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Stress cellulaire

IV.3 Les bactéries sont des micro-organismes pirates

Afin d’assurer leur survie, les bactéries ont appris à réguler les fonctions cellulaires eucaryotes. Ainsi, au travers de leurs toxines ou effecteurs, les bactéries modulent le cytosquelette, le trafic intracellulaire, les systèmes de dégradation et la mort cellulaire. Comme nous venons de le développer, le contrôle du cycle ainsi que de la mort cellulaire est crucial pour la physiologie d’un organisme. Les travaux pionniers réalisés dans notre équipe ont révélé qu’à l’instar des virus, de plus en plus d’effecteurs bactériens sont capables de contrôler la prolifération des cellules hôtes (Chaurushiya and Weitzman, 2009; Nougayrede et

al., 2005; Oswald et al., 2005). Le laboratoire a donc proposé le terme de « Cyclomoduline »

IV.3.1 Les Cyclomodulines

On distingue deux types de cyclomodulines, les activatrices et les inhibitrices (Nougayrede et al., 2005; Oswald et al., 2005). Les cyclomodulines activatrices stimulent la prolifération des cellules. A l’inverse, les cyclomodulines inhibitrices empêche toute progression du cycle cellulaire (figure 11).

Suivant leur mode d’action, les cyclomodulines peuvent être regroupées en deux classes : les génotoxines et les molécules qui détournent les signalisations cellulaires.

La toxine CDT (Cytolethal Distending Toxin) est la génotoxine la plus étudiée. Celle-ci fut la première toxine bactérienne identifiée capable de bloquer le cycle cellulaire à la transition G2/M (Peres et al., 1997). En effet, CDT possède un site actif de type « DNase-like » et

provoque des cassures double-brins de l’ADN eucaryote détectées par la phosphorylation de l’histone H2AX, marqueur spécifique et sensible de ce type de lésion (Li et al., 2002; Rogakou et al., 1998). La présence de dommages à l’ADN entraîne l’activation d’une voie de signalisation cellulaire qui se manifeste par l’auto-phosphorylation (activation) de la PI3 kinase ATM qui phosphoryle H2AX et active la Checkpoint kinase 2 (Chk2). Activée Chk2 phosphoryle les phosphatases Cdc25 qui sont ensuite séquestrées dans le cytoplasme par les protéines de la famille 14-3-3. Les Cdc25s ne peuvent plus déphosphoryler le complexe inducteur de mitose CDK1/Cycline B qui reste inactif. Cela se traduit par un arrêt du cycle cellulaire à la transition G2/M (figure 11) (Whitehouse et al., 1998; Comayras et al., 1997).

L’activation des points de contrôle permet aux cellules d’arrêter la progression du cycle cellulaire et de réparer les dommages ou les anomalies. Cependant, dans le cas de CDT, les dommages peuvent être irréparables et entraîner les cellules vers une mort par apoptose (Shenker et al., 2006; Bielaszewska et al., 2005; Ohara et al., 2004; Gelfanova et al., 1999). Après avoir travaillé sur CDT, l’équipe étudie une autre cyclomoduline produite par des E.

coli pathogènes extra-intestinales (ExPEC) appelée Colibactine. Cette dernière serait un

peptide-polykétide qui, comme CDT, arrête le cycle cellulaire à la transition G2/M en

provoquant des cassures double-brins de l’ADN (figure 11) (Nougayrede et al., 2006).

Le second mode d’action des cyclomodulines consiste non plus à activer une voie de signalisation (comme les génotoxines) mais plutôt à la pirater. Comme CDT, l’effecteur IpaB arrête le cycle cellulaire à la transition G2/M (figure 11). Toutefois, le mécanisme utilisé par les deux cyclomodulines est différent. En effet, la protéine IpaB interagit avec une protéine eucaryote, Mad2L2. Cette dernière inhibe l’activité ubiquitine ligase du complexe APCcdh1 (anaphase promoting complex). Le complexe APC est impliqué dans l’ubiquitinylation de

Figure 11: Les cyclomodulines (molécules en rose) et le cycle cellulaire. Les cyclomodulines inhibitrices bloquent la progression du cycle cellulaire en plusieurs phases. Cif (E. coli, B. pseudomallei, P. luminescens, P. asymbiotica, Y. pseudotuberculosis), IpaB (Shigella flexneri, dysentariae et sonnei), CopN (Chlamydia pneumoniae), les ERO (espèces réactives de l’oxygène) (Enterococcus faecalis), la Colibactine (E. coli,Citrobacter koseri,

Enterobacter aerogenes, Klebsiella pneumoniae) et CDT (produit par de nombreuses espèces

bactériennes dont E. coli, Shigella dysenteriae, Salmonella typhi, et Helicobacter hepaticus) arrêtent le cycle à la transition G2/M. D’autres cyclomodulines inhibitrices agissent en phase

