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La transversalité comme substance commune du design : regard sur la pratique professionnelle

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Academic year: 2021

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LA TRANSVERSALITÉ COMME SUBSTANCE COMMUNE DU DESIGN : REGARD SUR LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE.

MÉMOIRE PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE

DE LA MAÎTRISE EN DESIGN DE L’ENVIRONNEMENT

PAR

MARIE-EVE MORISSETTE

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Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 – Rév.10-2015). Cette autorisation stipule que «conformément à l’article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l’auteur] concède à l’Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d’utilisation et de publication de la totalité ou d’une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l’auteur] autorise l’Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l’Internet. Cette licence et cette autorisation n’entraînent pas une renonciation de [la] part [de l’auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l’auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

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REMERCIEMENTS

J’avais amorcé ce projet un peu comme un défi à la façon impromptue qu’il s’est placé sur ma route. Un travail de longue haleine qui arrive à sa fin et qui m’a fait réfléchir bien au-delà de ce que je croyais.

Merci à Carole Lévesque sans qui je n’aurais pas osé m’attaquer à la deuxième session et qui a gentiment accepté la direction de ce mémoire.

Merci à Réjean Legault pour avoir suggéré le sujet.

Merci à Daniel Fortin d’avoir accepté de faire cette entrevue, pour son énergie et sa passion contagieuse du design.

Merci aussi à tous ceux et celles que j’ai croisés et qui m’ont permis d’y arriver.

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DÉDICACE

C'est que je n'avais pour méthode que d'essayer d'éclairer les multiples aspects des phénomènes, et que d'essayer de saisir les liaisons mouvantes. Relier, relier toujours, était une méthode plus riche, au niveau théorique même, que les théories blindées, bardées épistémologiquement et logiquement, méthodologiquement aptes à tout affronter, sauf évidemment la complexité du réel

(Morin, 2005, p.48).

L’artiste au même titre que le penseur s’engage et se devient dans son œuvre. Cette osmose soulève le plus important des problèmes esthétiques. Au surplus, rien n’est plus vain que ces distinctions selon les méthodes et les objets pour qui se persuade de l’unité de but de l’esprit. Il n’y a pas de frontière entre les disciplines que l’homme se propose pour comprendre et aimer (Camus, 2016, p.133).

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AVANT-PROPOS

Le titre du mémoire est directement inspiré du livre de J. Dewey (2010) L’art comme expérience et de son chapitre IX qui s’intitule La substance commune des arts. Ce livre est la base du cadre théorique utilisé dans cette recherche et je trouvais qu’il résumait parfaitement la relation que la transversalité entretenait avec le design. En effet, l’expérience, comme la décrit Dewey, retrouve des échos dans Le praticien réflexif de Schön (1994). De plus, comme nous cherchions à mettre en valeur ce quelque chose commun à tous les champs de pratique du design, l’expression employée collait parfaitement. D’autant que la philosophie de Dewey est apparue à un moment charnière de la rédaction et a permis de donner un éclairage humaniste en venant compléter l’approche conceptuelle. Cet emprunt se veut un témoignage de considération pour son travail.

L'auteure tient à préciser que le masculin est utilisé dans ce mémoire afin d'alléger le texte et non afin d'invisibiliser les femmes qui sont par ailleurs bien présentes et actives dans le domaine du design. De même, lorsqu’il est question de design, nous sous-entendons le design en terme global à la manière du design de l’environnement dans une visée intégrante de tous les champs de pratique.

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TABLE DES MATIÈRES

Remerciements ... ii

Avant-propos ... iv

Liste des figures ... vii

Résumé ... viii

CHAPITRE I INTRODUCTION : PROBLÉMATIQUE ... 1

1.1 Le design et ses spécificités ... 1

1.2 Le contexte : la profusion des théories ... 3

CHAPITRE II CE QU’IL FAUT D’ABORD SAVOIR ... 12

2.1 Inter-pluri-multi-trans-disciplinarité ... 13 2.1.1 Disciplinarité ... 14 2.1.2 Multidisciplinarité et pluridisciplinarité ... 15 2.1.3 Interdisciplinarité ... 17 2.1.4 Transdisciplinarité ... 19 2.1.5 Circumdisciplinarité ... 22 2.2 La transversalité ... 27 2.2.1 Étymologie ... 28 2.2.2 Aspects historiques ... 29

2.2.3 Aspects conceptuels et philosophiques ... 34

2.2.4 Les compétences transversales et la transversalité en pratique ... 39

2.2.5 La transversalité est un construit et non un donné ... 42

2.2.6 Transferts originaux et transferts standardisés ... 44

2.2.7 Transversalité collective ... 46

2.3 Le choix de la transversalité pour le design ... 48

2.4 Les inférences – déduction, induction, abduction ... 58

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CHAPITRE III CADRE THÉORIQUE ... 67 3.1 L’expérience de Dewey ... 68 3.2 Le praticien réflexif ... 77 3.3 Le projet ... 86 CHAPITRE IV L’ÉTUDE DE CAS ... 93

4.1 La transversalité : quoi chercher, quoi regarder ... 94

4.1.1 Quantité et qualité des liens ... 94

4.1.2 Recours effectifs aux précédents par l’analogie ... 96

4.1.3 L’expérience pour aborder la complexité ... 97

4.2 Le choix du designer ... 98

4.3 Analyse du portfolio ... 102

4.4 La rencontre avec le designer ... 113

4.4.1 Clarifications ... 113

4.4.2 Entrevue semi-dirigée ... 114

4.5 Comparaison entre l’analyse du portfolio et l’entrevue semi-dirigée ... 134

CONCLUSION ... 152

ANNEXE A EXTRAITS DU PORTFOLIO DE DANIEL FORTIN ... 162

ANNEXE B CERTIFICAT DE CONFORMITÉ ÉTHIQUE ... 176

ANNEXE C RAPPORT FINAL APPROUVÉ ... 178

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LISTE DES FIGURES

Figure Page

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RÉSUMÉ

Cette recherche approfondie le rapport entre le design et la transversalité. Plus précisément, elle repère les effets de la transversalité dans la pratique du design et démontre que non seulement elle est présente à tous les niveaux du projet mais qu’elle lui est essentielle. Intervenant stratégiquement à tous les stades de développement du projet, la transversalité joue un rôle de premier plan. Si nous parvenons en effet à établir que la pratique (contemporaine) du design requiert la transversalité, pouvons-nous alors définir le design comme une discipline de la transversalité? Afin de répondre à cette question, nous aborderons : la définition du design et de ses spécificités ; la transversalité en la différenciant des autres relations disciplinaires ; l’expérience et le praticien réflexif pour mieux comprendre le processus de la transversalité ; le concept de projet comme conception méthodique, comme création et comme contexte ultime de la mise en marche de la transversalité. Enfin, une étude approfondie d’un designer québécois contemporain permet d’identifier trois déterminants de la transversalité : la quantité et la qualité des liens, le recours effectif à l’analogie et la souscription à l’expérience. Avec l’ensemble de cette étude, nous arrivons enfin à percevoir les manières par lesquelles la pratique du design tire profit de la transversalité, autant dans le processus de création que dans la mise en œuvre du projet.

MOTS-CLÉS : transversalité, expérience, projet, design, relations disciplinaires, pratique professionnelle, abduction, transfert, complexité, Daniel Fortin.

