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6. Dispositif d’analyse des données

7.2 Les conceptions de l’école inclusive des ES

Groupe à dominance ambivalente Groupe à dominance pragmatique

7.2.1 Deux perceptions distinctes de l’inclusion scolaire

Pour rappel, les perceptions des ES face à l’école inclusive s’appuient sur leurs projections dans un contexte inclusif, leur(s) expérience(s) d’intégration scolaire, leurs réactions face au clip vidéo ainsi que sur leurs réactions en lien avec les affirmations de presse. Nos différents outils d’analyse nous ont permis de déterminer qu’aucun enseignant ne conteste formellement l’inclusion scolaire.

Les ES se répartissent sur deux groupes (hormis Henry) : le premier groupe à dominance ambivalente et le second groupe à dominance pragmatique.

Groupe à dominance ambivalente

Ce groupe porte un intérêt pour l’école inclusive, mais montre également des résistances. Voici les trois points les fédérant :

a) Intégration scolaire perçue en tant que norme : [Camille] : « J’ai l’impression que ça fait partie de la maison, de la culture d’établissement, le fait qu’on intègre…on sent que c’est possible de les amener sur le chemin de l’ordinaire…ça me motive de créer des projets qui sont dans le sens d’une réinsertion. Olivier : « nous [les ES de Préfontaine] on peut proposer des intégrations si on estime que les élèves sont prêts…il y a pas mal de modalités d’intégration qui peuvent être envisagées ».

La position de Camille et Olivier, illustre bien la culture organisationnelle, considérée en tant qu’un système symbolique constituée de rituels, de règles et de coutumes (Oberson, 2009) prévalant tant à Maisonneuve, qu’à Préfontaine. Intégrer des élèves au sein de classes ordinaires semble ancré dans une conception fondamentale de l’enseignement spécialisé. Les modalités d’intégration entre Berry et Maisonneuve sont similaires. La possibilité d’intégrer ou non un élève relève principalement de l’ES. Ce dernier propose l’élève à intégrer à un EO.

À Berry, le mandat de l’institution prévoit que l’ES accompagne la construction d’un projet professionnel comprenant des stages : [Chiara] : « il faut qu’ils puissent entrer en formation professionnelle. Cela se fait à travers des stages ». Les stages ont lieu principalement en contexte professionnel ordinaire.

b) Expérience d’intégration positive : [Olivier] « cela avait du sens de profiter de ce cours d’informatique…les élèves de son âge ont pu s’intéresser à cette élève…il y a pu avoir quelques échanges dans les couloirs ». L’ensemble des ES relèvent les bénéfices de l’intégration d’élèves au sein de l’enseignement ordinaire. Certains privilégient le développement de compétences sociales comme Olivier. D’autres, comme Bruno ou Camille, visent l’acquisition de compétences scolaires : [Bruno] « on fait tout pour pousser l’élève un peu plus dans les apprentissages scolaires ». Toutefois, Camille relève des particularités pour l’élève intégré au sein de deux classes distinctes : « je trouve que c’est une chance inouïe pour nos élèves de réintégrer petit à petit…mais c’est quand même particulier pour un élève d’avoir deux classes, d’être entre deux mondes, d’avoir des devoirs de deux classes ».

Tout comme Olivier et Bruno, Camille met elle aussi en avant les bénéfices pour les élèves intégrés dans l’enseignement régulier. Cependant, contrairement à ces derniers, elle paraît réaliser

la complexité pour l’élève de naviguer entre deux classes distinctes. Du point de vue de l’ES, ce dernier est amené à garantir l’articulation pédagogique et didactique entre l’enseignement en classe ordinaire et celui ayant lieu dans la classe d’appartenance des élèves dits à BEP. Cela s’avère être un enjeu de taille. (Pelgrims et al, 2017). D’ailleurs, les tâches, qu’induisent les mesures d’intégration sont complexes à mener, notamment en termes de collaboration. Elles sont souvent prises en charge par les ES. À ce propos, Emily relève certes, les bénéfices des collaborations, mais pointe aussi ces limites, par l’exagération : « collaborer, ça va être bénéfique pour tout le monde…mais si on commence à rencontrer toute la terre entière, à un moment donné, on a plus de vie ».

c) Perceptions de l’inclusion comme difficilement atteignable : Elle dépendrait de moyens (forces de travail) supplémentaires [Abilène] : « on ne nous donne pas les moyens d’appliquer cette école inclusive ».

Groupe à dominance pragmatique

On retrouve dans ce groupe composé par Claire et Marc, une tendance marquée, à se centrer sur les caractéristiques positives, perçues de l’inclusion. Prenons le clip vidéo : Marc par exemple, en relève le côté idyllique, mais il considère la thématisation de l’inclusion scolaire par le DIP comme un atout : « c’est très important que le DIP communique autour de ce projet d’école inclusive…

c’est quelque chose de vraiment important, de vulgariser un peu un concept qui est complexe et de le rendre accessible à tout le monde… même si ça reste un clip qui est idyllique ». D’un point de vue plus personnel, Claire exprime le sentiment de réconfort suscité par ce clip : « cela m’a fait du bien de le revoir…je fais un boulot qui est chouette malgré les difficultés ». Enfin, Marc termine par synthétiser la vision de ce groupe en déclarant que le défi, selon lui consiste à penser « un projet inclusif, avant de penser un projet séparatif ».

