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I. ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE

I.3. Les Bactéries Lactiques

I.3.3 Les bactéries lactiques et les métaux lourds

Deux notions doivent être précisées : la bioaccumulation et la biosorption. La bioaccumulation des polluants est l’absorption par les cellules vivantes tout au long de la chaîne trophique. Le polluant se transporte dans la cellule, s’accumule dans le milieu intracellulaire, traverse la paroi cellulaire et entre dans le cycle métabolique cellulaire (Malik, 2004). Au contraire, le biosorption est une absorption passive par des matériaux morts/inactifs Elle est indépendante du métabolisme cellulaire lié aux propriétés de la paroi des cellules.

Les méthodes généralement utilisables (précipitation, floculation, échange ionique et filtration de la membrane) pour éliminer les métaux lourds en faible concentration dans un milieu sont déclarées comme coûteuses et peu efficaces.

L’utilisation de la biomasse microbienne inactivée comme adsorbant (biosorption), a été suggérée comme alternative possible et économique pour l’élimination des métaux toxiques dans l’eau, Plusieurs travaux de recherches ont étudié la capacité de fixation des nombreux éléments (Al, Au, Cd, Co, Cr, Cu, Fe, Hg, Ni, Pb, Th, U, Zn) par différentes biomasses microbiennes comme les bactéries, les moisissures ou les algues (Volesky et Holan, 1995; Davis et al., 2003; Mehta and Gaur, 2005 ; Vijayaraghavan et Yeoung-Sang, 2008). Loutseti et al. en 2009 ont testé un biofiltre constitué d’un mélange de micro-algues et bactéries séchées pour l’élimination de cuivre et de cadmium contaminants en faible concentration dans des déchets de galvanoplastie.

L’utilisation de la biomasse bactérienne est rendue possible en raison des propriétés de surface de la paroi bactérienne. Les groupements fonctionnels présents dans le peptidoglycane, les acides teichoïque et teichuronique chez les bactéries positive et les phospholipides, les lipopolysaccharides chez les bactéries Gram-négatives sont responsables de leur caractère anionique qui permet la fixation par la paroi cellulaire des métaux lourds sous forme cationique (Halttunen, 2007). Plus précisément on peut citer comme bases potentielles de la biosorption, les groupements carboxyles (Golab et Breitenbach, 1995), aminés (Kang et al., 2007) et phosphorylés (Mishra et al., 2010). Les exopolysaccharides ont aussi la capacité de fixer les métaux (McLean et al., 1992). Le taux de biosorption ne dépend pas que de la nature du cation métallique à fixer les ions métalliques. Il dépend aussi de l’espèce bactérienne dont les propriétés peuvent varier en fonction de son état physiologique lui-même en relation avec les conditions de croissance.

Tunali et al. (2006) ont analysé l’interaction entre le Pb(II) et Cu(II) avec une souche de Bacillus sp. Ils ont pu mettre en évidence un mécanisme d'échange ionique au cours de la biosorption de ces ions métalliques.

La capacité de sorption des souches microbiennes dépendent aussi du mode de préparation des biosorbants. Des études ont montré que la modification chimique de la paroi des bactéries augmentait la capacité de sorption. Des modifications structurelles liées à des modifications génomiques des souches produisent le même effet. A composition chimique équivalente, une surface d’échange plus grande permet de fixer d’avantage de métaux (Vijayaraghavan et Yeoung-Sang, 2008).

Le rôle détoxifiant des bactéries lactiques a été l’objet de nombreux travaux.

Concernant des polluants chimiques, il a été montré que les bactéries lactiques avaient la capacité de diminuer le taux de mycotoxines (El-Nezami et al., 1998; Hassanane et al., 2007), de cyanotoxines (Meriluoto et al., 2005) ainsi que celui des amines hétérocycliques (Turbic et al., 2002). Concernant les métaux lourds, il faut citer les travaux d’Halttunen et al. (2007a) pour le cadmium et le plomb.

La cinétique de la sorption a été étudiée par de nombreux auteurs (Pardo et al., 2003; Chojnacka et al., 2005; Komy et al., 2006; Lu et al., 2006). Tous ont montré que c’était un processus rapide qui survient pendant les premières minutes de contact entre la solution de métal et la biomasse.

Concernant le rôle détoxifiant des bactéries lactiques dans les aliments fermentés, Dallak (2009) et Al Hashem (2009) ont mis en évidence le rôle protecteur du lait de chamelle contre les métaux lourds. Pour Konuspayeva et al. (2008c), la teneur en plomb du shubat tendrait à diminuer après la fermentation lactique du lait de chamelle.