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1.1 Le design et ses spécificités

Le design est généralement considéré comme un domaine faisant le pont entre l’art et la technique. C’est sans doute pourquoi le design est associé à la créativité, la recherche de solution et que son approche est « humaniste » car elle prend en compte l’humain au cœur de son processus (Leboeuf, 2015, p. 80). Le design tel que nous le connaissons aujourd’hui est apparu avec la révolution industrielle au début du vingtième siècle et n’a cessé d’évoluer depuis. Il s’adapte constamment selon son contexte en intégrant autant les nouvelles technologies que les courants sociaux. Nous pourrions donc en déduire que la définition du design évolue également. Bien qu’après plus d’un siècle d’existence, aucune définition ne s’est encore imposée, même si aujourd’hui le design est plus populaire que jamais. Le design fait intervenir autant des connaissances pratiques que théoriques à travers un savoir-faire qui lui est propre. Le designer construit son bagage de connaissances à partir de chacune de ses expériences. Par accumulation, des généralités sont dégagées et pourront être réappliquées dans d’autres situations. Toutefois, le designer ne recherche pas à déterminer des règles mais plutôt à trouver la singularité. Pour ce faire, il doit avoir un réservoir de référents suffisamment remplis à partir duquel il pourra tirer des conclusions et établir des parallèles avec la situation présente pour laquelle il tente justement de déterminer la singularité. Trouver des singularités en s’inspirant d’un

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bagage d’expérience pour y arriver, voilà un des paradoxes les plus féconds du design qui opère par la transversalité. Sans ces coupes transversales, ces ponts qui enjambent le fossé des problématiques dans la poursuite de la solution, ces passerelles qui relient des domaines ou des idées qui paraissent distants, sans la transversalité, le design n’arriverait pas à exprimer son plein potentiel et faire face à la complexité. Le design continue à se démarquer par son développement ininterrompu tant sur le plan des nouveaux territoires qu’il explore qu’avec les domaines qu’il côtoie étroitement tel que le marketing, la communication, l’ingénierie, la gestion et bien d’autres.

Le design est intégratif et englobant et plus particulièrement dans le cas du design de l’environnement.

[Il se définit comme] un champ d'études et d'interventions qui couvre le registre élargi […] de ce qui compose notre culture matérielle. [Son] approche intégrée du projet de design met en relation les échelles de l'objet, de l'architecture et du territoire. [Ses interventions peuvent porter sur] l’objet quotidien, [les] espaces intérieurs et extérieurs [de même que sur] les lieux construits qui composent notre environnement. [Le projet est au cœur du processus peu importe les échelles en mettant l’accent] sur les enjeux et l’objet d’étude (UQAM, École de design 2017a).

Le designer voit le monde comme un projet. Il cherche ce qui ne fonctionne pas pour le modifier ou le transformer en quelque chose de préférable. L’objectif du design est d’accroitre l’habitabilité du monde, du moins le préserver, en intervenant sur les « interactions homme-environnement » (Findeli, 2015, p. 52) dysfonctionnelles pour les rendre plus satisfaisantes et ce, dans toutes ses dimensions : physique, matérielle, cognitive, affective, culturelle et symbolique (Findeli, 2015, p. 51). Aussi, la culture intellectuelle du design est pénétrée de la culture du projet (Findeli, 2015, p. 52).

Le but du design est de trouver des solutions. Il a une intention prescriptive et une démarche diagnostique (Findeli, 2015, p. 52). Il est à la fois le processus et la finalité. Comme le design intervient sur plusieurs niveaux de réalités à la fois, les enjeux en

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présence sont complexes et peuvent être difficiles à définir. Le designer adoptera un comportement proactif dans la conduite de son projet en développant la problématique et la solution simultanément (Cross, 2004, p. 440). Au fur et à mesure qu’il avance, il développe une meilleure connaissance de la situation et il intègrera continuellement de nouvelles informations. À cause de la complexité inhérente aux projets de design, le designer doit entrer en interaction avec la situation : poser un geste et observer les effets pour ajuster ses interventions suivantes en conséquence de ce qu’il cherche à atteindre (Schön, 1994). Cette boucle récursive que Donald Schön appelle la conversation avec la situation permet au design de composer avec la complexité, d’avoir une flexibilité et une capacité d’unification qui le caractérise.

1.2 Le contexte : la profusion des théories

L’abondance des tentatives de définitions et des concepts associés à la pratique actuelle du design incite à la clarification des termes et des concepts. De nombreuses théories concernant le processus de design – par exemple : le design thinking, design science, le concept de glass box et de black box, le design centré sur l’usager, le design centré sur l’humain, le design participatif, le co-design, la projective, designerly ways of knowing, thinking and acting (Cross, 2007) – se côtoient indifféremment alors qu’aucune ne fait consensus dans la littérature et encore moins dans le milieu professionnel. Chacun des champs de pratique tend à donner une définition du design qui reflète ses attributs. Le design industriel mettra l’emphase sur le cycle de vie des objets, les procédés, les services et les systèmes, le design graphique fera état de la communication visuelle, de la création et l’organisation d’images pour traduire des idées, le design d’intérieur se concentrera sur l’organisation et la qualification des espaces intérieurs en terme de fonctionnalité, de

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bien-être et d’esthétisme, pour ne mentionner que ceux-là. Ce n’est pas mauvais en soi mais si nous cherchons à mieux définir le design dans son ensemble, la collection des nombreuses définitions n’aidera pas créer une synthèse claire. Il y a bien la populaire théorie du design thinking qui pourrait faire l’affaire. Elle a suscité l’intérêt d’autres disciplines comme la gestion, le marketing et l’ingénierie principalement pour sa façon d’aborder les projet à la manière du design (processus itératif et intégration de nouvelle information) pour devenir une méthode de gestion agile qui opère de manière créative. Elle est littéralement plus étudiée dans les facultés de gestion que dans écoles de design perdant ainsi peu à peu l’attention des designers. Il y a aussi les théories du design – entre autre la projective, le glass box/black box – qui sont axées sur le processus de création et qui délaissent ou intègrent trop sommairement les autres composantes du projets (différentes phases du projet, le produit fini, les acteurs, etc.). Pour un designer, la démarche de projet typique débute par la problématisation et la détermination des enjeux, ensuite vient une phase de recherche et création et se termine par la mise en œuvre ou la production. Findeli et Bousbaci (2005) proposent encore un modèle « suffisamment compact pour féconder [la] pratique professionnelle » (Findeli et Bousbaci, 2005, p. 18), celui de l’éclipse de l’objet où l’objet se retrouve au centre entre le volet conception, qui figure en amont de l’objet, et le volet réception, qui se positionne en aval. Nous devons tenir compte du « produit du projet de design lorsque [celui-ci] poursuit sa vie dans le monde [public] et social » (Findeli, 2015, p. 49). À la lumière de ces différentes approches, nous comprenons aisément pourquoi il est difficile de dégager des théories ou des principes communs aux champs de pratique du design qui fassent état de cette multiplicité : tenir compte de toutes les parties du projets de design, des acteurs, qui rassemble et relie mais aussi qui peut plus largement connecter l’objet et le sujet du design. Autrement dit, pallier à la fragmentation et favoriser une approche misant sur la globalité.

