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Les collocatifs supports dans les dictionnaires traditionnels

Partie II : Propriétés des collocations à verbe support

Chapitre 5 : Propriétés lexicales des collocations à verbe support

5.3 Description lexicographique des verbes supports

5.3.1 Les collocatifs supports dans les dictionnaires traditionnels

5.3.1.1 Les collocatifs supports dans Abinal & Malzac (1888) et Rajemisa-Raolison (1985)

Tel que mentionné dans la première partie de notre travail (chapitre 2, section 2.2.1), certaines collocations sont repérables dans les dictionnaires généraux sous les entrées de la base. Nous avons pris à titre de référence le dictionnaire bilingue malgache-français d’Abinal & Malzac (1888) et le dictionnaire monolingue malgache de Rajemisa-Raolison (1985), car ce sont à la fois les plus complets et les plus utilisés. Ils constituent des dictionnaires de référence en malgache. Pour mieux comprendre la manière dont les collocations (et notamment celles à collocatif support) ont été traitées dans la lexicographie traditionnelle malgache, nous allons examiner les articles de dictionnaire du vocable HAJA. Ce qui nous permet de mieux voir comment sont décrits les verbes supports et les noms supportés.

Haja a. : Fanaovana ho zavatra [‘le fait de considérer quelque chose’], toetra mahatonga hoheverina ho

zavatra [caractère qui fait qu’on considère quelque chose’] : Lehilahy mana-kaja io [‘C’est un homme respectueux’]. ♦Mariky ny fiheverana ho zavatra [‘marque du fait qu’on considère quelque chose’] :

Omeo haja izy [‘donnez-lui du repect’]. […]

■ F.-p. : […] Heni-kaja [‘couvert de respect’] : feno voninahitra [‘rempli d’honneur’]. ∕ Manome

haja [‘donner du respect’] : manolotra fankasitrahana [‘offrir de la reconnaissance], manotrona sy manao izay hahamendrika ny hafa eo amin’ny fotoana lehibe [‘Assister et faire en sorte qu’une autre personne soit digne lors d’un evènement spécial’]. ∕ Mendri-kaja [‘digne de respect’] : tsara fanahy, tsara toetra, ka antonona ny hatsarany ny voninahitra atolotra azy [‘avoir une bonne attitude, un bon caractère de telle sorte que la personne mérite l’honneur qu’on lui accorde’]. ∕ Olo-manan-kaja [‘un homme respectueux’] : enti-milaza ireo olona eo amin’ny toerana ambony [‘utilisé pour désigner les gens qui occupent une place supérieure]. […]

Figure 10 : Haja (Rajemisa-Raolison, 1985 : 404)

HÀJA, s. Respect, considération, vénération, honneurs rendus. Mendrika homen-kaja izy. Il mérite

d’être respecté, honoré. Manan-kaja io vehivavy io. Cette femme est respectée. Figure 11 : Haja (Abinal & Malzac 1888: p. 207)

On constate dans ces articles de dictionnaires que les collocations à collocatif support se trouvent sous l'entrée de leur base nominale prédicative. Ce sont essentiellement les collocations à verbe support qui sont traitées dans ces dictionnaires. Les autres collocations, à adverbes supports sont quasi-inexistantes. Nous avons pu relever quand même un collocatif support adjectival : heni-

kaja ‘couvert de respect’. Cependant, aucune collocation à adverbe support n’a pu être trouvée dans ces dictionnaires.

Il est évident que les deux dictionnaires n’ont pas le même objectif : l’un est bilingue et l’autre est monolingue, mais à première vue, les deux décrivent de la même façon les collocations à verbe support. Premièrement, ces dernières servent d’exemples pour illustrer la définition des lexèmes pleins. Nous sommes face à quelque chose de paradoxal, car les verbes supports sont toujours vides de sens ou partiellement vides tandis qu’ici ils sont utilisés comme exemples de verbe plein. Pour le cas de omeo haja izy ‘donnez-lui du respect’ (sous haja), une collocation à verbe support est utilisée comme exemple pour illustrer la définition de haja : mariky ny fiheverana ho zavatra ‘marque du fait qu’on pense que quelque chose a de l’importance’.

Par ailleurs, on trouve une liste de collocations, dont certaines à verbe support, dans la section F.-p. (Abréviation de Fombam-piteny ‘expression’) dans Rajemisa-Raolison (1985). On trouve également de telles listes dans la dernière partie des entrées dans Abinal & Malzac (1888). Il importe également de noter que dans ces deux dictionnaires, les collocations sont mêlées aussi bien avec des expressions libres (totalement transparentes) qu'avec des locutions (totalement opaques). Il n’existe aucun moyen de distinguer si on est face à une collocation ou à une locution. Dans une même liste, Rajemisa-Raolison note le sens des collocations à verbe support au moyen d’autres collocations qui en sont des synonymes (proches ou élargis). Il donne une autre collocation qui est le synonyme de la collocation à verbe support à définir. Par exemple, pour manome haja ‘donner du respect’, il donne manolotra fankasitrahana ‘exprimer de la reconnaissance. Il va sans dire que cette façon de procéder par remplacement synonymique approximatif n’explique pas clairement le sens des collocations, car ces dictionnaires ne visent pas une description précise du sens, mais une saisie intuitive de celui-ci.

Enfin, nous avons pu relever également l’existence d’une collocation adjectivale intensive telle que heni-kaja ‘rempli de respect’, mais cette collocation ne comporte pas d’indication spécifique sur son sens ni sur sa restriction lexicale.