Ibrahim et al. (2006) ont évalué l’interaction des bactéries probiotiques du lait de chamelle avec le cadmium et le plomb, tout d’abord in vitro, dans une étape initiale de criblage afin d’identifier les souches utiles pour la décontamination des métaux lourds dans les aliments et pour l’élaboration de modèles intestinaux. Ils ont caractérisé les isothermes de sorption du cadmium et du plomb chez Lactobacillus rhamnosus LC-705, Propionibacterium freudenreichii subsp shermanii JS et un mélange de bactéries lactiques utilisées dans l’industrie alimentaire. Les différences entre les souches et leurs combinaisons pour la capacité de fixation des métaux dans une gamme de concentration comprises entre 0,1 et 100 mg/l ont été évaluées à l’aide du modèle de biosorption de Langmuir. Les impacts du pH, du temps de contact et de la viabilité sur la capacité de fixation ont également été examinés. Toutes les souches et leurs combinaisons ont démontré une fixation efficace du cadmium et du plomb. La fixation des métaux semblait se produire instantanément et d’une manière dépendante du pH.

Halttunen et al. (2007), ont travaillé avec une souche de Lactobacillus casei DSM20011 native ou après modification chimique de sa surface (amination). Ils ont vu que l’As (V)

avait été éliminé d’une eau de consommation. L’élimination fut rapide, mais dépendante du pH et de la concentration en As (V). Le plus haut pourcentage d’élimination (38,1 ± 9,0%) a été observé à la plus basse concentration de l’As (V) (100 µl/l) à pH 7. Le maximum de capacité d’élimination de l’As (V), calculé, était de 312 ± 68 µg d’As (V)/g de biomasse sèche. Les interactions entre l’As (V) et la souche semblaient faibles car l’arsenic a été relargué ultérieurement. Il a été possible d’éliminer l’arsenic fixé par un lavage des bactéries avec de l’acide nitrique et de l’hydroxyde de sodium 1,5 mM, indiquant que la fixation de ces deux métaux se situait en surface des cellules microbiennes. La surface des bactéries lactiques est chargée négativement ce qui permettrait la capture des cations.

Arauz et al. (2008) ont étudié le rôle du sélénium contre la toxicité du cadmium dans les bactéries lactiques. La distribution de cadmium et du sélénium dans des différentes fractions de masse moléculaire a été obtenue par tamisage moléculaire. Les auteurs ont observé un effet antagoniste du sélénium qui diminue l’incorporation du cadmium au sein des bactéries dans les fractions de masse moléculaire supérieures à 600 kDa.

Les souches éliminatrices de métaux lourds de l’eau les plus efficaces sont Bifidobacterium longum 46, Lactobacillus fermentum ME3 et Bifidobacterium lactis Bd 12. Le maximum de capacité d’élimination du cadmium et du plomb est de 54,7 mg/g et 175,7 mg/g de biomasse sèche avec la souche Lb longum 46 (Halttunen, 2007). Les résultats de Halttunen et al. (2008), ont montré que la présence d’autres métaux cationiques et de bloquants des groupes carboxyle et phosphoryles réduisait l’élimination du Cd et Pb. Ces résultats suggèrent l’implication d’une interaction électrostatique dans l’élimination du Cd et du Pb. L’élimination à la fois du Cd et Pb est réversible, ce qui a été démontré par la récupération totale des métaux fixés sur les bactéries après un traitement de celles-ci avec des solutions diluées d'acide éthylène-diamine-tétra-acétique (EDTA) et d’acide nitrique (HNO3). La capacité de résorption des deux biomasses testées a été diminuée après régénération des cellules par une solution 10mM d’EDTA et 15mM d’acide nitrique. Une diminution de la fixation à la fois du Cd et du Pb a été observée lorsque des bactéries modifiées chimiquement étaient comparés aux bactéries natives. Cependant, la fixation du Cd par la souche de Lb.

fermentum ME3 a augmenté légèrement après méthylation des groupes carboxyles externes. En général, une fixation plus faible est observée après le traitement des groupes phosphoryles comparativement à la méthylation des groupes carbonyles. Les souches Lb. longum 46 et Lb. fermentum ME3 ont fixé 0,33 ±0,01 et 0,45 ± 0,01 mmol/g de Pb, respectivement. La fixation du Cadmium était plus faible, soit à 0,15 ± 0,01 mmol/g par Lb. longum 46, et 0,10 ± 0,02 mmol/g par Lb. fermentum ME3.

Au total, les résultats suggèrent l’implication de plusieurs mécanismes réversibles comme l’échange ionique et la précipitation du Cd et du Pb fixés par les bactéries lactiques. L’observation des surfaces bactériennes par microscopie électronique à balayage (Photo5) réalisée sur les souches Lb. longum 46 et Lb.

fermentum ME3 lyophilisées avant et après la fixation du Pb montre de larges dépôts de plomb visibles sur la surface de deux souches après fixation (B et D) tandis qu’il n’y a pas de Pb visible sur les micrographies de contrôle (A et C) indiquant que la fixation a lieu à la surface de la bactérie Cela signifie qu’il y a sans doute d’autres mécanismes que ceux de l’échange ionique, sans doute similaires au mécanisme en deux-étapes observé pour B. subtilis pour lequel la fixation commence par une réaction stœchiométrique entre les cations et les sites de fixation de surface, puis se termine par le dépôt du métal inorganique (Beveridge et Murray, 1980).