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Le caractère équivoque du design se reflète également dans sa définition. « L’ambigüité de l’acceptation du terme design est presque légendaire au sein de notre discipline, et il n’est guère d’occasion où un commentaire sur cette question ne constitue pas un passage obligé » (Findeli, 2003, p. 11). Dans le Design Dictionary (Erlhoff et Marshall, 2008, p. 104) la description débute par une remarque indiquant qu’il est impossible de donner une définition unique et faisant figure d’autorité car les débuts historiques du design sont complexes et la controverse concernant sa nature (ce qu’il est et ce qu’il n’est pas) alimente toujours les débats. Toutefois, certains auteurs (Boutinet, 2002 ; Vial, 2014) s’entendent pour dire que le design est fondamentalement lié au projet dont l’origine remonte aux projets architecturaux de la Renaissance italienne alors que le design, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est plutôt issu de la révolution industrielle du XIXe siècle. C’est donc cette complexité linguistique et conceptuelle qui pousse fréquemment les théoriciens du design à renoncer à le définir (Vial, 2014). Dans le cadre de ce mémoire, nous nous rangeons aux côtés de Findeli (2003) qui lui-même s’accorde à employer l’expression de Herbert Simon pour qualifier le design de « sciences de l’artificiel1 » (Simon, 1974). Paradoxalement, le design est une activité profondément humaine et située qui se révèle alors qu’elle prend ancrage dans son environnement et dans la réalité.

Pour pallier à la profusion des théories, qui sont généralement fragmentaires en regard d’un processus complet de design et de l’orientation qu’elles adoptent en fonction du champ de pratique d’où elles émanent, il serait utile de proposer un concept mieux adapté et fondateur pour le design dans l’esprit d’un design englobant et unificateur. Un concept qui rapprocherait théorie/pratique, conception/mise en œuvre, dans un mode d’intégration des savoirs et des compétences fondé sur une reconnaissance de la complexité des problématiques. Une approche globale et intégrée du design qui invoque l’interdépendance des pratiques, voire les coalise,                                                                                                                

1 Artificiel se différencie ici du terme virtuel ou factice et endosse sa signification de créé de toute pièce en tant que contribution à notre culture matérielle.

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favorisant les échanges entre les divers acteurs du projet. Pour nous, cela correspond au concept de transversalité et nous souhaitons voir de plus près comment ce concept imprègne le design et les interactions avec l’œuvre, l’objet, le projet. L’objectif n’est pas de développer un nouveau concept mais de rendre compte d’un processus existant pour lequel nous nous attendrions à ce qu’il soit plus largement documenté et qui est commun à tous les champs de pratique du design. Bref, apporter une contribution à la compréhension du design dans sa capacité à répondre aux problématiques par rapport à la complexité croissante des enjeux contemporains et l’amincissement des frontières entre les disciplines.

En considérant que le design est une activité transversale (Berger, 2014) et que les designers font preuve d’habiletés transversales, on peut logiquement supposer que la transversalité agit à différents niveaux : conceptuel, pratique et lors du passage de l’idéation à la réalisation. Si nous parvenons à démontrer que la transversalité intervient stratégiquement à tous les stades du développement du projet de design, nous sommes en droit de supposer que la transversalité joue un rôle de premier plan. Il serait alors possible de constituer le même genre de lien que Stéphane Vial a démontré entre le projet et le design2 (Vial, 2014, p. 20-21), à savoir que la transversalité serait nécessaire au design sans y être exclusive.

La pratique contemporaine du design permet-elle d’établir que le design requiert la transversalité et par conséquent peut-on définir la pratique contemporaine du design comme une discipline de la transversalité?

Nous voulons voir si la transversalité est visible dans le travail des designers et à quel niveau elle opère. Pour ce faire, nous ferons une étude de cas d’un designer                                                                                                                

2 « Le bénéfice que nous en espérons est le suivant : fonder en raison la légitimité de la revendication

projectuelle des designers, c’est-à-dire, pour le dire en termes plus simples, la possibilité pour le design de revendiquer la nécessité du projet et de se définir comme une discipline du projet par essence […] » (Vial, 2014, p. 20-21).

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professionnel expérimenté (voir chapitre 4.2) qui consiste en deux phases : l’analyse du portfolio suivi d’une entrevue semi-dirigée. Dans un premier temps, l’analyse du portfolio permettra de vérifier si la transversalité est visible jusque dans le projet réalisé, l’achèvement. La finalité qui constitue l’apogée, la raison pour laquelle le projet a été commandé, pour laquelle tous les efforts sont déployés et celle qui est émise dans le contexte social est une forme de démonstration de la transversalité. Ensuite, nous procéderons à une entrevue avec le même designer pour avoir sa perspective des projets, sa vision du design et voir dans son discours s’il lui arrive à parler de transversalité. Nous supposons déjà que le mot transversalité ne soit pas prononcé car ce n’est pas un terme « populaire » dans le domaine du design (par opposition au domaine de l’éducation où l’expression « compétences transversales » est très répandue et où il est question de transversalité des savoirs) mais nous croyons que le designer devrait être en mesure de parler du concept de transversalité, de la décrire en quelque sorte. Nous serons attentif à la mention des liens qu’il fait pour arriver à trouver des solutions ou à développer ses projets, au mécanisme qui permet l’intégration des savoirs, à la déterritorialisation et au transfert (prendre quelque chose d’ailleurs et le ramener dans le projet) qu’il opère afin d’intégrer connaissances et compétences (voir chapitre 4.1). Ceci nous permettra de voir à quel niveau intervient la transversalité. Nous comparerons enfin les deux volets pour effectuer des recoupements.

Il semblait important de rencontrer un designer professionnel afin d’obtenir une vue d’ensemble sur la transversalité. En effet, alors qu’un jeune designer ou un designer en formation passe davantage de temps sur la partie dédiée à la conception, ce qui est de toute manière normal car il est en train d’acquérir le langage, les méthodes et la façon de penser le design, le designer professionnel couvre complètement toutes les étapes du projet. Comme la tâche d’un designer vise à produire un artefact et qu’une part importante de son travail consiste en la mise en œuvre du projet, il semblait donc à propos de faire appel à un designer qui avait l’expérience de la conception et de la

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réalisation. La création et le développement du projet sont des phases critiques qui sont interreliées et s’interpénètrent à un certain point et font partie d’un même processus, celui du projet. De plus, le designer professionnel fait face à des contraintes, des éléments du projet qu’il ne contrôle pas, qui lui sont imposés et il doit interagir avec une foule d’intervenants dans le projet et donc, faire face à des changements imprévus. Ce contexte est représentatif de la pratique journalière du design telle que vécue par ceux qui contribuent à forger le monde qui nous entoure.

Il s’agit d’une étude de cas en deux volets qui consiste à analyser le travail d’un designer en étudiant son portfolio et à l’interviewer pour ensuite faire une comparaison des deux. Nous entendons par « le travail du designer », son portfolio tel qu’il le conçoit (une sélection de ses projets) car pour les besoins de notre recherche, une analyse complète de l’œuvre d’un designer serait trop exhaustive. La première étape consiste donc à analyser le portfolio du designer sous l’angle de la transversalité en nous posant la question suivante : comment les designers parviennent-ils à mettre en œuvre la transversalité dans les projets de design dans le contexte professionnel? Ensuite, le designer sera amené à commenter son travail lors d’une entrevue semi-dirigée et y expliquer le processus qu’il met en application. Puis, une comparaison entre l’analyse du portfolio et les commentaires du designer permettra de voir si et comment la transversalité qui a été à l’œuvre lors du processus et du projet en construction, peut être perceptible dans le projet réalisé. Puisque la transversalité est un processus, l’unique analyse du portfolio du designer ne permettrait pas de bien en comprendre toute l’étendue. Les commentaires du designer sur son processus approfondissent la description du projet. Notons également que ce que nous nommons « projet de design » englobe autant la préparation, la conception, que la mise en œuvre et le résultat final.