Discussion

À nouveau, en nous référant à nos hypothèses de travail, nous sommes en partie surprise de trouver un nombre important d’ES provenant du contexte Institution, faire partie du groupe à dominance ambivalente. La formation initiale joue un rôle dans leur rapport à l’inclusion. Pour rappel, Bruno a suivi une formation d’EO alors qu’Olivier a suivi des études en psychologie.

L’intérêt de Bruno pour les apprentissages scolaires imprègne son rapport à l’école inclusive.

Olivier quant à lui, est plus sensible, aux apports sur un plan social de l’inclusion scolaire. Tout comme Cattonar (2012), nous constatons que leur rapport à l’inclusion dévoile l’empreinte de la

formation suivie, alors même qu’elle est peu considérée par les enseignants eux-mêmes, comme vu plus tôt. À nouveau, le cas de Bruno est particulièrement intéressant, car il démontre qu’un intérêt soutenu pour l’école inclusive et une formation d’enseignant ordinaire, ne suffit pas pour adhérer pleinement au projet : « j’ai postulé pour être enseignant en école inclusive », avant de me rétracter : « ça me semblait très flou et surtout, très gourmand en temps, en énergie. Je me voyais mal assurer encore à 50% à Préfontaine…c’est pour ça que j’ai décliné ».

Une posture d’ouverture face à l’inclusion scolaire est un atout, car elle amène les enseignants à avoir des attitudes plus intégratives (Beauregard, 2006 ; Bélanger, 2004). D’ailleurs, ceci correspond à la posture de Camille, Emily et Bruno. Celle-ci ne les pousse pas pour autant nécessairement, à un engagement complet, par rapport à l’inclusion scolaire. Nous comprenons la posture de ce groupe comme se situant dans une négociation identitaire (Dubar, 1991). Leur façon de s’ajuster aux prescripteurs de rôles qu’incarnent les institutions pour maintenir un équilibre et une cohérence identitaire est d’une part, d’assimiler certaines pratiques professionnelles soutenant l’inclusion, tout en émettant des réserves, ou en refusant de rejoindre des dispositifs intégratifs, tel que le DIAMS par exemple. Ceci dans le but de diminuer ou éviter une souffrance pour soi, induisant une dévalorisation de soi (Malewska- Peyre 1987, p.87, cité par Abderrafi, 2012).

Frein à une pleine adhésion à l’inclusion

Les peurs, réticences et déceptions exprimées par les sujets de ce groupe concernent les formes d’organisation, de collaboration et de pratiques professionnelles. Les propos de Camille et Emily considérant l’affiliation des élèves à deux classes comme étant une limite de l’intégration confirme ce que des recherches ont déjà mis en lumière. À savoir qu’au sein du contexte Soutien à l’intégration, peuvent avoir lieu « des pratiques particulières pas toujours compatibles avec des intentions d’enseignement et des conditions d’apprentissage coordonnées à celles de la classe d’intégration » (Pelgrims, 2009, p. 155). Les contingences institutionnelles apparaissent dès lors paradoxales : on enjoint les enseignants à préférer les solutions intégratives, mais le temps alloué à la collaboration entre ES et EO semble restreint et les modalités de son exercice sont peu claires.

Soutien de la hiérarchie déterminant

Les rapports avec la hiérarchie jouent aussi un rôle dans l’adhésion des ES à l’école inclusive (Gremion et Paratte (2009). Comme déjà vu, un soutien et un accompagnement de sa part sont primordiaux lors du déploiement de projets inclusifs. Toutefois, Olivier ne ressent pas ce soutien.

Il est le sujet qui exprime le plus explicitement son incompréhension et agacement face à sa

hiérarchie. Selon lui, le projet d’école inclusive est mal défendu. Ceci l’amène à décliner, tout comme Bruno, une proposition de rejoindre une structure intégrative : « on nous a dit, ça va ouvrir, ça va pas ouvrir…j’ai décidé de me mettre sur la liste de ceux qui ne suivaient pas le projet, parce que ça m’irritait ». Le manque d’appui perçu de la hiérarchie conduit ce groupe à craindre ou/et décliner les possibilités de rejoindre un contexte professionnel plus inclusif. Ceci confirme ce que plusieurs recherches ont déjà démontré, à savoir que l’appui de la direction et des autorités est un facteur important dans la promotion d’attitudes et de pratiques inclusives. L’exemple de Marc et Claire, bénéficiant d’une reconnaissance institutionnelle (soutien de la direction et projet Cadillac stabilisé) illustre cela (Barnett et Monda-Amaya, 1998 ; Fullan, 2001 ; Roach et Salisbury, 2006).

Facteur de l’âge

Ramel et Longchamp (2009) identifient l’âge des enseignants comme un facteur à prendre en considération. Selon ces auteurs, plus les enseignants sont âgés, moins leurs représentations sont positives au sujet de l’inclusion scolaire. Ceci proviendrait du fait qu’ils soient moins préparés et formés à accueillir des élèves en difficulté. Nos données ne nous indiquent pas cela. De fait, dans les deux groupes nous avons des ES expérimentés avec 10 années ou plus d’expérience, ainsi que des ES novices avec une expérience professionnelle comprise entre 2 et 4 ans. Toutefois, des recherches de types quantitatives plus récentes pourraient apporter davantage de précisions quant à cette dimension.