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2. La gestion des introductions d'agents de lutte biologique (classique)

2.5. Les capacités adaptatives des agents de lutte biologique

2.5.1. La convergence climatique entre la zone d'origine et la zone d'introduction

Il est souvent supposé que les agents de lutte biologique sont adaptés localement à l’environnement de leur zone d’origine. Les importations sont donc souvent réalisées à partir de zones d’origine qui présentent des conditions climatiques semblables à la zone d’introduction (van Klinken et al. 2003). La tolérance climatique des agents de lutte biologique est utilisée comme critère lors des évaluations précédant une introduction (Scott 1992, Dennill & Gordon 1990, McClay & Hughes 1995, Lactin et al. 1997, Nowierski & Fitzgerald 2002). Ces études suggèrent que les agents de lutte biologique sont effectivement adaptés aux conditions climatiques spécifiques de la zone d’origine et que la similarité des conditions climatiques doit être considérée lors des opérations de lutte biologique.

2.5.2. Adaptation aux nouvelles conditions environnementales

Il est accepté généralement que les opérations de lutte biologique classique réussies sont celles où l'agent de lutte biologique a pu s'adapter génétiquement aux nouvelles conditions environnementales et au nouvel hôte (Hopper et al. 1993, Roderick 1996). Pour que l’adaptation soit possible, il paraît nécessaire que la variabilité génétique des agents de lutte biologique soit préservée lors des introductions. Or, en dépit du fait que des centaines d'espèces aient été lâchées à travers le monde avec des objectifs de lutte biologique, il n'existe actuellement que peu de données objectives sur la diversité génétique des populations introduites. Il n'existe aucune évidence de l'importance du processus d'adaptation génétique au nouveau milieu pour le succès des opérations de lutte biologique, qu’elles se fassent à l’aide

de parasitoïdes, de prédateurs ou d’herbivores.

Le processus d'introduction d'une population est accompagné d’un goulot d’étranglement de la taille efficace de la population qui peut avoir lieu à un ou plusieurs moments. La population d’individus prélevés de la population d'origine, même importante, n’en représente qu’un échantillon limité. Cette population doit être élevée en condition de quarantaine durant plusieurs générations pour s’assurer de l’absence de pathogènes ou autres parasites qui ne sont pas souhaités dans la zone d’introduction. La consanguinité peut entraîner la mort d’une partie de l’élevage et accroître à nouveau l’effet de dérive génétique. De plus, des processus de sélection aux conditions d'élevage peuvent accentuer la perte de variabilité génétique (Hopper et al. 1993). Ces populations sont souvent soumises à des tests de laboratoire pour étudier leur qualité potentielle pour le contrôle du ravageur. Enfin, lors de l'introduction, il est possible qu'un grand nombre de ces individus ne survive pas. Un goulot d’étranglement populationnel peut s’accompagner alors d’un fort goulot d'étranglement génétique (Barton & Charlesworth 1984). Ce phénomène connu sous le terme d"effet de fondation" serait un facteur majeur de structuration génétique voire de spéciation dans la nature (Barton & Charlesworth 1984, Carson & Templeton 1984, Gavrilets & Boake 1998). Baker et al. (2003) montrent des évidences expérimentales en populations naturelles. De ce phénomène, les introductions d’agents de lutte biologique pourraient constituer de bons modèles pour tester ces théories.

Les populations introduites passent par une première phase post-lâcher, parfois longue, où elles sont de petite taille ou même extrêmement rares, suivie d’une phase d’expansion démographique soudaine. Durant la première étape, que l’on nomme "acclimatation", des allèles rares sont probablement perdus ainsi qu'une part de l'hétérozygotie. Durant la deuxième étape, l'hétérozygotie peut être restaurée si l'intensité du goulot d'étranglement n'a pas été trop élevée. Cependant Hopper et al. (1993) ont montré que cette situation peut être expliquée par des processus écologiques sans faire appel à des facteurs évolutifs (population a faible nombre de fondateurs, effets Allee suivis d'une croissance exponentielle). Willis et al. (2000) ont montré que des changements phénotypiques des populations suite à des introductions ne sont pas nécessairement génétiques mais reflètent des réponses plastiques à des nouveaux environnements. Enfin, remarquons qu’une plus faible diversité moléculaire n’entraîne pas nécessairement une plus faible capacité adaptative. De nombreuses espèces invasives sont faiblement variables au niveau moléculaire, ce qui n’empêche pas leur succès

écologique. Lindholm et al. (2005) ont ainsi pu montrer que certains poissons invasifs disposaient, malgré une très faible diversité moléculaire, de forts niveaux d’héritabilité additive pour des caractères morphologiques.

Un travail sur l'adaptation génétique des populations d'agents de lutte biologique a été réalisé par Hufbauer (2002), dans une étude particulièrement désignée dans cet objectif. L'auteur a montré que le parasitoïde de pucerons Aphidius ervi, introduit aux Etats-Unis, se développe moins bien sur son hôte local que le parasitoïde de la population d'origine (France). Une réduction de la variabilité de la capacité à contourner la résistance de l'hôte des parasitoïdes introduits par rapport aux parasitoïdes de la population d'origine a été mise en évidence. Ses résultats suggèrent que l'introduction de A. ervi a été accompagnée par une évolution non-adaptative de la population. Hufbauer et al. (2004) ont montré ultérieurement une différenciation génétique (neutre) entre des populations européennes et d'Amérique du Nord. De façon similaire, Baker et al. (2003) montrent une réduction de la variabilité génétique neutre qui accompagne l'introduction du Braconide Diaeretiella rapae (M'Intosh) en Australie, ainsi qu'une différenciation génétique importante entre populations introduites et d’origine. Une étude de Lemasurier & Waage (1993) suggère une adaptation locale d'agents de lutte biologique à leur nouvel hôte. Les auteurs montrent que le taux d'attaque d'une population de Cotesia glomerata introduite (aux Etats-Unis) sur l'espèce cible est plus important que le taux d'attaque de la population d'origine (Angleterre) qui n'attaque pas cet hôte en milieu naturel.

Par ailleurs, des études sur le développement de résistance aux pesticides chez les agents de lutte biologique sur le terrain montrent aussi des évidences sur leur capacité d'adaptation à de nouveaux habitats (e.g. Baker & Weaver 1993, Rathman et al. 1995, Xu et al. 2001).

Malgré le manque d'observations, la variabilité génétique de caractères adaptatifs apparaît théoriquement importante lors du processus d'acclimatation et adaptation locale des agents de lutte biologique (revu par Hopper et al. 1993). La compréhension des processus génétiques et évolutifs qui accompagnent les introductions pourra nous permettre de promouvoir les adaptations ainsi que de limiter les maladaptations, ce qui pourrait améliorer leur efficacité. Comprendre les phénomènes évolutifs liés aux changements d’hôte pourrait diminuer les risques environnementaux des introductions.

Enfin, introductions de lutte biologique et invasions biologique mettent en jeu des mécanismes écologiques et génétiques similaires. Les causes de leur succès et de leurs effets indirects peuvent certainement être comprises dans le même cadre conceptuel. Le développement rapide d'un cadre conceptuel pour l’étude des invasions biologiques sur un plan génétique (Facon et al. 2006) permettra, si des ponts s’établissent avec une théorie de la lutte biologique, d’améliorer nos capacités de prédiction.

Chapitre II

Différenciation morphométrique et génétique,

et isolement reproductif entre populations du

Chapitre II

Différenciation morphométrique et génétique, et isolement

reproductif entre populations du parasitoïde Cotesia

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