Le designer recherché pour participer à l’étude doit avoir un portfolio suffisamment diversifié pour montrer qu’il peut répondre à différentes problématiques complexes

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de design qui requièrent le recours à la transversalité. Autrement dit, être capable de sortir des applications de design routinières et démontrer des compétences transversales. Le designer doit avoir une pratique professionnelle (pas seulement des projets scolaires) afin que les projets du portfolio reflètent le processus de projet complet de la conception à la réalisation et la mise en service (ou la remise au client le cas échéant).

Une autre raison a influencé notre décision de conduire l’étude de cas avec un designer professionnel. Nous avons jugé souhaitable de privilégier un designer qui aura le potentiel de démontrer de façon claire une série de caractéristiques qui mènent à la transversalité. Et selon notre hypothèse, cette étude nous donnera l’occasion de mieux comprendre la relation que les designers entretiennent avec la transversalité. De plus, nous voulions différencier cette étude de celle menée par Donald Schön (1994) que nous aborderons dans le cadre théorique en explorant des territoires connexes. En outre, les études telles qu’effectuées par Schön sont souvent menées avec les étudiants car ils sont disponibles, accessibles sur place (dans l’université) par les chercheurs alors que les designers professionnels, qui ont des carrières fleurissantes et bien remplies ne sont pas aussi faciles à recruter. Le processus de recrutement doit se faire individuellement et il faut tenir compte des engagements ainsi que de leurs disponibilités. Cela ne signifie pas qu’ils ne soient pas intéressés mais simplement que le recrutement de designers professionnels demande plus d’organisation.

Une étude récente a démontré (Gonçalves et al., 2014) qu’il n’y a pas de différence entre les méthodes et les sources d’inspirations des designers professionnels et les étudiants. Néanmoins, il y a une corrélation entre l’expérience (expertise) et la créativité chez les designers. Une grande connaissance dans un domaine n’est pas synonyme de créativité – il n’y a qu’à penser au recours au néophyte pour voir les choses sous un autre angle – pourtant des études ont démontré que les contributions

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créatives significatives sont souvent faites par des experts dans leur domaine. Le développement des compétences et des connaissances du designer commence dès sa formation et se poursuit durant toute sa vie professionnelle. La principale différence entre les designers réside dans deux modes de pensée : dans la finalité poursuivie – les « juniors » orientent leur démarche par rapport aux problèmes (à définir) alors que les « séniors » canalisent leur travails vers la solution – et dans la structure de recherche d’information; les « juniors » n’ont pas toujours développé les réflexes d’organisation pour les guider, les designers « séniors », par leur expérience, sont mieux préparés à faire une analyse étendue du problème et saisir au vol toute information susceptible d’être utile (Cross, 2004; Gonçalves et al., 2014; Lawson, 2004). Il y a aussi une différence entre les designers dans la façon de gérer et catégoriser l’information. Les « juniors » organiseraient donc l’information selon des caractéristiques plus superficielles tandis que les designers expérimentés ont la capacité d’analyser en s’appuyant sur plusieurs principes de solutions auxquels ils ont été confrontés par le passé. Ils peuvent donc d’emblé adresser un problème sous plusieurs angles (Gonçalves et al., 2014, p. 35). Ceci dit, nous ne voulons pas discréditer le travail du designer « junior », au contraire. Chaque designer possède une expérience et des connaissances qui lui sont propres, aussi bien que des motivations et des traits de caractère qui le distinguent. Tout cela contribue à rendre le designer et son travail unique. La meilleure preuve est lors des concours de design alors que plusieurs designers se voient donné le même mandat avec le même cahier de charge, il en ressort des propositions toutes différentes.

Dans le chapitre deux, nous ferons le tour des différentes notions qu’il est important de comprendre et de distinguer : les relations interdisciplinaires (inter-multi-pluri-trans-disciplinarité) par rapport à la transversalité. Nous regarderons attentivement les concepts de la transversalité sous toutes ses coutures pour en saisir l’ampleur et le potentiel pour le design, et entre autres, les compétences transversales. Nous passerons ensuite par la logique pour voir les mécanismes de la pensée à l’œuvre

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lorsque la transversalité est en marche. Nous parlons des inférences logiques dont l’abduction est la seule qui puisse mener à la créativité.

Dans le chapitre trois, nous aborderons le cadre théorique. Nous débuterons avec le pragmatisme et une conception de l’expérience qui permet de relier penser et faire mais aussi le sensoriel, l’intellectuel et le matériel. Nous démontrerons comment et pourquoi l’expérience, sous toutes ses formes, joue un rôle important pour le design. Elle situe le design et lui fournit les matériaux qui lui permettent de se renouveler constamment. Ensuite, nous nous rapprocherons de la pratique du designer, de ses interventions pour voir comment il arrive à développer de la connaissance en cours d’action et sur l’action. Puis nous nous intéresserons au contexte dans lequel prend place le tout : le projet.

Le chapitre quatre est celui de l’étude de cas. Nous expliquerons en premier lieu ce qui a motivé le choix du designer et les critères qui permettront d’identifier la transversalité dans les projets. Cela sera suivi de l’analyse du portfolio et de l’entrevue semi-dirigée. Ce chapitre se conclura par la comparaison de l’analyse du portfolio et de l’entrevue.

Le chapitre cinq est la conclusion. Cette partie nous permettra de faire un retour sur les notions les plus marquantes et de présenter les faits saillants.

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CHAPITRE II

CE QU’IL FAUT D’ABORD SAVOIR

Avant d’entrer dans le vif du sujet et d’approfondir la transversalité, il est à propos d’éclaircir et de différencier la transversalité d’autres concepts avec lesquels elle peut être confondue, ou peut-être établir d’abord ce qu’elle n’est pas pour mieux y revenir. Nous allons faire un détour par des termes qui sont proches au niveau du sens et au passage rencontrer d’autres concepts (ou des mécanismes) qui peuvent être utiles alors que la transversalité se met en opération. Parmi les concepts que nous souhaitons clarifier, il y a d’abord les concepts qui sont proches de la transversalité relativement au processus et les termes que nous retrouvons beaucoup dans la pratique professionnelle du design, parfois utilisés à tord pour tenter de qualifier une pratique, en démontrer la profondeur ou encore faire ressortir son caractère distinctif. Dans plusieurs cas, il y a confusion des termes. Nous croyons aussi qu’il est nécessaire de faire une description exhaustive de la transversalité, de faire un retour sur ses origines et expliquer sous quelle forme elle peut apparaitre (par exemple les compétences transversales). Cela est dans le but d’aider à mieux la comprendre et de mieux la définir car elle présente des subtilités selon les domaines : déterritorialisation en philosophie, transfert en éducation, singularité en mathématique, etc. Dans sa définition, le mot transversalité (substantif) apparait comme une tautologie tandis que l’adjectif est plutôt polysémique. Grosso modo, ce sont tous des concepts que nous connaissons mais dont nous ne parvenons pas bien à expliquer en quoi ils sont différents, c’est ce que nous voulons faire ici.

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2.1 Inter-multi-pluri-trans-disciplinarité

Lorsqu’il est question de disciplines et d’interaction entre elles, dans le domaine des arts ou du design, il y a un recours fréquent aux termes multidisciplinaire, pluridisciplinaire, interdisciplinaire et plus récemment à transdisciplinaire. Dans l’utilisation de ces concepts, nous rencontrons souvent une confusion quant aux significations et dans certains cas, le mot disciplinaire est synonyme de méthode, champ de pratique ou de médium.

