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2. La gestion des introductions d'agents de lutte biologique (classique)

2.4. Le comportement des agents de lutte biologique

Nous restreindrons cette partie au comportement des insectes parasitoïdes. L’activité principale du stade adulte des parasitoïdes consiste essentiellement en la recherche d’hôtes pour assurer leur descendance. Ce comportement de recherche est fortement corrélé à la valeur sélective, de fortes variations inter individuelles peuvent apparaître pour le nombre d’hôtes viables rencontrés, donc parasités avec succès. De ce fait, ces insectes sont des modèles privilégiés et particuliers pour les études comportementales. Ces études ont souvent été intégrées dans des programmes d'évaluation d'agents de lutte biologique.

de l’hôte et le parasitisme ont été réalisées durant les dernières décennies. En effet, depuis les années 70, l’écologie comportementale (Krebs & Davies 1984) s’est développée comme une nouvelle discipline intégrant des concepts de l'éthologie et de la biologie des populations. La Théorie de l’approvisionnement optimal ("Optimal Foraging Theory", Charnov 1976), offre un cadre théorique pour cette discipline. Selon cette théorie le comportement est optimisé par la sélection naturelle, comme tous les autres traits du phénotype. Cependant, le comportement est complexe. Les individus doivent faire face à de nombreuses situations et prendre des décisions (par exemple : où chercher de la nourriture, quand se reproduire, etc.) sous les contraintes génétiques, physiologiques et environnementales qui leur sont imposées.

Le développement de l’écologie comportementale a permis d’une part, d’aborder le comportement des parasitoïdes à la lumière de la sélection naturelle en formalisant son lien direct avec la valeur sélective des individus. D'autre part, cette discipline a permis d’avancer dans la compréhension du rôle du comportement individuel dans la dynamique des populations hôte-parasitoïde. L’intégration du comportement individuel dans l’étude de la dynamique des populations a engendré des résultats importants (Sutherland 1996, Sirot & Krivan 1997, Bernstein et al. 1988, Bernstein et al. 1999). A titre d’exemple, Bernstein et al. (1988 et 1999) ont montré par modélisation que des décisions comportementales individuelles d'un prédateur influent sur sa distribution spatiale et sur la stabilité du système.

Cette approche du comportement offre des perspectives importantes, en particulier pour la lutte biologique. Des mesures faites au laboratoire sur des caractères représentant divers aspects du comportement, sont déjà disponibles pour de nombreux parasitoïdes agents de lutte biologique. Parallèlement, des suivis de dynamique de populations sur le terrain, sont disponibles pour plusieurs modèles. Le développement de l’écologie comportementale présentera certainement le cadre théorique pour relier ces deux types d’études et caractériser la dynamique des systèmes sur la base des traits de vie (individuels) mesurables. En retour, ces travaux reliant mesures comportementales et dynamique des populations pourraient servir à prédire les résultats des introductions. Les populations devraient être préalablement caractérisées pour leur comportement et les environnements d’hôte, caractérisés pour leur fonctionnement dynamique.

Quelques questions fondamentales se posent pour comprendre l’impact des études comportementales sur la lutte biologique :

1. Le comportement est-il polymorphe au sein des espèces ? Peut-on

caractériser les populations par le comportement des individus ?

Le comportement a longtemps été considéré comme fixé au sein des espèces. La plupart des études éthologiques comparent le comportement entre espèces et non les différences entre populations. Néanmoins, de nombreuses études ont montré que le comportement peut varier entre populations au sein des espèces et qu'il y a une base génétique à ces variations (Mackauer 1976, Chassain et al. 1988, Lewis et al. 1990, Prevost & Lewis 1990, Hopper et al. 1993, Bruins et al. 1994, Kester & Barbosa 1994, Fleury et al. 1995, Gu & Dorn 2000).

2. Le comportement est-il adaptatif ?

Certains auteurs ont montré que le comportement est formé par des caractères très variables phénotypiquement et qu'il est souvent le premier aspect du phénotype à évoluer dans une nouvelle direction (Wcislo 1989, Foster & Endler 1999). Le rôle du comportement dans la spéciation a été reconnu (e.g. la sélection sexuelle, Kondrashov & Shpak 1998, Higashi et al. 1999, l'adaptation à des hôtes alternatifs ou acquisition de nouveaux caractères qui permettent le changement de spectre d'hôtes, voir Turelli et al. 2001, Via 2001). La différenciation du comportement pourrait donc être le produit de pressions de sélections hétérogènes et devrait être un bon indicateur des directions de l’évolution (Amat 2004).