G1. C’est le cas de VacA (Helicobacter pylori), FIP (Fusobacterium nucleatum) ainsi que la

Subtilase (E. coli) et la Mycolactone (Mycobacterium ulcerans). Les cyclomodulines activatrices (CagA (Helicobacter pylori), PMT (Pasteurella multocida), DNT (genre

Bordetella) et CNF (E. coli et Y. pseudotuberculosis)) favorisent la progression du cycle

cellulaire via l’entrée des cellules en phase S. Cette figure est inspirée de Nougayrede et al., 2005 et Oswald et al., 2005.

nombreux régulateurs du cycle cellulaire en mitose (Acquaviva and Pines, 2006). Ainsi, IpaB empêche l’inhibition du complexe APCCdh1 par Mad2L2 et donc diminue la demi-vie des substrats du complexe APCcdh1 tel que Plk1 et la cycline B1. La dégradation incontrôlée de ces substrats provoque l’arrêt du cycle cellulaire à la transition G2/M (Iwai et al., 2007). A l’instar de CDT et de IpaB, la protéine Cif arrête la progression du cycle cellulaire à la transition G2/M et peut donc être classée en tant que cyclomoduline inhibitrice (Marches et

al., 2003). Le premier article présenté dans la partie « Résultats », permet de distinguer lequel

des deux modes d’action décrits précédemment est utilisé par la cyclomoduline Cif.

IV.3.2 Les cyclomodulines forment une famille qui continue de s’agrandir

La figure 11 présente une liste non exhaustive des différentes cyclomodulines. En effet, de nombreuses molécules bactériennes peuvent être ajoutées à cette liste. C’est le cas de la toxine B de Clostridium difficile qui retarde la transition G2/M (Ando et al., 2007) ou de la

toxine epsilon de Clostridium perfringens qui provoque une accumulation des cellules en phase S (Borrmann et al., 2001). Le développement des tests d’interaction entre les bactéries et les cellules eucaryotes montre que de nombreuses bactéries sont capables de réguler le cycle cellulaire eucaryote au travers de molécules qui restent à déterminer. C’est, par exemple, le cas de Chlamydia trachomatis qui ralentit la prolifération cellulaire en réduisant le niveau de la protéine CDK1 et en clivant la cycline B1 (Balsara et al., 2006) ou de

Neisseria gonorrhoeae qui provoque un arrêt des cellules en phase G1 en diminuant le niveau

des Cyclines D1 et E (Jones et al., 2007).

IV.3.3 Rôle des cyclomodulines

L’existence de cyclomodulines chez de nombreuses entérobactéries pathogènes (mais aussi commensales) suggère qu’elles confèrent un avantage sélectif aux bactéries qui les produisent. Nous faisons l’hypothèse que cet avantage serait lié à la modulation de la prolifération des cellules immunitaires et/ou à la multiplication cellulaire des tissus comme l’épithélium intestinal, où la réponse proliférative est essentielle.

Dans un contexte d’anses ligaturées, l’effet cyclomoduline a été rapporté in vivo pour l’effecteur, IpaB de Shigella. L’épithélium intestinal est un tissu qui se renouvelle rapidement,

43 en moins de dix jours. Ce « turn-over » important est un moyen de défense qui permet à l’organisme de se débarrasser des pathogènes infectant ce tissu (Cliffe et al., 2005). Iwai et al. suggèrent que IpaB inhiberait la prolifération des cellules de l’épithélium intestinal pour éviter l’exfoliation des cellules infectées et donc prolonger la colonisation bactérienne (Iwai et

al., 2007). De même, la cyclomoduline CagA d’ Helicobacter pylori empêcherait le

renouvellement de l’épithélium gastrique via un effet anti-apoptotique. L’autre cyclomoduline dont l’effet a été étudié in vivo est CDT. La souche de Helicobacter hepaticus mutée pour la sous-unité active de CDT induit une inflammation moins importante du caecum et du colon comparé à la souche parentale (Shen et al., 2009; Young et al., 2004). CDT joue également un rôle dans la persistance de la bactérie dans l’organisme. De plus, CDT altère la réponse immunitaire des souris IL10-/- entraînant une inflammation du colon (Pratt et al., 2006). Lors d’infections chroniques, le rôle de CDT a été mis en évidence dans la colonisation bactérienne et dans l’inflammation de l’estomac, de l’intestin et du foie (Ge et al., 2008).

Il est incontestable que les futures études portant sur le rôle des cyclomodulines in vivo contribueront à comprendre les différentes stratégies bactériennes mises en place pour coloniser efficacement leur hôte.

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