Pour certains designers professionnels, il peut être tentant d’utiliser un qualificatif qui leur permet l’accent sur une pratique qui serait plus intégrante, plus complexe et qui fait appel à plusieurs champs de pratique simultanément ou en alternance, une sorte de plaidoyer en faveur d’une plus grande compétence, qui démontre une meilleure aptitude à comprendre et adresser des problématiques d’envergure. Néanmoins, si nous prenons le point de vue du design de l’environnement, faire du design implique nécessairement le recours à plusieurs champs de pratique et met déjà en interaction les différentes échelles du projet.

Aussi, dans le cadre de ce mémoire, nous nous en tiendrons aux définitions épistémologiques strictes des relations disciplinaires pour éviter toute confusion. Avec la présence toujours plus importante de « l’interdisciplinarité en tant que recherche d’un langage commun [à travers des] réalisations [pluri-disciplinaires] qui échappent sciemment aux catégories admises, ou qui transgressent leurs limites […], le passage entre les disciplines devient une aventure [féconde] »3 (Verner, 2005, par. 5) pour le design. Avec autant de mouvance et de coexistences entre les concepts,

                                                                                                               

3 Disciplinaire est ici employé au sens de champs de pratique, de médiums, des divers formes

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il est à propos de se pencher sur les interpénétrations qui occurrent pour tirer parti de l’imprévisibilité et de la multiplicité des débouchés.

2.1.1 Disciplinarité

Avant de penser les inter-pluri-multi-trans-disciplinarités, il faut au préalable concevoir la disciplinairité. Première chose, la discipline est un mode de structure des connaissances. Il y a discipline lorsque les savoirs et les conduites sont organisés par un système de règles de manière à ce qu’ils forment, pour soi et les autres, un ensemble unifié évident et appréciable. Pour la science, la discipline est un travail humain qui crée un ordre et établit la propriété sur un champ de savoir ou d’intervention (Couturier, 2009, par. 32), c’est une branche de la connaissance qui donne matière à l’enseignement (Payette, 2001, p. 20). Préalablement à l’établissement d’un diagnostique sur le statut épistémologique entre les disciplines, il est nécessaire de déterminer la nature des interrelations disciplinaires par rapport à d’autres interrelations voisines notamment celles relatives à l’organisation du travail. Il peut y avoir une certaine confusion à l’analyse des interactions entre les disciplines car il peut être ardu de distinguer de réelles difficultés interdisciplinaires des difficultés interprofessionnelles relatives aux situations de travail (Couturier, 2009). Et particulièrement dans le cas du design parce qu’il est appelé à traiter des problématiques diverses, à mobiliser plusieurs champs de pratique et côtoyer de nombreux intervenants durant le projet et surtout lors de la réalisation.

Les relations disciplinaires, même si elles représentent des niveaux d’interactions plus ou moins profonds, ne sont pas pour autant des continuums qui pourraient se confondre. La pratique interdisciplinaire repose sur l’adoption d’un nouveau cadre de référence et requiert un saut qualitatif permettant le développement de paradigmes communs propices à maintenir et développer les relations disciplinaires. L’interdisciplinarité est autre chose qu’une excellente pratique multidisciplinaire,

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c’est une autre réalité qu’un très haut degré de multidisciplinarité (Payette, 2001, p. 31). Cela n’enlève rien aux qualités ni à la pertinence de la multidisciplinarité. La différence s’explique par le saut qualitatif nécessaire à l’interdisciplinarité. Il est en fait une variation dans l’ordre logique déterminant le point de passage. Le saut qualitatif est la condition de possibilité ou le mode opératoire de toute action délibérée et conscience accompagnant une manière d’agir et de penser (Horeau, 2013). Les inter-pluri-multi-trans-disciplinarités sont des postures épistémologiques qui permettent d’adresser les problématiques dans le but de penser et pratiquer une interaction de type collaboratif ou une relative interpénétration (Létourneau, 2008, par. 4). Notons que parfois, lorsqu’il est question d’une seule discipline pour l’étude d’un cas, il sera fait mention de monodisciplinarité. Et il arrive qu’interdisciplinarité soit utilisé au sens large comme une expression générique pour décrire toutes sortes de rapports qui peuvent s’établir entre les disciplines. « Le recours au terme polydisciplinarité serait sans doute plus heureux » (Lenoir, 2013, p. 232). Toutefois, comme le terme polydisciplinarité peut représenter tous les rapports entre les disciplines, il peut aussi être utilisé comme équivalent à multidisciplinarité et pluridisciplinarité (Kleinpeter, 2013, p.125). Nous n’y avons pas eu recourt dans le présent mémoire et avons préféré les appellations plus largement employées en précisant les nuances au besoin afin de ne pas ajouter à la confusion qui existe déjà entre certains termes.  

2.1.2 Multidisciplinarité et pluridisciplinarité

La posture épistémologique la plus connue est sans doute la multidisciplinarité qui consiste à réunir plusieurs disciplines qui contribuent ensemble, à partir de leurs compétences propres, à la compréhension d’un objet, à la solution d’une problématique ou au traitement d’un cas donné (Létourneau, 2008, par. 6-7). L’emploi de multidisciplinarité ou pluridisciplinarité varie selon les auteurs. Bien que certains arrivent à les distinguer, la différence entre les deux demeure subtile. Multi

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fait souvent référence à des équipes multidisciplinaires alors que pluri semble faire preuve d’un degré de pénétration entre les disciplines plus important. La pluridisciplinarité se manifeste quand plusieurs disciplines s’unissent et rassemblent leurs outils pour étudier un objet commun pour lequel elles ne possèdent pas individuellement les techniques pour l’étudier sous tous les aspects (Bourguignon, 2001). Les disciplines participent à la réalisation d’un objectif commun sans qu’aucune n’ait à modifier sa vision des choses et ses méthodes (Claverie, 2009, p. 22). La pluridisciplinarité devient possible lorsque les différences sont assumées dans la mesure où une discipline définit son champ d’action, elle se limite et délimite par le fait même celui des autres (Villand, 2001, p. 144). Elle met de l’avant surtout le concept d’association, de conjonction alors que la multidisciplinarité se situe dans le parallélisme, la juxtaposition et l’addition (Payette, 2001, p. 29).

La multidisciplinarité se manifeste, comme nous le disions, lorsque des parties travaillent en parallèle pour un même objectif ainsi chaque discipline conserve une certaine indépendance et demeure peu influencée par l’autre. Par conséquent, une équipe sera qualifiée de multidisciplinaire en raison de la diversité de sa composition ou de son mode de fonctionnement. La pratique multidisciplinaire s’appuie sur la division des tâches entre les personnes de disciplines différentes, fait appel à la coopération et à la collaboration afin d’éviter de travailler en silos (Payette, 2001, 29-31). Elle est décrite comme une séquence de travail rationnelle alors que dans la pratique pluridisciplinaire, il y a une reconnaissance mutuelle au recours de plusieurs disciplines pour réaliser la tâche à accomplir (Couturier, 2009, par. 4-5). Que ce soit multidisciplinarité ou pluridisciplinarité, dans les deux cas, il n’y a pas d’effet intégrateur entre les disciplines : elles interagissent de manière additive et non intégrative (Lenoir, 2013, p. 232).