D'après la théorie de la sélection naturelle, les génotypes des parasitoïdes les plus aptes à localiser les hôtes et à les parasiter, en utilisant efficacement l’information du milieu sont favorisés (voir Price 1970, Dicke & Sabelis 1988). Sous certaines conditions fondamentales, les populations soumisses à des pressions de sélection différentes peuvent évoluer, diverger génétiquement et leurs individus adopter un comportement divergent entre populations qui leur permet de maximiser leur valeur sélective (i.e. s'adapter). Ces conditions sont : (i) l’existence d’une variabilité génétique concernant le comportement. Elle a été mise en évidence chez des parasitoïdes au sein des populations (Wajnberg et al. 1999 et 2004, Wajnberg & Colazza 1998, Pompanon et al 1999), (ii) un flux de gènes entre populations significativement bas, (iii) des comportements conduisant au meilleur succès parasitaire qui diffèrent entre habitats.

La comparaison du comportement entre populations dans les mêmes conditions physiologiques et environnementales s’est avérée utile pour déterminer l’existence d'écotypes

causes et mécanismes de la différenciation, lors des phases précoces de la spéciation ont pu être étudiés à partir de ce type d'études comportementales en conditions contrôlées. C’est ainsi que les rôles de la plasticité phénotypique c'est-à-dire la réponse aux variations de l’environnement, en particulier des capacités d’apprentissage des individus et sa différentiation entre populations, ont pu être mis en évidence (Foster 1999). Cependant, même lorsque deux écotypes comportementaux sont bien différenciés et ont évolué indépendamment, démontrer que la différenciation est le résultat de l'adaptation locale nécessite d’autres méthodes que la comparaison de populations. Quelques travaux ont démontré le caractère adaptatif du comportement. Par exemple, des études sur le poisson

Poecilia reticulata ont montré une variabilité géographique de phénotypes comportementaux

dont le caractère adaptatif a été mis en évidence par des introductions dans de nouveaux habitats soumis à différentes pressions de prédation et des études de sélection au laboratoire. Il a été observé que les différences dans la coloration des mâles correspondent à des compromis optimaux entre la sélection sexuelle qui favorise les mâles brillants et la sélection par crypsis induite par les prédateurs (Endler 1995). Riechert (1999) rapporte aussi un exemple de divergence comportementale adaptative chez l’araignée Agelenopsis aperta. D'autres travaux montrent des patrons comportementaux qui s'accordent, au moins qualitativement, avec les prédictions de la théorie des jeux et le modèle de l'approvisionnement optimal (Haccou et al. 1991, Hemerik et al. 1993, Godfray 1994). Ces études suggèrent que le comportement pourrait souvent être adaptatif.

La comparaison du comportement des populations a aussi mis en évidence le caractère non systématique de l’adaptation locale. Par exemple, Van Nouhuys & Via (1999) ont observé une différenciation comportementale entre populations de milieux sauvages et cultivés chez Cotesia glomerata. Des expériences de transplantation réciproque entre habitat n’ont pu démontrer le caractère adaptatif de la différentiation. Des exemples de maladaptation comportementale liés au maintien d'un comportement ancestral complexe et coûteux sous conditions de sélection relaxée sont aussi reportés dans la littérature (Foster 1999).

Les causes de maladaptations sont diverses : (i) le flux de gènes entre populations qui vont à l'encontre de la sélection naturelle, (ii) les processus stochastiques qui font que les individus d’une même population et d’une même ou de générations différentes expérimentent des conditions environnementales différentes (i.e. un sous-ensemble de l'environnement différent est accessible à chaque individu). La sélection est faible et sa direction change entre

générations. (iii) la différenciation de comportements entre populations de petite taille par fixation de gènes (dérive génétique) (iv) le maintien de comportements ancestraux devenus maladaptés suite à des changements environnementaux, des contraintes génétiques empêchant les nouveaux caractères d’apparaître.

3. La stratégie comportementale "optimale" convient-elle à la lutte

biologique ?

La stratégie comportementale qui permet aux parasitoïdes, agents de lutte biologique, de maximiser leur valeur sélective est-elle optimale dans un contexte de lutte biologique ? Quels sont les effets des stratégies comportementales sur la stabilité des systèmes et sur le taux de contrôle de l’hôte ? Si le comportement d’agrégation souvent adopté par les parasitoïdes, leurs réponses aux densités d’hôtes et de parasitoïdes, le comportement de superparasitisme et les mécanismes du déterminisme du sexe-ratio ont pu être modelés par la sélection naturelle, quels sont leurs impacts sur la stabilité du système et le niveau de contrôle du ravageur ? Les modèles théoriques montrent que la stabilité des systèmes parasitoïde-hôte et proie-prédateur est fortement influencée par son évolution génétique. Hochberg et Holt (1995) ont ainsi montré que l’augmentation de la résistance de l’hôte qu’elle soit le fait d’interactions physiologiques ou comportementales, peut réduire le niveau de contrôle mais aussi stabiliser un modèle initialement instable. Van Baalen & Sabelis (1993) ont considéré la coévolution du choix des placettes (i.e. agrégats de proies) dans les systèmes proie-prédateur et ont montré que les distributions écologiquement stables n’évoluaient génétiquement que dans certaines circonstances.

