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II. Les ciliopathies

II.2. Les atteintes des cils primaires

Le lien entre le cil primaire et les maladies génétiques a été établi par les travaux fondateurs de G. J. Pazour et al. (2000). Ils ont montré que le gène Tg737, muté dans un modèle de polykystose rénale chez la souris, était l’orthologue du gène IFT88, cloné chez Chlamydomonas, et qu’il jouait un rôle essentiel dans la biogénèse des cils primaires dans les

cellules tubulaires rénales. Ces travaux ont été déterminants car ils ont permis de découvrir

le rôle essentiel du cil dans le développement des vertébrés et son implication dans des maladies humaines. Toutefois, Barr et Sternberg (1999) avaient déjà montré que les produits des gènes PKD1 et PKD2, mutés dans la polykystose rénale autosomique dominante (ADPKD)

(Torres 1998), sont localisés au niveau des cils des neurones sensoriels de Caenorhabditis

elegans. Les gènes PKD1 et PKD2 codent les polycystines PC1 et PC2, respectivement. Elles s’associent au niveau du cil primaire en réponse au flux d’urine pour former un complexe récepteur/canal ionique qui induit la signalisation calcique. Le domaine extracellulaire de PC1 reçoit les signaux mécaniques et active le canal calcique, PC2 (Hanaoka K, Qian F, 2000). Par la suite, la coopération de PC1 et PC2 a été reconnue comme essentielle à la fonction ciliaire (Yoder, Hou, et Guay-Woodford 2002; Gregory J. Pazour et al. 2002) associant ainsi le cil primaire à la formation du rein lors du développement embryonnaire. Il a ensuite été montré que la fibrocystine, codée par PKDH1, muté dans la polykystose autosomique récessive (ARPKD) (Park et al. 1999), est également associée au cil (Yoder, Hou, et Guay- Woodford 2002) et interagit avec PC1 et PC2 pour moduler l'activité du canal calcique (Wu

et al. 2006). L’ensemble de ces données a démontré le rôle prépondérant du cil dans les

maladies rénales kystiques chez l’Homme.

Les kystes dans les maladies rénales

La polykystose rénale (PKD) se caractérise par l’élargissement progressif et très important des reins à cause du le développement de nombreux kystes au niveau du cortex et de la médulla rénale qui peuvent atteindre plusieurs centimètres de diamètre (Figure 21A, B). Il a été montré que le développement des kystes était causé par le dysfonctionnement des polycystines dans l’ADPKD ou de la fibrocystine dans l’ARPKD.

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Les défauts ciliaires ont été associés à d’autres maladies rénales comme la néphronophtise (voir Chapitre II.2.a) ou le syndrome de Bardet-Biedl (BBS ; voir plus loin) qui entrainent des reins beaucoup moins volumineux (Figure 21C, D), voire de petite taille, et une fibrose interstitielle importante (Figure 21D) contrairement à la PKD. Ces maladies rénales sont également caractérisées par des kystes à des stades tardifs qui sont plus petits que dans la PKD et ont une distribution différente. L’ensemble des gènes mutés dans ces pathologies codent des protéines associées au cil primaire.

Figure 21 : Les reins d’individus atteints de maladies kystiques rénales

A-B) Les reins de patients atteints de polykystose rénale sont très volumineux (A) par rapport aux reins normaux à cause de la formation de nombreux kystes de plusieurs centimètres de diamètre dans tout le parenchyme rénal, indiqués par une étoiles sur l’image d’histologie (B). C) Les reins de patients de NPH sont de taille normale. D) Ils sont caractérisés par une fibrose interstitielle importante (flèche) et de petits kystes à la transition cortico-medullaire (étoile).

Le mécanisme expliquant comment des défauts ciliaires entrainent la formation de kystes n’est toutefois pas encore très clair. Une étude a même montré que des défauts de l'IFT chez des souris adultes n'entrainait pas la formation de kystes dans les reins malgré la perte de cils (Patel et al. 2008). Il est donc vraisemblable que la formation des kystes soit liée à la combinaison de plusieurs événements au cours du développement tels que la prolifération

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cellulaire, la perte de la polarité cellulaire et de la différentiation épithéliale. Les différents gènes associés aux ciliopathies rénales pourraient être d’avantage impliqués dans l’un ou l’autre de ces processus, ce qui expliquerait les différences de phénotypes entre les maladies.

Il a été suggéré que des défauts de polarité planaire et une mauvaise orientation du fuseau mitotique lors de l’élongation des tubules au cours de la formation des néphrons seraient à l’origine des kystes dans les reins (Fischer et al. 2006). En effet, en l’absence de cil ou en cas de dysfonctionnement ciliaire, la voie de la PCP est inhibée (voir Chapitre I.5) et ne contrôle plus l’axe de division des cellules par rapport à l'axe longitudinal des tubes rénaux ce qui entrainerait la dilatation des tubes (revu dans Fischer et Pontoglio 2009). Par ailleurs, on observe des défauts d'organisation de la lame basale et des jonctions serrées dans les reins des patients qui pourraient être causés par des anomalies de polarisation apico-basale des cellules épithéliales de rein (Delous et al. 2009).

L'allongement des tubules lors de leur morphogénèse est aussi contrôlé par le phénomène de convergence-extension. Il s'agit du mouvement des cellules qui s'intercalent entre elles pour diminuer le diamètre du tube et l'allonger (Lienkamp et al. 2012; Castelli et al. 2013). Les défauts de convergence-extension entraineraient l'augmentation de la pression hydrostatique dans les tubes ce qui participerait aussi à l’augmentation de leur diamètre et à la formation des kystes (Karner et al. 2009).