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2.1.3 Interdisciplinarité

L’interdisciplinarité vise l’interaction entre différentes disciplines et se manifeste lorsqu’il y a nécessité de coopération entre des disciplines autonomes dans un but commun d’élargissement des connaissances, de compréhension d’un domaine spécifique ou d’une problématique particulière (Bourguignon, 1997) :

L’interdisciplinarité, au sens strict, désigne les interactions effectives tissées entre deux ou plusieurs disciplines portant sur leurs concepts, leurs démarches méthodologiques, leurs techniques, etc. Elle n’est donc pas compatible avec une perspective cumulative, quelle qu’elle soit, car elle impose des interactions réelles (Lenoir, 2013, p. 233).

L’objectif de l’interdisciplinarité est de créer des interactions qui vont produire l’intégration des connaissances et des expertises provenant de chaque disciplines à travers la procédure de résolution de problèmes complexes (Payette, 2001, p. 24). Elle provoque donc la transformation des disciplines coprésentes en ceci qu’elle appelle en partie une reprise des actions de l’une dans celles de l’autre. Ceci permettra l’émergence de nouveaux savoirs et éventuellement de nouvelles disciplines pourvu que la rencontre des différences assumées des disciplines impliquées entraine la transformation de chacune d’elles. Cette hybridation est provoquée par la redécoupe du réel suivi de la remonopolisation des domaines d’étude ou d’intervention (Couturier, 2009, par. 6).

La [perspective du métissage] pose la nécessité d’une transformation de soi à la faveur de la rencontre d’un autre irréductiblement différent. Ici, ce n’est pas l’émergence qui a valeur, mais le rapport de différenciation en tant que tel. L’inter, c’est-à-dire ce qui est entre, se conçoit alors comme un espace de possibles, un espace de rencontres, caractérisé par le mouvement plutôt que par la stabilisation disciplinaire. Une telle rencontre de l’autre exige dans cette perspective le déséquilibre, condition du mouvement, la tolérance au risque, condition de la rencontre, l’incertitude relative, condition de l’innovation. Il découle de ces énoncés que l’espace de l’inter ne peut être comblé, puisqu’il

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est espace de translation d’un monde à l’autre, puisqu’il est lieu de passage (Couturier, 2009, par. 6).

Précisons qu’il se distingue deux formes d’interdisciplinarité : l’interdisciplinarité coopérative et l’interdisciplinarité intégrative. L’interdisciplinarité mettant de l’avant le concept de coopération favorise le partage de points de vue, d’expertises, la transmission d’information, une relation de réciprocité et le concept de concertation. L’interdisciplinarité intégrative se manifeste lorsque les disciplines commencent à s’intégrer et à se dépasser dans une vérité plus globale, dépassant la simple juxtaposition, véritable travail de reconstruction du réel. Elle parvient à une synthèse intégratrice pour faire face à des situations complexes ; surmonte les difficultés de langage disciplinaires et les visions du monde différentes. Cela permet l’émergence de composantes nouvelles communes dans un territoire épistémologique déterminé où chacun n’est pas le propriétaire exclusif. Prise dans son mode d’intégration, l’interdisciplinarité est « l’artillerie lourde » pour faire face à des problèmes complexes qui nécessitent une interaction profonde, pénétrante entre différentes disciplines (Payette, 2001, p. 21-24). L’interdisciplinarité n’est pas une fin en soi ni un idéal à atteindre. Elle doit plutôt être utilisée comme outil ou encore comme méthode pour produire une représentation théorique adéquate dans un contexte précis à tel point complexe que l’expertise d’une seule discipline n’est pas suffisante (Lenoir, 2013, p. 245; Payette, 2001, p. 30). C’est pourquoi l’interdisciplinarité « se distingue mal de la transversalité dans son contenu » (Létourneau, 2008, par. 6).

2.1.4 Transdisciplinarité

L’origine du concept de la transdisciplinarité remonterait à un article de Niels Bohr (1955)4 sur l’unité de la connaissance. Bien que le mot n’y apparaisse pas, la notion

                                                                                                               

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est clairement décrite. C’est à Jean Piaget5 que serait attribuée l’apparition du mot transdisciplinarité dans un texte rédigé en 1970 à l’occasion d’un colloque sur l’interdisciplinarité6. Mais ce n’est qu’en 1994, lors du 1er Congrès mondial de la transdisciplinarité7, que fut adoptée la première charte de la transdisciplinarité (Bourguignon, 1997). Le développement de la transdisciplinarité vient combler un besoin de développer de nouvelles manières d’organiser et de penser la connaissance en tenant compte d’une complexité croissante (Bernstein, 2015). Car le monde, « le réel qui nous [entoure est beaucoup] plus riche et vaste que ce que nous en connaissons » (Létourneau, 2008, par. 7).

La transdisciplinarité concerne, comme le préfixe “trans” l'indique, ce qui est à la fois entre les disciplines, à travers les différentes disciplines et au-delà de toute discipline. Sa finalité est la compréhension du monde présent, dont un des impératifs est l'unité de la connaissance (Nicolescu, 1996, p. 98).

La transdisciplinarité agit en complémentarité des disciplines et non en opposition. Tout en reconnaissant la légitimité et la valeur des disciplines elle se propose de les dépasser, d’aller au-delà des interactions ou des réciprocités mises en œuvre dans l’interdisciplinarité pour situer les relations entre les recherches spécialisées à l’intérieur d’un système stable sans frontières (Bourguignon, 1997). « L’objet n’appartient plus à aucune discipline, il les dépasse » (Claveri, 2009, p. 24). Nous pourrions dire que la transdisciplinarité se penche sur des problématiques qui sont davantage assimilables à des systèmes dans la mesure où l’objet de recherche est plus que la somme de ses parties et ne pourrait être expliqué en le découpant en chacune

                                                                                                               

5 Jean Piaget est un intellectuel français qui a apporté une contribution significative dans les domaines

de la biologie, la psychologie et de l’épistémologie.  

6 Le colloque sur l’interdisciplinarité s’est tenu à Nice en 1970 et était patronné par l’OCDE et le

ministère de l’éducation Français.

7 Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité (Convento da Arrábida, Portugal, 2-7 novembre

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des parties qui le compose (Bernstein, 2015, chap. 2. Current Issues in Transdisciplinary Research).

« La transdisciplinarité s'intéresse à la dynamique engendrée par l'action de plusieurs niveaux de Réalité à la fois » (Nicolescu, 1996, p. 28). Il faut comprendre que les niveaux de réalité n’obéissent pas aux mêmes logiques mais à des lois différentes, ce ne sont pas seulement des points de vue différents. Par exemple, en science, les lois de la physique quantique et de la macrophysique ont des niveaux de réalité différents car il y a entre les deux une rupture des concepts fondamentaux. Les niveaux de réalité se distinguent des niveaux d’organisation qui sont des structurations différentes des mêmes lois fondamentales où par exemple l’économie et la physique classique font partie du même niveau de réalité (Nicolescu, 1996, p. 14). En sciences sociales, nous pourrions parler des niveaux de réalité comme étant la subjectivité, l’objectivité et le tiers inclus. Le tiers inclus vient du fait que le chercheur supposément détaché et objectif doit admettre sa propre subjectivité et se faisant, se questionner sur l’éthique des recherches poursuivies, de la distance entre le chercheur et le sujet, de même que la différence de pouvoir entre le chercheur et les individus/population étudiés. Les niveaux de réalité sont un concept clé pour la transdisciplinarité (Bernstein, 2015). Plus simplement, cette idée de niveaux de réalité pourrait être interprétée comme un moyen pour embrasser la complexité au-delà des postures et des interactions disciplinaires en tentant de prendre en compte tous les aspects de la réalité si tant est que cela est possible ou du moins, de rendre compte du mieux possible de ce qui constitue notre monde.