Photo 5. Image de microscopie électronique par transmission de Lb. longum 46 (A et B) et Lb. fermentum ME3 (C et D) lyophilisées avant et après la fixation du Pb (échelle

barre 200nm).

Selon, Halttunen (2007), le nombre de molécules absorbées ne dépassent pas le nombre de sites d’absorption. Tous les sites d'adsorption ont la même affinité pour les molécules adsorbées. Une molécule réagit à un seul site d’absorption et la fixation est un processus énergie-indépendant.

Il a été montré que la fixation dépendait de la souche bactérienne et du pH (max.

a pH 4-6) (Tunali et al., 2006; Deng et al., 2007; Senthilkumar et al., 2007). La fixation du cadmium et du plomb augmente à pH plus élevé. Ceci a été observé pour les bactéries comme Lactobacillus rhamnosus LC705 (Ibrahim et al., 2006), Lactobacillus plantarum, Micrococcus luteus (Seki et al., 2006), Bacillus subtilis (Fein et al., 1997), et Pseudomonas putida (Pardo et al., 2003), indiquant la présence d’un mécanisme d’échange ionique (Halttunen, 2007).

Ces données montrent que les métaux ont été fixés par des interactions électrostatiques avec les composants de la paroi cellulaire. Sur la paroi cellulaire de B.

subtilis certains métaux cationiques comme le cuivre préfèrent se fixer aux groupes aminés neutres. Mais certains comme le plomb, entrent dans des complexes chargés négativement dans l’eau comme Pb(OH)3 et Pb(OH)4 et peuvent réagir électrostatiquement avec les groupes aminés chargés positivement (Beveridge and Murray, 1980).

Dans plusieurs cas, les interactions se passent entre les métaux cationiques et les groupes anioniques de la surface cellulaire des microbes (Doyle et al., 1980).

Les résultats d’essais d'adsorption de métal indiquent que les deux types de sites carboxyles et phosphoryles contribuent à l'absorption des métaux. La stabilité des complexes métaux-surface est suffisamment élevée lors des interactions métal - bactérie pour affecter les mobilités de métal dans de nombreux systèmes aqueux, et cette approche permet de faire une évaluation quantitative des effets des bactéries sur les mobilités des métaux (Fein et al., 1997).

Daughney et al. (1998) ont montré qu’il y avait des différences entre B.

licheniformis et Bacillus subtilis dans les propriétés de surface cellulaire (concentration de sites de surface) et les métallo-affinités (les constantes de stabilité en absorption d’un métal).

La fixation du Cd et Pb s’accroît avec l’augmentation de la concentration de la biomasse (Esposito et al., 2002; Ngwenya et al., 2003). Mais certaines études montrent au contraire, une diminution de la fixation avec l’augmentation de la concentration de biomasse. Ces résultats contradictoires peuvent provenir de sorption de métaux par des acides organiques dissous qui interfèrent avec la sorption des structures de surface bactérienne (Puranik et Paknikar, 1999) ou à la formation d’ agrégats cellulaires qui réduisent la surface disponible pour la fixation.

Halttunen et al. (2007a) ont rapporté que toutes les bactéries fixent plus le Pb que le Cd. La même préférence a été observée chez d’autres microbes comme

Saccharomyces cerevisiae (Göksungur et al., 2005), Pseudomonas aeruginosa (Chang et al., 1997), Pseudomonas putida (Pardo et al., 2003) et Citrobacter (Puranik and Paknikar, 1999).

Topcu et Bulat (2010) ont montré que des souches d’Enterococcus faecium (E.

faecium EF031 et E. faecium M74) fixaient le Cd et le Pb. La souche EF031 a absorbé de 77,3% à 98,1% de la totalité du Cd et 66,9% à 98,9% de celle du Pb. La souche M74 a absorbé de 53,5% jusqu’à 91% de la totalité du Cd et 42,9% à 93,1% de celle du Pb pendant 48 h d’incubation à pH 5. Au cours de la première heure, les deux souches ont fixé plus de 60% de la totalité du Cd et du Pb absorbés pendant 48 h. Ce qui prouve que l’absorption est un processus rapide. De plus, les complexes formés entre les métaux lourds et les cellules bactériennes s’avèrent stables.

Gerbino et al. (2012) ont rapporté que Lactobacillus kefiri CIDCA 8348 et JCM 5818 fixaient efficacement le Pb++, le Cd++ et le Ni++.