La formation de kystes est également corrélée à l’augmentation de la prolifération (Patel et al. 2008) qui explique les reins très volumineux des patients atteints d'ADPKD (Figure 21A ; Ong et Harris 2005). La suractivation des voies impliquées dans la prolifération des cellules épithéliales comme la voie Shh, par exemple, pourrait être à l'origine de la formation de kystes dans le rein (voir Chapitre I.5 ; Tran et al. 2014). La suractivation de la voie Wnt-β- caténine dans les reins entrainerait aussi une surprolifération (voir Chapitre I .5) et la formation de kystes (Saadi-Kheddouci et al. 2001). D'ailleurs, des niveaux élevés de β- caténine dans le cytoplasme et le noyau de cellules épithéliales rénales ont été rapportés dans les reins polykystiques de souris invalidées de manière conditionnelle pour le gène

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taille normale voire réduite (Figure 21C), ce qui suggère que le processus de prolifération n'est pas toujours en cause.

Au cours du développement rénal, il a aussi été montré que la voie Sonic-Hedgehog était active lors de la transition mésenchyme-épithélium de la tubulogenèse (J. Yu, Carroll, et McMahon 2002). On peut alors supposer que la perte de fonction des effecteurs ciliaires de la voie Shh, due à un défaut des cils, pourrait entraîner le processus de dédifférenciation épithéliale et aboutir à une fibrose rénale massive chez les patients NPH (Attanasio et al. 2007).

L’ensemble de ces données montrent que, bien que toutes les deux associées à des défauts du cil primaire, la PKD et la NPH sont vraisemblablement liées à des fonctions et des voies de signalisation différentes.

Autres organes touchés par des défauts des cils primaires

Les ciliopathies peuvent aussi toucher d’autres organes que les reins tels que le foie dans le syndrome de Caroli (dilatations des canaux biliaires et fibrose hépatique congénitale), l’œil dans l’amaurose congénitale de Leber (LCA ; dystrophie et/ou une dysplasie rétinienne congénitale) ou l’apraxie oculomotrice congénitale de type Cogan (AOMC ; anomalie de l'initiation des saccades volontaires horizontales des yeux), le système nerveux central dans la maladie de Joubert ou le squelette dans les syndromes polydactylie – côtes courtes (voir Chapitre II.2.b). A cause de l’ubiquité des cils primaires dans l’organisme, plusieurs organes peuvent être touchés chez un même patient et la combinaison des signes cliniques forme des syndromes.

Le syndrome de Bardet-Biedl

Le syndrome de Bardet-Biedl est un exemple typique de la grande variabilité phénotypique des ciliopathies. C’est une ciliopathie autosomale récessive aux manifestations pléiotropiques, dont la prévalence est d’environ 1/160 000 en Europe (Forsythe et Beales 2013). Les anomalies du rein et de la rétine sont retrouvées le plus souvent mais peuvent aussi être associées à des troubles cognitifs et endocriniens et d'anomalies du squelette. Ainsi, six signes cliniques sont considérés comme caractéristiques du BBS : la

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dégénérescence rétinienne, l’obésité, l’hypogonadisme, la polydactylie, le dysfonctionnement rénal (dysplasie rénale et kystes tubulaires) et un retard mental. À ce jour, le BBS est l’une des ciliopathies les plus étudiées avec une vingtaine de gènes identifiés (BBS1-12, MKS1, NPHP6/CEP290, IFT27). Les protéines BBS sont essentiellement localisées au corps basal et au cil ; plusieurs d’entre elles appartiennent au BBSome (Chapitre I.4.b ; revu dans Zaghloul et Katsanis 2009).

Les ciliopathies létales

Les formes de ciliopathies les plus sévères regroupent le syndrome de Meckel, l’hydrolethalus et les chondrodysplasies létales. Il s’agit de maladies létales in utero ou peu après la naissance.

Le syndrome de Meckel se caractérise par une polykystose rénale, une polydactylie et des anomalies graves de développement du système nerveux central, souvent causées par un défaut de fermeture du tube neural, provoquant une encéphalocèle occipitale. Une dysplasie des voies biliaires et des kystes hépatiques et pancréatiques peuvent aussi caractériser ce syndrome (Johnson, Gissen, et Sergi 2003; Barker, Thomas, et Dawe 2014). La fréquence de cette maladie autosomale récessive varie entre 1/135 000 en Allemagne à 1/9000 en Finlande où ce syndrome est particulièrement fréquent en raison d’un effet fondateur. A ce jour, 12 gènes ont été identifiés en association avec le syndrome de Meckel et codent des protéines ciliaires ou centrosomales (MKS, Szymanska, Hartill, et Johnson 2014).

L’hydrolethalus est caractérisé par une dysmorphie cranio-faciale et des malformations du système nerveux central dues une hydrocéphalie et une agénésie des structures médianes (corps calleux, vermis cérébelleux ou le septum pellucidum). Ces symptômes sont associés à une polydactylie post-axiale des mains et pré-axiale des pieds, des problèmes pulmonaires et cardiaques dans la moitié des cas. Le syndrome est présent surtout dans des familles originaires de Finlande, où l'incidence à été estimée à 1/20.000. Des mutations dans 3 gènes ont été rapportées : HYLS1, KIF7 et Talpid3 (Mee et al. 2005; Putoux et al. 2011; Alby et al. 2015, annexe 2).

Les chondrodysplasies létales sont les formes les plus sévères des syndromes polydactylie – côtes courtes car la polydactylie et le raccourcissement des os longs s’associent à des

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anomalies cérébrales comme l’agénésie cérébelleuse ou une hydrocéphalie. De plus, des anomalies viscérales comme une sténose digestive, une hypoplasie et/ou une polykystose rénale ou des problèmes cardiaques peuvent également être associées.