La transdisciplinarité peut être très utile pour le chercheur qui tente d’observer un problème sous plusieurs dimensions en même temps dans le but de découvrir différentes relations entre les disciplines (Bernstein, 2015). Pour cette raison, nous trouvons souvent la notion d’attitude dans la conception de la transdisciplinarité.

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L’attitude transdisciplinaire est […] un choix de pensée, une conviction affirmée dans une unité qui transcende les différences et réunit les disciplines [; une] attitude militante de recherche d’un tout d’une complexité fascinante (Zwirn, 2003) dans lequel l’Homme n’est qu’un élément malgré la place qu’il s’y donne (Claveri, 2009, p. 23).

Elle se distingue par une manière de penser qui permet d’établir des liens véritablement imaginatifs et créatifs dans la manière de relier les solutions aux problèmes mais aussi dans le choix d’association des facteurs à considérer. Elle exige du chercheur à penser de manière complexe et interconnectée mais surtout, elle nécessite de laisser la zone de confort des paradigmes de sa discipline pour engager de nouveaux modes de pensée et d’action (Bernstein, 2015).

Pour Nicolescu (1996) la transdisciplinarité permet l’approfondissement de la compréhension du monde présent et une posture pour la réflexion de la place de l’Homme dans la Nature, dans l’univers. Le courant de pensée transdisciplinaire se distingue donc de l’interdisciplinarité, pas tant par le contenu que par son mode de penser, en ne se limitant plus à la perspective épistémologique d'une philosophie de la connaissance pour s’étendre vers une philosophie de la nature et d'un humanisme (Bourguignon, 1997). L’essentiel des principes de la charte de la transversalité8 se résume en trois points et reflète cet esprit :

• La transdisciplinarité est incompatible avec une réduction de l'Homme à une structure formelle et à une réduction de la réalité à un seul niveau et à une seule logique [;]

• La transdisciplinarité offre une nouvelle vision de la Nature, en ouvrant les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse. Elle va au-delà du domaine                                                                                                                

8Ce sont les participants au Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité (Convento da Arrábida, Portugal, 2-7 novembre 1994) qui adoptèrent la charte de la transversalité « comme un ensemble de principes fondamentaux de la communauté des esprits transdisciplinaires, constituant un contrat moral que tout signataire de cette Charte fait avec soi-même, en dehors de toute contrainte juridique et institutionnelle ». (CIRET, 2012) Le comité de rédaction comprenait : Lima de Freitas (artiste), Edgar Morin (sociologue et philosophe) et Basarab Nicolescu (physicien).

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des sciences exactes qu'elle doit réconcilier avec les sciences de l'Homme [ ;]

• La transdisciplinarité situe l'Homme dans l'Univers. Elle postule que l'économie doit être au service de l'Homme. Elle dialogue avec toutes les idéologies humanistes et non totalitaires (Bourguignon 2012).

Somme toute, elle oblige cet effort de contextualisation et penser au-delà du projet mais aussi de penser la complexité. De toutes les relations disciplinaires, la transdisciplinarité est certainement celle qui fait le moins consensus. Au 84e congrès de l’ACFAS en 2016, la transdisciplinarité était identifiée comme démarche et objet de recherche concrète pour les problématiques sociales complexes particulièrement dans les domaines de la santé, de l’écologie et de l’urbanisme. Mittelstrass (2011) souligne également que la nanotechnologie est actuellement un des domaines de pointe dans la recherche théorique et pratique de la transdisciplinarité. Dans plusieurs cas, les épistémologues lui préfèrent d’autres termes lorsque ce sont des prétentions d’unité synthétique, métathéoriques ou suprathéoriques et renvoient souvent le concept à l’interdisciplinarité lorsqu’il est question du phénomène de transfert migratoire d’une discipline à une autre (Lenoir, 2003, p. 47).

Il [serait] d’un intérêt évident d’y recourir, mais en tant que transversalité, et non en tant que transdisciplinarité, pour caractériser la similitude qu’on établit entre plusieurs situations problématiques, exprimées à partir d’une intention, et le processus de prise en compte avec un regard pluriel des composantes de ces situations (Lenoir, 2003, p. 47).

2.1.5 Circumdisciplinarité

La circumdisciplinarité est certainement le seul type de relation disciplinaire qui admet et requiert la connaissance professionnelle. Elle met en évidence la nécessité d’une interaction entre les savoirs constitutifs des savoirs professionnels, non réductibles aux seuls savoirs disciplinaires, selon une posture « englobante, synthétisante et dynamique » (Lenoir, 2000, p. 296). Cette interaction se finalise par

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l’acte professionnel, structuré autour des axes dialogiques et praxéologiques. Autrement dit, une discipline peut bénéficier de l’apport de connaissances théoriques et pratiques valables développées par et pour la pratique professionnelle. La circumdisciplinarité requiert donc une attention centrée sur les finalités poursuivies et non sur la maitrise des paradigmes scientifiques des disciplines (Lenoir, 2000, p. 296).

La formation et la pratique professionnelle se caractérisent par l’interaction de savoirs autres que disciplinaires et scientifiques comme les savoirs d’expérience, connaissances de sens commun, savoirs d’altérité, savoirs sociaux et savoirs techniques (Lenoir, 2013, p. 234; Lenoir et Bouillier-Oudot, 2006, p.135; Lenoir et Sauvé, 1998, p.129). Les savoirs adisciplinaires interagissent avec les savoirs théoriques (savoirs scientifiques) d’une manière dynamique non linéaire et non hiérarchisée (Lenoir, 2013, p. 230).

La notion de circumdisciplinarité vise à mettre en exergue le fait qu’une formation professionnalisante doit prendre en compte dans [ses] interactions non seulement les différents savoirs disciplinaires – savoirs objets et savoirs contributoires – et les savoirs professionnels constitués – le savoir sur la pratique –, mais aussi le savoir émanant du discours des praticiens – le savoir de la pratique – et les compétences incorporées identifiées (Lenoir, 2003, p. 47).

Pour assurer une réelle intégration entre les différents savoirs au niveau de la pratique, la circumdisciplinarité requiert une approche contextualisée centrée sur les problématiques (Lenoir, 2000, p. 296). Il y a aussi l’intégration de toute une série d’acteurs coactifs à l’intérieur d’une spirale herméneutique, le circum, qui provoque la transformation et l’émergence de nouveaux savoirs de manière réflexive (Couturier, 2009, par. 7). Ce type de relation disciplinaire est particulièrement intéressant pour l’enseignement du design du fait qu’il offre une grande flexibilité au niveau des interactions et de la source des savoirs. La circumdisciplinarité consent

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l’introduction de nouvelles connaissances d’origines variées et à développer l’ouverture d’esprit nécessaire à la pratique du design du « fait que la formation professionnelle se réfère non seulement à des savoirs disciplinaires, à des savoirs homologués, mais aussi à des pratiques sociales de référence, des savoirs d’action, utilisés comme référentiels dans la formation » (Lenoir et al., 2006, p. 26).