Si nous faisons la synthèse de ce que l'on retrouve dans les deux dictionnaires par rapport à la collocation à collocatif support (et notamment à verbe support) nous voyons que leur description

lexicographique ne comporte pas suffisamment d’informations sur leur restriction lexicale, sur leur caractéristique sémantique et même sur leur catégorie morphologique (collocation verbale ou adjectivale par exemple). Aucun traitement particulier ne leur est assigné. Rappelons aussi que les dictionnaires traditionnels ont pour but de guider intuitivement leur utilisateur plutôt que de donner une description précise des faits. Les deux lexicographes ont tout simplement signalé leur existence dans la langue en donnant une liste avec très peu d’informations. Ce type d’encodage n’est pas suffisant pour décrire les collocations et notamment les collocations à collocatifs support. Mais avant de proposer une méthode d’encodage plus appropriée, voyons comment les collocatifs supports sont traités dans les dictionnaires du français et en particulier le Dictionnaire explicatif et combinatoire (DEC).

5.3.1.2 Les collocatifs supports dans les dictionnaires français

Nous allons donner un court aperçu du codage des collocatifs supports dans certains dictionnaires français notamment Le Petit Robert, le Dictionnaire des cooccurrences (Beauchesne, 2001), le Grand Druide des cooccurrences et le Dictionnaire explicatif et combinatoire (DEC).

Dans le dictionnaire monolingue français Le Petit Robert (2004), les collocatifs sont codés sous l'entrée de leur base et aussi parfois sous l'entrée du collocatif. Il arrive qu’on retrouve les mêmes collocatifs sous les deux entrées : celle de la base et celle du collocatif.

Le Dictionnaire des cooccurrences de Beauchesne (2001) est un dictionnaire de collocations. Les entrées sont constituées de noms et sous chaque entrée est donnée une liste des adjectifs qui sont des collocatifs adjectivaux et par la suite, on trouve les collocatifs verbaux que cette base nominale sélectionne. Par exemple, sous CONSEIL on a amical, attentionné, avisé, bienveillant et les collocatifs supports verbaux se trouvent dans la liste des verbes répertoriés. Ainsi, on a donner, recevoir, prodiguer, comme collocatifs supports verbaux. Les noms ne sont pas définis. Sous l’entrée du RESPECT, nous avons, à titre d’exemple, avoir, éprouver, et ressentir. Le Grand Druide des cooccurrences est un répertoire de cooccurrences qui comprend 10 000 entrées dont 80 % sont formées par des noms et 17% par des verbes et des adjectifs. C’est sous les entrées nominales que se trouvent les cooccurrences qui sont regroupées selon leur contexte

syntaxique (sujet, complément de nom, complément de verbe, avec épithète, etc.) et classées selon leur force statistique. Les collocatifs supports se trouvent donc sous les entrées nominales sous forme de liste. Par exemple, sous conseil, on trouve les collocatifs supports suivants par exemple donner, prodiguer, offrir, apporter. Ils sont présentés sous forme de liste.

Le DEC traite les collocatifs supports verbaux dans l’article de la base au moyen de fonctions lexicales. Rappelons que les fonctions lexicales qui correspondent aux verbes supports sont Operi, Funci, Laborij. Si on applique au mot-clé (ou base) une de ces fonctions lexicales, on obtient un collocatif verbal qui n’est autre que le verbe support. Le verbe support est ainsi répertorié non dans une entrée propre, mais dans la combinatoire lexicale de l'article lexicographique consacré à sa base. On voit bien qu’il n’a pas d'autonomie, mais dépend totalement de la présence de sa base nominale pour apparaître. Par exemple, si l’on veut trouver le collocatif support avoir on doit le cherche sous COÛT1, sous VENTE1a. et sous une grande quantité d’autres bases. De même le collocatif faire se retrouve sous PAIEMENTI.1Aa., APPRENTISSAGE3. Le collocatif donner se retrouve sous CONSEILI.1., LEÇONI.1., etc. Le collocatif connaître figure sous CHANGEMENT1.1b., le collocatif lancer sous DÉFI I.2, et ainsi de suite. Aucun article ne recense tous les emplois d'une forme verbale comme collocatif support.

Les collocatifs avoir, faire et donner sont des verbes supports sémantiquement vides, qui sont sélectionnés par plusieurs bases nominales différentes. Nous les trouvons donc sous les divers articles de ces bases. Il arrive parfois que ces diverses bases appartiennent à une classe sémantique donnée. Par exemple, la classe des noms de sentiment tels tristesse, joie, découragement sélectionne les mêmes collocatifs supports qui sont avoir, éprouver et ressentir si on suit la démarche du DEC. On doit pour cela reprendre le même collocatif choisi par une base qui fait partie d’une classe sémantique. Ce qui conduit nécessairement à de nombreuses redondances comme l’a souligné Alonso Ramos (1998 : 155-167). Dans un DEC de l'espagnol, il faudrait, par exemple, répéter dans tous les articles de noms de maladies le verbe support tener ‘avoir’ ou sufrir ‘souffrir’. Et ce phénomène, on le rencontre dans les autres champs sémantiques. En effet, toujours selon Alonso Ramos, malgré le fait que le choix des verbes supports soit arbitraire, il peut y avoir certaines régularités sémantiques. De plus, selon elle, si

on se limite à décrire les verbes supports dans l’article du nom, cela empêche d’attribuer aux verbes supports le statut d’unités lexicales, car si un verbe support ne possède pas d'article de dictionnaire, il ne peut pas être considéré comme une unité lexicale autonome. Pour Alonso Ramos, la méthode du DEC est correcte pour décrire les constructions à verbe support comme collocations, mais elle n’est pas suffisante pour traiter les supports comme collocatifs. Dans le cadre de son travail sur les constructions à verbe support en espagnol Alonso Ramos s’est particulièrement intéressée aux possibilités de rédiger des articles lexicographiques pour les collocatifs à verbe support. C’est cette question que nous allons aborder dans la section qui suit.