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4. Discussion

4.1. Influence du genre de l’enfant et du genre du personnage

Lors de la première étude, nous avions examiné l’effet du genre de l’enfant sur les capacités à identifier et à marquer une émotion suggérée par une histoire. Nous n’avions constaté aucune différence entre les filles et les garçons lorsqu’ils devaient réaliser ces deux tâches. En revanche, nous avions observé des différences entre les deux genres lorsque nous avions examiné les erreurs que les enfants avaient produites. Certaines erreurs d’identification semblaient aller dans le sens des stéréotypes liés au genre. Nous nous sommes également demandé si le genre du personnage ne pouvait pas aussi avoir une influence. Toutefois, puisque dans l’étude précédente, les personnages étaient exclusivement masculins, nous ne pouvions observer un tel effet. Nous avons donc décidé de poursuivre nos investigations dans cette seconde étude, en examinant l’influence du genre de l’enfant mais aussi du genre du personnage sur la manière d’identifier et de représenter deux émotions sexuées : la tristesse et la colère. Pour cela, nous avons fait varier le genre du personnage en utilisant «

Les Histoires

du Petit Nicolas »

sous leur version originale et en créant également des versions où tous les personnages principaux étaient remplacés par des personnages féminins.

4.1.1. En tâche d’identification

En tâche d’identification, nos résultats suggèrent une influence du genre de l’enfant uniquement sur la compréhension de la tristesse. Ainsi, les garçons seraient plus aptes à identifier cette émotion que les filles. Ceci est surprenant car ces résultats sont en contradiction avec les études antérieures qui considèrent la tristesse comme une émotion

féminine (e.g., Parmley & Cunningham, 2008). Précisons que l’analyse des erreurs d’identification ne nous apporte pas davantage d’éléments allant dans le sens d’une influence du genre de l’enfant en lien avec les stéréotypes liés au genre. En effet, la seule différence observée consiste en un nombre plus important de confusions joie/tristesse pour les garçons que pour les filles. Or, la joie ne semble pas être une émotion particulièrement sexuée, étant aussi bien appropriée pour les filles que pour les garçons. Ainsi, le genre de l’enfant exerce ici une influence sur leur compréhension, mais sans pour autant aller dans le sens attendu des

display rules

, en particulier pour la tristesse.

En revanche, le genre du personnage semble davantage avoir une influence en lien avec les

display rules

sur les réponses des enfants. En effet, les enfants identifient davantage la tristesse lorsque le personnage est féminin que lorsqu’il est masculin. De plus, lorsqu’ils n’identifient pas la tristesse, ils identifient davantage la colère lorsque le personnage est masculin et la surprise lorsque le personnage est féminin. De même, lorsque les enfants n’identifient pas la colère, ils attribuent davantage la tristesse lorsque le personnage est féminin que lorsque celui-ci est masculin. Ces différences vont dans le sens des stéréotypes liés au genre.

Ainsi, lorsque les enfants doivent identifier une émotion dans une histoire, il semble que cette identification soit sensible au genre, qu’il s’agisse du genre des enfants ou du genre des personnages, d’où la pertinence de les examiner simultanément pour mieux comprendre leur poids respectif dans ce processus d’identification. En effet, les enfants semblent tenir compte du genre du personnage pour identifier l’émotion que celui-ci ressent. Ainsi, dans notre étude, les enfants attribuent davantage la tristesse aux personnages féminins qu’aux personnages masculins. De plus, quand les enfants commettent des erreurs, celles-ci vont dans le sens des stéréotypes liés au genre puisque les enfants attribuent davantage la tristesse aux personnages féminins, et la colère aux personnages masculins. Ceci est cohérent avec les

résultats obtenus par Parmley et Cunningham (2008) et renforce l’idée que l’acquisition des

display rules

, véhiculant les stéréotypes de genre, a une influence sur l’identification que font les enfants de l’émotion ressenti par les personnages d’une histoire. Ainsi, les enfants utilisent leurs connaissances sur ce qui est admis ou non pour les filles et pour les garçons pour inférer l’émotion du personnage. En revanche, même si nous observons des différences entre les filles et les garçons, ces différences ne semblent pas être en lien avec les règles sociales d’expressivité. Pour identifier l’émotion du personnage d’une histoire, les enfants semblent donc se mettre à la place de celui-ci et prendre en considération les caractéristiques du personnage comme le genre de celui-ci, pour identifier l’émotion que le personnage ressent.

4.1.2. En tâche de marquage

En tâche de marquage, nos résultats suggèrent une influence du genre de l’enfant sur la manière de représenter les émotions mais uniquement pour la colère. Ainsi, les garçons sont plus nombreux que les filles à avoir correctement représenté cette émotion. De plus, lorsque nous avons analysé le degré d’expressivité de chaque dessin, nous pouvons constater que les garçons ont davantage tendance à représenter la colère avec une forte intensité tandis que les filles la représentent avec une intensité plus faible. Ces résultats nous semblent directement en lien avec les stéréotypes liés au genre qui définissent la colère comme une émotion masculine. Ainsi, il est probable que les filles n’aient pas l’habitude de représenter la colère puisque ce n’est pas une émotion appropriée pour elles. En effet, même s’il n’existe pas vraiment de travaux à ce sujet, la littérature s’intéressant au dessin figuratif, suggère que les garçons ont davantage tendance à représenter des scènes de guerre, d’agressivité ou de violence dans leurs dessins tandis que les filles dessinent des scènes paisibles (Feinburg, 1977 ; Flannery & Watson, 1995 ; Silver, 1993). Nous pouvons alors penser que dans ces scènes d’agressivité, les garçons représentent des personnages en colère tandis que dans leurs scènes de paix, les

filles dessinent des personnages joyeux. Ainsi, de par leur faible expérience graphique relative à la colère, les filles obtiendraient de moins bonnes performances que les garçons lorsqu’il s’agit de représenter cette émotion dans leur dessin. Et lorsqu’elles la représentent, elles la représentent avec une intensité plus faible.

En revanche, le genre du personnage semble avoir moins d’influence puisque nous n’observons aucun effet de ce facteur sur le nombre de dessins jugés corrects. Etant donné que l’expérimentatrice donnait un

feedback

aux enfants, il n’est pas surprenant de ne pas observer d’effet du genre du personnage sur le nombre de dessins jugés corrects. Il n’en est pas moins vrai que les enfants semblent avoir quand même voulu marquer cette différence entre les personnages féminins et masculins en modifiant le degré d’expressivité de chacune des deux émotions marquées en fonction du genre du personnage. Effectivement, si nous nous intéressons plus précisément à la façon de représenter ces émotions, la tristesse est dessinée de manière plus intense lorsque le personnage est féminin et de manière moins intense lorsque le personnage est masculin.