2.4.1. Le comportement d'agents de lutte biologique lors des évaluations

La mesure des traits comportementaux sous des conditions environnementales homogènes peut révéler l'existence d'écotypes environnementaux entre populations d’une même espèce. Cependant le comportement est très souvent défini comme un ensemble de réponses à des conditions environnementales non homogènes, une norme de réaction (Schlichting & Pigliucci 1995). L’étude de la plasticité comportementale (i.e. la comparaison de normes de réaction) permet une meilleure estimation de ce type de différences entre populations. L'étude du comportement en fonction de variations environnementales facilite l’interprétation d'un point de vue dynamique et évolutif. Par exemple, Carroll & Corneli (1999) ont montré chez l'espèce Jadera haematoloma (Herrich-Schaeffer) (Hemiptera :

adaptent leur comportement de surveillance des femelles accouplées en fonction du sexe-ratio de la population. Dans une autre population où le sexe-ratio est stable, les mâles ne répondent pas aux variations de sexe-ratio.

Les normes de réaction les plus étudiées lors des comparaisons de populations interspécifiques ou intraspécifique d'agents de lutte biologique sont les réponses aux variations de densité hôte et parasitoïde (e.g. Montserrat 2004, Matadha et al. 2005, Chen et al. 2006). Nous les détaillerons ci-après :

La réponse fonctionnelle

Le terme réponse fonctionnelle a été proposé par Solomon (1949) pour désigner la fonction décrivant la variation du nombre d'hôtes attaqués en fonction de leur densité. Les réponses fonctionnelles et leurs formes ont depuis été au centre des études de dynamique hôte-parasitoïde (et aussi proie-prédateur). La détermination des réponses fonctionnelles a été souvent utilisée pour prédire les effets potentiels des parasitoïdes sur leur population hôte (Oaten & Murdoch, 1975, Hassell 1978, Holmgren 1995). Les paramètres de la réponse fonctionnelle sont souvent utilisés pour la comparaison des agents de lutte biologique. Celui qui présente une meilleure capacité de recherche, sera considéré comme le meilleur candidat pour introduction.

L'interférence mutuelle

L'interférence mutuelle peut être définie comme la réduction de la capacité de recherche individuelle des parasitoïdes due à l'augmentation de leur densité (Hassell & Huffaker 1969; Hassell 1978, van Alphen & Vet 1986). Plusieurs types d'interférence mutuelle ont été mis en évidence, et classés en fonction du type d'interaction entre les individus : (i) L'interférence mutuelle directe est observée lorsqu'un parasitoïde réagit à la présence d'autres individus dans la même zone de recherche. Plusieurs modèles d'interférence mutuelle directe tiennent compte du temps perdu pour la recherche de l’hôte lors des rencontres entre parasitoïdes. (Beddington 1975, Holmgren 1995, Stillman et al. 1997). Quelques auteurs ont constaté que ces rencontres conduisent souvent au départ d'un ou de plusieurs individus de la zone de recherche (Waage 1979, Lawrence 1981, Field et al. 1998). L'interférence mutuelle directe comprend aussi les effets négatifs sur l’activité de recherche des femelles de la rencontre d’hôtes déjà parasités (Rogers & Hassell 1974, van Lenteren 1991) ou de la détection de traces chimique de marquage laissées par d'autres femelles les ayant précédées (Price 1970,

Bernstein & Driessen 1996). Le rôle de l'interférence mutuelle dans la stabilisation des interactions hôte parasitoïde est reconnu (Beddington 1975, Bernstein 2000). (ii) La Pseudo-interférence résulte de l’agrégation des parasitoïdes dans les placettes à haute densité d’hôtes, ce qui entraîne leur surexploitation et une baisse de la capacité parasitaire à haute densité du parasitoïde (Free et al. 1977, van Alphen & Jervis 1996). (iii) L'interférence mutuelle indirecte correspond à la diminution de la capacité de recherche qui résulte d’un temps plus court (ou d’un changement dans la distribution des temps de résidence) par placette lorsque la densité de parasitoïde augmente. Elle ne peut être détectée qu'à l'échelle de la population. Elle est indirecte car elle agit en fonction du temps nécessaire pour retrouver une placette (Visser & Driessen 1991, Visser et al. 1999).