En résumé, multidisciplinarité et pluridisciplinarité se manifestent lorsque plusieurs disciplines se concertent pour l’étude d’un objet qui ne pourrait pas l’être de la part d’une seule discipline. La multidisciplinarité repose sur une division des tâches entre les équipes qui collaborent pour éviter le travail en silo. L’interdisciplinarité se distingue par le fait que les disciplines impliquées développent et partagent des outils conjointement en plus d’un langage commun pour l’étude de l’objet. Il y a une interpénétration des méthodes et des savoirs où chacun doit consentir à modifier sa façon de penser. La pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité « nécessitent un effort de pensée, un souhait de dépassement de la routine, une stratégie collaborative avec une énergie de partage des valeurs de communautés différentes » (Claveri, 2009, p. 24). La transdisciplinarité est la posture épistémologique qui traite essentiellement de la complexité et des différents niveaux de réalité. Elle traverse les disciplines, les dépasse et propose une conduite de réflexion, une nouvelle vision de l’Homme entier inscrit dans l’Univers et la nature (Claveri, 2009, p. 20). Finalement, la circumdisciplinarité concerne l’intégration des savoirs praxéologiques et dialogiques provenant de la pratique professionnelle au corpus disciplinaire en incluant des savoirs adisciplinaires, d’altérité ou de sens commun qui sont à la fois issus et nécessaires à la pratique professionnelle.

Toutefois, même si nous arrivons à faire un résumé qui permet de bien décrire chacune des postures épistémologiques, il n’en demeure pas moins que tous les auteurs ne s’entendent pas sur chacune des définitions. Ceci ajouté à la confusion des interactions en pratiques interprofessionnelles, il peut devenir difficile de s’y

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retrouver. Morin (2003), dans son article Sur l’interdisciplinarité, fait clairement la démonstration que ces termes sont polysémiques et flous. Multidisciplinarité et pluridisciplinarité sont difficiles à distinguer, interdisciplinarité et transdisciplinarité, pour certains auteurs (Lenoir, 2003 ; Létourneau, 2008) sont soit tellement proches que dans plusieurs cas, l’interdisciplinarité serait suffisante pour expliquer le transfert migratoire entre les disciplines. De plus, les définitions font surtout référence à l’aspect conceptuel des disciplines. Ajoutons qu’en pratique, elles sont encore plus difficiles à identifier et différencier à cause de la confusion avec les enjeux interprofessionnels. Surtout dans le cas du design où les relations entre disciplines et professions changent d’un projet à l’autre et où une grande partie de l’acte de design, surtout dans le milieu professionnel, est justement la mise en œuvre du projet, sa réalisation. Un projet de design pourrait vraisemblablement requérir, par exemple, de l’interdisciplinarité au niveau conceptuel au moment de la création et faire appel à une équipe multidisciplinaire pour sa réalisation (comme c’est souvent le cas). Dans ce cas, s’agirait-il d’un projet interdisciplinaire ou multidisciplinaire? Il reste le cas de la circumdisciplinarité qui permet d’intégrer des savoirs autres que disciplinaires – savoirs d’altérité, de sens commun, d’expérience – « que les praticiens incorporent dans leurs pratiques et qui caractérisent en partie les pratiques professionnelles » (Lenoir, 2013, p. 234) et dont le design pourrait bénéficier. Cependant, Lenoir (2003, 2013) précise que cette posture épistémologique est utilisée purement dans le cas des formations professionnalisantes afin d’intégrer des savoirs particuliers reliés à la pratique. Il ajoute également que la circumdisciplinarité constitue en réalité une autre forme de l’interdisciplinarité au sens stricte (Lenoir, 2013, p. 234) avec l’interdisciplinarité intégrative et l’interdisciplinarité coopérative. Elle permet de penser une formation orientée vers la didactique des situations professionnelles plutôt que seulement sur la didactique des disciplines (Lenoir et al., 2006, p. 27). Toutefois, comme la présente recherche porte sur la pratique professionnelle et non sur la formation des designers, la circumdisciplinarité n’a pas été retenue comme posture d’interaction

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disciplinaire. Cela dit, la formation en design pourrait grandement bénéficier d’une approche circumdisciplinaire.

Il y a quand même un point commun entre toutes les relations disciplinaires : c’est l’impératif de créer des liens, d’établir des ponts, de jouer sur la limite, déterritorialiser/re-territorialiser, de pratiquer une mutualisation. Ici, ce qui est intéressant ce n’est pas tellement la qualification de la relation disciplinaire mais plutôt qu’il y ait relation entre les champs de pratiques, disciplines, savoirs disciplinaires, savoirs émanant de la pratique de même que les compétences qui leurs sont relatives. En d’autres termes, nous cherchons à identifier le mouvement plutôt que d’essayer de déterminer quelle serait la bonne appellation. Pour nous, cela correspond à l’idée de transversalité. En fait, c’est la transversalité qui opère dans tous les termes et qui est à la base des relations disciplinaires. Donc, sans transversalité, pas d’interrelation épistémologique féconde. Il n’y aurait rien qui traverserait les territoires disciplinaires pour établir de nouvelles dynamiques ou permettrait de réconcilier le générique de la discipline avec le spécifique du cas. Le défi est surtout d’articuler les apports des différentes disciplines du point de vue du design, d’y laisser pénétrer des théories et des méthodologies extérieures sans qu’il ne devienne accessoire aux autres disciplines. Le design se positionne alors à la croisée des disciplines et le designer se révèle passeur, médiateur. Dans son travail quotidien, « le designer est à l’interface des acteurs d’un projet » (Berger, 2014, p. 33). Son métier l’amène à articuler les contributions des différentes disciplines dans un projet, dans un sens à pratiquer l’interdisciplinarité (au sens générique du terme) tant au niveau théorique que pratique. En même temps, bien que n’étant pas spécialiste dans tous les domaines, il doit porter un regard englobant sur les problématiques qu’il traite en harmonisant le plan humain et le plan technique. Un designer possédant une base pluridisciplinaire est davantage apte à recevoir et embrasser les éléments disparates ou hétérogènes, de les mettre en perspective en témoignant d’une compréhension à la fois globale et spécifique. Il est plus avantageux pour le design de

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dépasser les luttes et cloisonnements disciplinaires pour rechercher les échanges qui favorisent les hybridations et croisements fertiles, engendrer des complémentarités et sauter le faussé des divergences de discours et de conception entre théorie et pratique, soit le milieu académique et terrain professionnel. De part l’étendue de ses sphères d’application possibles, le design est appelé à s’accointer avec d’autres disciplines et à investir des territoires indéfinis (Berger, 2014, p. 33-40). De plus, la transversalité se libère de la référence disciplinaire et alloue un espace ouvert qui nous permet de considérer le design dans un sens large, qui englobe et rassemble des champs de pratiques et non des disciplines. Enfin, puisqu’il n’y a pas de consensus sur les termes (peut-être dû à l’antinomie de vouloir s’accrocher à une discipline tout en voulant s’en affranchir – et c’est encore plus flagrant dans le cas du design), il serait peut-être tout simplement à propos de se laisser tenter par la transversalité et toutes ses possibilités.

2.2 La transversalité

À côté de ces relations disciplinaires, des degrés de pénétration et de contamination, qu’existe-t-il d’autre qui puisse souligner le transfert et l’échange et qui serait commun à toutes les étapes d’un projet de design? Quelque chose qui puisse faire abstraction de la disciplinarité, de sa nécessité inhérente de définition et de territorialisation, pour laisser le champ libre aux échanges, à l’établissement de liens et au potentiel de l’interstice. Le recours à la transversalité s’avance comme très utile pour déterminer, à partir d’une intention, des rapprochements et des analogies entre des situations problématiques et le processus de considération des composantes de ces situations par un regard pluriel (Lenoir, 2003, p. 44-45). Transversalité : le mot apparait dans plusieurs disciplines, notamment en éducation, en gestion et en

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Figure 4 .1 Exemples de travaux de James Turrell.

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