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III. Épissage alternatif et cancer

III.2 Les conséquences des aberrations de l’épissage

III.2.1 L’avantage prolifératif

Il est parfaitement connu qu’un développement tumoral est causé par une prolifération cellulaire incontrôlée résultant entre autres d’une immortalisation, d’un cycle cellulaire dérégulé et d’une apoptose déficiente. La dérégulation de l’épissage alternatif de gènes impliqués dans ces processus participe à l’oncogenèse (Oltean and Bates, 2013).

L’épissage alternatif d’un gène permet dans de nombreux cas la production de protéines aux effets antagonistes. C’est notamment le cas lors de l’apoptose puisque plusieurs gènes codent des protéines pro ou anti-apoptotiques par épissage alternatif.

Un des cas les mieux caractérisés est celui du gène bcl-x dont l’ARNm peut coder deux isoformes

protéiques BCL- xL et BCL-xS respectivement anti et pro-apoptotiques selon le choix du site 5’ utilisé. Un

ratio BCL- xL /BCL-xS élevé a été observé dans plusieurs cancers et favorise la survie cellulaire par inhibition de l’apoptose (Bielli et al., 2014).

De la même manière, la rétention d’une portion d’intron lors de l’épissage de la caspase-8 ainsi que l’exclusion d’un exon lors de celui de la caspase-9 conduisent à la synthèse d’isoformes anti-apoptotiques. Ces trois épissages sont régulés par SRSF2 dont l’expression est sous la dépendance du facteur de transcription E2F1 (Merdzhanova et al., 2008). La coopération entre ces deux facteurs régule le ratio de protéines pro et anti-apoptotiques contrôlant ainsi une partie de l’apoptose cellulaire.

Plusieurs récepteurs aux facteurs de croissance ou cytokines sont constitutivement activés au sein de cellules tumorales, activant en permanence les voies de survie cellulaire. Cette activation aberrante peut résulter d’un récepteur anormal codé par un variant alternatif. C’est notamment le cas de l’EGFR dont l’épissage alternatif conduit à la synthèse d’un récepteur tronqué EGFRvIII constitutivement activé qui promeut une perpétuelle prolifération cellulaire.

Dans un même temps, la survie des cellules tumorales est conditionnée par un contrôle du cycle cellulaire et notamment des protéines responsables de l’arrêt du cycle. Un épissage du gène codant p53, le facteur de transcription responsable de l’arrêt du cycle cellulaire en cas de stress, induit la synthèse d’une

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isoforme tronquée en extrémité N-ter qui entre en compétition avec la protéine sauvage et affecte sa fonction (Ghosh et al., 2004).

Un autre processus indispensable à la croissance tumorale est l’angiogenèse, en grande partie médiée par le VEGF. De nombreuses isoformes du VEGF sont produites par épissages alternatifs mutuellement

exclusifs (Fig 28). Deux isoformes en particulier ont été largement étudiées : le VEGF165 est hautement

angiogénique et son homologue VEGF165b est anti-angiogénique. Alors que le ratio VEGF165/VEGF165b est

d’environ 50:50 dans le tissu sain, ce ratio est largement déséquilibré au profit de VEGF165 dans les tissus

tumoraux lors de la survenue de cancer du rein, cancers colorectaux et mélanomes(Tayama et al.,

2011)(Gammons et al., 2014). L’expression de VEGF165 estfavoriséepar la cytokine TNF-% alors que celle

de VEGF165b l’est par le TGF-b (Nowak et al., 2008).

Figure 28: L’épissage du gène codant le VEGF conduit à la synthèse de 2 familles d’isoformes

(a) Le gene vegf est composé de 8 exons. Deux sites donneurs 5’ existent au niveau de l’exon 8 un proximal et un distal. (b) L’utilisation du site proximal conduit à l’incorporation de la portion 5’ de l’exon 8 (rouge) et à la synthèse d’une molécule pro- angiogénique alors que l’utilisation d’un site distal incorpore la portion 3’ (jaune) et l’isoforme synthétisée est anti-angiogénique. L’incorporation alternative des exons 6 à 9 code des variants de tailles différentes, les nombres indiqués en indice pour chaque isoforme correspond au nombre d’acides aminé de la protéine.

D’après Biselli-chicote et al, J Cancer Res Clin Oncol 2012

L’angiogenèse permet en plus de la croissance tumorale la formation de métastases et l’invasion tumorale. Ces processus nécessitent de nombreux changements de l’expression génique afin d’entrer dans la

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circulation sanguine par intravasation puis de coloniser d’autres tissus après extravasation. Cela implique des modifications phénotypiques importantes dues au processus de transition épithélio- mésenchymateuse. Plusieurs épissages alternatifs interviennent dans ces processus et sont anormalement régulés lors de cancers. C’est notamment le cas du gène codant le récepteur à activité tyrosine kinase -RON dont l’activation constitutive aval confére une importante mobilité cellulaire et un pouvoir invasif accru (Ghigna et al., 2005).

