fonction de l’émotion considérée (e.g., Brechet, 2013 ; Parmley & Cunningham, 2008). Plus précisément, selon l’émotion que les enfants doivent comprendre ou représenter graphiquement, le genre de l’enfant et/ou le genre du personnage influenceraient l’identification et le marquage de cette émotion (Brechet, 2013). Toutefois peu de travaux se sont intéressés à l’influence du genre de l’enfant et/ou du genre du personnage sur les capacités à identifier et à représenter les émotions au regard des stéréotypes liés au genre, ce qui nous a amené à nous poser la question suivante : Est-ce que les enfants identifient et représentent les émotions de manière différente suivant leur genre et/ou le genre du personnage, conformément aux stéréotypes liés au genre, véhiculés par les

display rules

? Même si la première étude abordera cette question de manière succincte, la seconde étude réalisée dans le cadre de ce doctorat nous permettra d’apporter des éléments de réponse à cette seconde question de recherche.

Outre cet aspect fondamental, cette thèse a également une visée plus appliquée, en lien avec les problématiques actuelles en matière de santé. Nous nous sommes ainsi intéressées à une pathologie bien particulière que sont les troubles du langage oral. En plus des difficultés à communiquer verbalement, les enfants présentant des troubles du langage oral ont des difficultés pour comprendre les émotions d’autrui, ce qui n’est pas sans conséquence dans

leurs interactions sociales. La majorité des études s’intéressant à la compréhension des émotions chez l’enfant présentant des troubles du langage oral, consiste à demander aux enfants de verbaliser librement le terme émotionnel ou bien de sélectionner l’émotion parmi un nombre limité de réponses pour identifier l’émotion suggérée par une histoire. Pourtant, au regard des résultats obtenus par Brechet, Baldy et Picard (2009), les auteurs suggèrent qu’une tâche de dessin pourrait être intéressante pour évaluer la compréhension émotionnelle chez des enfants présentant des troubles du langage puisque le dessin présente l’avantage de ne pas faire intervenir le langage tout en permettant une réponse libre de la part des enfants. Ainsi, nous pouvons formuler la question suivante : Est-ce qu’une tâche de dessin peut être pertinente pour évaluer la compréhension des émotions chez l’enfant présentant des troubles du langage ? La dernière étude réalisée dans le cadre de ce travail de thèse nous permettra de répondre à cette question.

L’une des originalités de ce travail de thèse réside dans l’utilisation d’histoires écologiques pour évaluer les capacités de compréhension et de marquage graphique des émotions chez l’enfant. En effet, la majorité des études s’étant intéressées au développement de ces habiletés chez l’enfant, utilise des histoires créées par les chercheurs pour les besoins de leur étude (i.e., textoïdes). Pourtant, quelques travaux attestent de la pertinence d’utiliser des histoires écologiques, issues de la littérature jeunesse pour évaluer la compréhension émotionnelle chez l’enfant (e.g., Blanc, 2010 ; Lynch et al., 2008). Ces histoires présentent plusieurs avantages. Premièrement, elles sont plus proches de ce que l’enfant peut lire, regarder ou écouter au quotidien mais elles sont également davantage transposables aux situations rencontrées dans la vie quotidienne, comme à l’école par exemple. Deuxièmement, ces récits sont plus nuancés et permettent ainsi d’évoquer une émotion à l’aide d’évènements moins forts et peut-être moins prototypiques que ceux utilisés dans les textoïdes. Toutefois, cela augmente la richesse de ces histoires et permet d’observer les effets éventuels de

l’évènement déclencheur de l’émotion sur les capacités de compréhension et de marquage des émotions. Enfin, ces histoires écologiques peuvent avoir un coté plus plaisant pour les enfants par rapport aux histoires créées par des chercheurs car le contexte y est davantage décrit. Pour toutes ces raisons, il nous a semblé intéressant d’utiliser des histoires issues de la littérature jeunesse pour examiner le développement de la compréhension et du marquage graphique des émotions chez l’enfant au développement typique mais également chez l’enfant au développement troublé.

ÉTUDE 1

Examiner conjointement les capacités de compréhension et de

marquage graphique des émotions