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Les compétences transversales et la transversalité en pratique

2.1 Inter-pluri-multi-trans-disciplinarité

2.2.4 Les compétences transversales et la transversalité en pratique

Il est difficile de parler de transversalité sans parler des compétences transversales. En effet, c’est certainement une de ses manifestations les plus connues. Elles renferment une forme plus concrète de la transversalité si on les compare avec la définition qui est donnée par la philosophie car elle fait référence aux pratiques et bien sûr aux compétences. Et de la même manière qu’il y a des transversalités que nous avons dites perpendiculaires (celles qui traversent) et d’autres dites créatives, il y a des compétences transversales qui sont dites génériques et d’autres dites spécifiques. La transversalité, dans le cas des compétences transversales, est une dialogique entre le générique et le spécifique (Gagnon, 2011, p. 136). Cette première réflexion annonce déjà l’importance du développement, nous dirons, d’une pratique transversale pour les designers, mettant à profit une foule de compétences transversales qui sont développées tout au long de leur expérience (carrière) et à travers les expériences (projets).

Précisons d’abord que « ce sont les intentions qui sont transversales et une compétence n’est en soi transversale que lors de son effectuation; c’est un processus en acte » (Lenoir, 2003, p. 46). Ceci dit, une compétence consiste en la capacité « de mettre ensemble savoirs, savoirs-faire et savoir être pour aborder une situation concrète » (Fourez, 2005, p. 403). La notion de compétence colle parfaitement au design qui allie savoir et savoir-faire par l’entremise du projet et qui se nourrit d’une attitude d’ouverture et réceptivité pour saisir le contexte et la problématique. Selon l’avancement du projet, le designer fera des relectures constantes qui le conduiront à procéder à des ajustements. Dans un sens, nous pourrions décrire la pratique réflexive du design comme une transversalité : des liens s’établissent entre les divers territoires, différents concepts et sont continuellement renouvelés, faisant avancer le projet selon une trajectoire qui se définit progressivement, révélant du coup sa qualité formelle et organisatrice.

Nous avons déjà mentionné que la transversalité permettait de réconcilier le générique de la discipline avec le spécifique du cas et qu’elle pouvait traverser perpendiculairement, être structurée ou relier différemment, être créative. Dans le même ordre d’idées, il est également possible de distinguer deux définitions des compétences transversales qui présentent des perspectives contradictoires : l’une sous-tend que les compétences sont transversales en raison de leur caractère générique alors que l’autre soutient l’idée que toute compétence est située, et donc, spécifique. Dans une perspective située, les compétences sont dites transversales car elles sont mobilisées à travers de multiples situations contextualisées. Ainsi, elles parviennent à élargir graduellement leur champ d’application au fur et à mesure qu’elles se déploient dans divers contextes (Gagnon, 2012, p. 552).

De fait, pour s’exercer, une compétence transversale doit s’appuyer, notamment, sur une série de connaissances, d’habiletés et d’attitudes, dont plusieurs demeurent spécifiques aux domaines. De sorte que bien que bon nombre de composantes associées à une compétence transversale puissent être exprimées de manière générique ou [interdisciplinaire], leurs mobilisations et combinaisons ne peuvent faire fi de la spécificité des situations dans lesquelles elles prennent forme (Gagnon, 2012, p. 552).

La transversalité ne peut être complètement spécifique, réduite à des familles de situation ni être pensée de façon générique et décontextualisée. Elle ne peut non plus « s’appuyer sur une logique stricte de transfert » (Gagnon, 2012, p. 552) qui ne tiendrait pas compte du contexte car les compétences transversales correspondent à des conduites utiles à des familles de situations ; elle n’apparaissent pas dans un contexte pour être ensuite appliquées dans un autre (Fourez, 2005, p. 406). Il convient davantage d’adopter une logique de mobilisation qui atteste de la cognition située et de la complexité de la transversalité. C’est pourquoi l’adoption d’une « épistémologie dialogique » (Gagnon, 2012, p. 552) entre le spécifique et le générique, l’émergent et le transcendant, de ce qui a trait à une discipline et ce qui les surplombe est plus approprié pour caractériser la transversalité. Or, la tension entre le générique et le

spécifique n’est pas synonyme de contradiction dès lors qu’il existe des structures communes adaptables selon les spécificités des situations. De fait, l’adaptation suppose plus « une différence de degrés que de nature » (Gagnon, 2012, p. 554). Ainsi, la construction d’un modèle commun présume du recours à une analogie pour y parvenir (Fourez, 2005, p. 402).

De plus, les compétences peuvent être construites en fonction des intérêts ou des projets. Ces compétences se formeront selon deux modes : un mode normatif (centré sur des normes) qui valorise des compétences pragmatiques axées sur les tâches à accomplir et un mode humaniste (centré sur l’autonomie) qui vise l’autonomie des personnes leur permettant de fonctionner autrement que par « la prescription de procédures » (Fourez, 2005, p. 404) en développant des compétences autant d’ordre pratique, théorique que critique. Toutefois, il n’y a aucune garantie qu’une compétence « maitrisée dans un cadre spécifique » (Gagnon, 2012, p. 552) le soit dans tous les contextes par la même personne car chaque situation convoque des notions et sollicite des démarches qui lui sont spécifiques (Gagnon, 2012, p. 552). Selon chaque situation et selon l’avancement du projet, le designer est amené à développer un ou l’autre des deux courants de penser les compétences. Parfois, il doit démontrer des compétences de communication pour expliquer le projet aux différents intervenants en utilisant un langage approprié à chacun (mode humaniste) ou encore faire preuve d’une bonne capacité d’organisation pour gérer le projet adéquatement (mode normatif). Chaque projet mobilisera un éventail de compétences opportunes et ces compétences seront ajustées en fonction des conditions particulières. Au point que, exposé à une variété de situations, le designer en vient à développer un vaste champ d’application adjoint à une habileté à manier les compétences.

En outre, puisque que ce sont les intentions qui sont transversales et que les compétences ne deviennent transversales qu’alors qu’elles sont activées, le designer ne peut donc avoir comme objectif de faire de la transversalité. Il peut conceptualiser

et aborder les projets de manière transversale ou encore mettre à l’œuvre des compétences (techniques, artistiques ou intellectuelles) dans une perspective transversale, bref, avoir une pratique du design transversale. Le projet final en lui- même n’est pas transversal. Force est de constater la tendance de réification de la transversalité : « Le danger de réification est bien réel en ce qu’il conduit à attribuer au produit de l’action humaine des qualités qui sont celles précisément de cette action » (Lenoir, 2003, p. 46). C’est donc dans la démarche de création du designer, dans sa façon de conduire le projet qu’il est possible de constater la transversalité. Cependant, bien que le projet ne soit pas à proprement parlé transversal, nous devrions pourvoir constater les effets d’une démarche transversale. Des stigmates qui témoignent d’une conception qui participe de la transversalité.