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2. La compréhension émotionnelle des enfants présentant des troubles du langage

2.3. La compréhension et la régulation des émotions

Pour comprendre une émotion, l’enfant doit tenir compte de ce qui est dit dans l’histoire et le mettre en lien avec ses connaissances générales. Ford et Milosky (2003) ont demandé à des enfants avec TL et à des enfants au développement typique âgés de 5 ans, d’identifier l’état émotionnel du personnage d’une histoire. Plus précisément, les auteurs ont créé des récits pouvant évoquer la joie, la tristesse, la colère ou la surprise. Chaque histoire a été présentée sous trois versions : une version uniquement visuelle, à l’aide de trois vignettes représentant la situation (e.g., un personnage en train d’ouvrir un cadeau puis ce même personnage en train de serrer son nouvel ours en peluche) ; une version uniquement auditive

qui consistait à présenter trois phrases évoquant la situation ; et une version auditive et illustrée par des vignettes qui consistait à présenter les trois phrases accompagnées des vignettes correspondantes. De plus, quatre cartes-réponses ont été créées pour cette étude. Chacune d’entre elles représentait l’expression faciale de l’une des quatre émotions : la joie, la tristesse, la colère ou la surprise. Après chaque histoire, les enfants devaient identifier l’émotion ressentie par le personnage en choisissant l’une des quatre cartes-réponses. Les résultats montrent que les enfants ayant des TL ont de moins bonnes performances que leurs pairs au développement typique lorsqu’il s’agit de comprendre l’état émotionnel du personnage. La présentation auditive accompagnée d’illustrations améliore les performances des enfants dans les deux groupes. Toutefois, la différence avec les enfants au développement typique reste visible quel que soit le mode de présentation (i.e., visuel, auditif, visuel et auditif). Spackman, Fujiki et Brinton (2006) ont examiné la compréhension des émotions chez des enfants avec TL et chez des enfants au développement typique âgés de 5 à 12 ans. Les histoires, reprises de l’étude de Ford et Milosky (2003), pouvaient évoquer la joie, la tristesse, la colère ou la peur et chaque récit était accompagné de vignettes illustrant la situation. Par ailleurs, les auteurs ont utilisé les cartes-réponses créées par Spackman et al. (2005) et représentant chaque émotion à l’aide d’un symbole et du terme émotionnel correspondant. Après la présentation de chaque histoire, les enfants devaient pointer la carte- réponse correspondant à l’émotion ressentie par le personnage ou bien verbaliser l’émotion. Une fois encore, les résultats montrent que les enfants avec TL ont de moins bonnes performances que leurs pairs au développement typique lorsqu’il s’agit de comprendre l’état émotionnel du personnage.

Une autre capacité importante dans les échanges avec les pairs, est la capacité à réguler ses émotions. La régulation émotionnelle consiste à modifier l’expression de ses émotions afin d’être en accord avec la situation. De ce fait, en fonction du contexte, il peut

être nécessaire d’intensifier, de réduire ou même de dissimuler l’expression de nos émotions (e.g., paraitre heureux lorsque nous recevons un cadeau qui nous déplait). Il s’agit donc de répondre de manière adaptée, conformément aux

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. Fujiki, Brinton et Clarke (2002) ont examiné cette capacité auprès d’enfants avec TL et d’enfants au développement typique âgés de 6 à 13 ans. Plus précisément, les auteurs ont demandé à leurs enseignants de compléter le

Emotion Regulation Checklist

(i.e., ERC, Shields & Cicchetti, 1997 ; 1998). Ce test contient 24 items divisés en deux échelles. La première échelle concerne la régulation inappropriée d’émotions négatives, la variabilité de l’humeur et les réponses émotionnelles inflexibles (e.g., « est facilement frustré », « réagit négativement quand d’autres enfants l’approchent de façon neutre ou amicale »). L’autre échelle traite de la régulation appropriée des émotions et de la conscience de son propre état émotionnel (e.g., « est un enfant enjoué », « réagit positivement quand d’autres enfants l’approchent de façon neutre ou amicale »). Les résultats de cette étude montrent que les enfants avec TL présentent un score moins élevé à l’ERC que les enfants au développement typique. Fujiki, Spackman, Brinton et Hall (2004), dans une expérience similaire, observent le même patron de résultats.

Brinton, Spackman, Fujiki et Ricks (2007) se sont plus particulièrement intéressés à la capacité des enfants à comprendre la dissimulation des émotions. Ainsi, ils ont fait écouter à des enfants avec TL et à des enfants au développement typique âgés de 7 à 10 ans, plusieurs histoires à propos d’un personnage nommé Chris. Ces histoires pouvaient évoquer la joie, la tristesse, la colère, la peur ou le dégoût. Pour chacune d’entre elles, les enfants devaient répondre à plusieurs questions : une question de compréhension afin de vérifier si l’enfant a bien compris le sujet de l’histoire (e.g., comment est le gâteau ?) ; une question sur l’état émotionnel du personnage afin de s’assurer que l’enfant a bien identifié la bonne émotion (i.e., comment se sent Chris ?), une question de dissimulation pour vérifier si l’enfant est capable d’attribuer une autre émotion au personnage, conformément aux

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(i.e.,

que devrait dire Chris ?) et une question portant sur les

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afin de s’assurer que l’enfant a bien connaissance des règles sociales d’expressivité (i.e., qu’est-ce que les parents de Chris voudraient qu’il/elle fasse ?). Les résultats à la question de compréhension et à la question sur l’état émotionnel du personnage ne montrent aucune différence entre les enfants avec TL et les enfants au développement typique. Toutefois, il faut noter que, pour la question portant sur l’émotion du personnage, les auteurs ont retenu la valence émotionnelle et non le terme émotionnel. Ainsi, si l’enfant répondait une émotion différente de celle attendue mais ayant une même valence (e.g., tristesse à la place de colère, valence négative), la réponse était considérée comme correcte. Les résultats à la question de dissimulation montrent que les enfants avec TL ont de moins bonnes performances que les enfants au développement typique lorsqu’il s’agit de comprendre la dissimulation des émotions. Ceci pourrait être dû à une méconnaissance des règles sociales d’expressivité. Cependant, les résultats à la question portant sur les

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ne montrent aucune différence entre les deux groupes, écartant cette hypothèse.

En conclusion, les enfants ayant des troubles du langage présentent des difficultés lorsqu’il s’agit de comprendre l’état émotionnel d’autrui, mais également lorsqu’il s’agit de réguler de manière appropriée leurs émotions ou de comprendre la dissimulation des émotions. À l’évidence, ces difficultés nuisent à leur capacité à répondre de manière adaptée aux diverses situations de la vie quotidienne.