Les dérégulations de voies de signalisation cellulaire lors de l’oncogenèse conduisent dans beaucoup de cas à une suractivation de la kinase AKT.

Une des cibles d’AKT est le gène caspase-9 impliqué dans l’apoptose induite par les chimiothérapies. L’épissage alternatif de ce gène conduit à la synthèse de deux isoformes antagonistes : la protéine sauvage caspase-9a et la protéine tronquée caspase -9b dépourvue des exons 3, 4, 5 et 6 qui codent entre autre le domaine catalytique de la protéine. La caspase -9b peut se lier à APAF-1 via son domaine CARD mais ne déclenche pas l’apoptose, limitant ainsi l’action de la caspase-9 par compétition. La phosphorylation de SRSF1 et de hnRNP L par la voie PI3K/AKT provoque la diminution du ratio caspase-9a/ caspase-9b en favorisant l’exclusion des exons 3 à 6 (Shultz et al., 2010) (Vu et al., 2013).

III.2.2 La résistance aux traitements

Les aberrations de l’épissage, en plus de conférer un avantage prolifératif et invasif aux cellules tumorales, participent à la résistance aux traitements. Des altérations des voies métaboliques conduisent à la non activation de prodrogues ou à leur translocation dans le milieu extra-cellulaire par des mécanismes d’efflux.

La folylpoly-'-glutamate synthase est une enzyme responsable de la conversion de l’antifolate méthotrexate en composé actif utilisé pour le traitement de nombreux cancers et MAI. Une aberration de l’épissage conduisant à la production d’enzymes inactives a été observée chez des patients atteints de leucémies et est associée à la résistance au MTX (Stark et al., 2009).

Le même phénomène est à l’origine de résistances au 5-fluorouracil, couramment utilisé lors de traitement de cancers colorectaux métastatiques et cancers du sein. La thymidine phosphorylase convertit la prodrogue capecitabine en 5-fluorouracil active. Une localisation anormale des hnRNP H1/H2 et F altère l’épissage du gène codant la thymidine phosphorylase et conduit à une rétention nucléaire et à l’incorporation d’un codon stop précoce conduisant à sa dégradation. En l’absence de cette phosphorylase

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cytoplasmique fonctionnelle, le 5-fluorouracile n’est pas synthétisé et le traitement n’est pas actif (Stark et al., 2011).

Ces exemples illustrent les nombreux cas de résistances provoquées par une anomalie de la conversion en composé actif nécessaire à l’efficacité de chimiothérapies. D’autres mécanismes entrainent des résistances, dont la production de molécules antagonistes : le récepteur aux glucocorticoïdes est un facteur de croissance activé par la liaison de glucocorticoïdes tels que la dexaméthasone. Ce récepteur est antagonisé par les nombreuses isoformes tronquées résultant d’un épissage alternatif. Ces variants sont surexprimés dans plusieurs cancers dont les leucémies aiguës lymphoïblastiques, LLC et cancers du poumon (Zhu et al., 2007).

Comme mentionné ci-dessus, un phénomène bien connu de résistance aux traitements chimiques est leur efflux hors de la cellule par des transporteurs tels que la protéine de résistance multidrug 1 (MRP1). Plusieurs anomalies de l’épissage conduisant à la surexpression d’isoformes protéiques de ce transporteur ont été observées dans plusieurs cas de cancers ovariens résistants aux chimiothérapies (He et al., 2004). Les dérégulations au niveau des facteurs de régulation de l’épissage sont également à l’origine de résistances au traitement bien que les mécanismes ne soient pas clairement élucidés. La mutation du gène

sf3b1 est par exemple observée chez 17% des patients atteints de LLC résistantes à la fludarabine alors

qu’elle ne l’est qu’à 5+ chez les patients répondeurs (Oscier et al., 2013).

Il a été par ailleurs récemment démontré que les exosomes sécrétés par les cellules cancéreuses modifient le microenvironnement et facilitent l’invasion tumorale (Boyiadzis and Whiteside)(Peinado et al., 2011). La découverte de facteurs d’épissages dans les exosomes d’une lignée cellulaire transformée par l’oncogène H-ras laissent suggérer que le transfert de ces facteurs vers une cellule receveuse pourrait participer à la création de niches pré-métastatiques qui favorisent l’invasion tumorale (Tauro et al., 2013).

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