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1.2 Diversité phylogénétique et fonctionnelle

1.2.2 Les Archées

Nous l’avons vu, les archées ont été identifiées en tant que telles il y a seulement une

quarantaine d’années (voir section 1.1.4) et diffèrent des bactéries en de nombreux aspects

(e.g. composition des membranes, machinerie informationnelle, métabolismes énergétiques ;

voir section1.2.1). Bien que souvent considérées comme étant des organismes extrêmophiles,

elles sont en réalité adaptées à un large spectre de conditions environnementales. Les relations

phylogénétiques entre les grands groupes d’archées font, elles, toujours l’objet d’un vif débat

(Brochier-Armanetet al.2011,Yutinet al.2012,Petitjeanet al.2014,Raymannet al.2015), et

ce malgré la considérable augmentation des données génomiques à notre disposition au cours

des dernières années.

Les Euryarchaeota

Les Euryarchaeota regroupent des organismes aux caractéristiques génomiques,

méta-boliques et physiologiques variées. Les Halobacteria et les Nanohaloarchaea sont des

hété-rotrophes halophiles facilement reconnaissables du fait qu’ils contiennent des pigments de

caroténoïdes leur conférant une couleur rouge (Maet al.2010). Certaines sont, commme

Halo-quadratum walsbyi, aussi capables de photohétérotrophie (Sharmaet al.2007). La production

de méthane (méthanogenèse) est un métabolisme énergétique propre à ce domaine. A ce jour,

les méthanogènes connus sont distribués dans différentes lignées d’Euryarchaeota, comprenant

les Methanobacteria (Methanobacteriales), les Methanococci (Methanococcales) les

Metha-nomicrobia (Methanocellales, MethaMetha-nomicrobiales et Methanosarcinales), les Methanopyri

(Methanopyrales) et les Thermoplasmata (Methanomassiliicoccales) (Borrel et al. 2013, Iino

et al.2013). Au sein de ces dernières on retrouve également des micro-organismes adaptés à des

conditions extrêmes d’acidité (jusqu’à des valeurs de pH négatives ;Ciaramellaet al.2005) ou

impliqués dans la dégradation de protéines détritiques dans les fonds marins (Lloydet al.2013).

Les membres des groupes Thermoccoci et Archaeoglobi sont, eux, thermophiles (température

optimale de croissance comprise entre 45 et 80˚C) ou hyperthermophiles (température

opti-male de croissance> 80˚C) et ceux du genre Archaeoglobusfont partie des quelques archées

capables de sulfato-réduction (Beederet al.1994). Le séquençage récent de plusieurs génomes

à partir d’échantillons environnementaux a permis d’en apprendre plus sur un super-groupe

d’archées non cultivées, informellement nommé DPANN et dont les membres présentent un

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2015). La monophilie de ce groupe est cependant incertaine, du fait que les lignées qui le

composent pourraient être sujettes au phénomène d’attraction de longues branches, comme

évoqué plus haut dans le cas des CPR. Ce groupe correspondait initialement aux

Diaphero-trites, Parvarchaeota (anciennement Archaeal Richmond Mine Acidophilic Nanoorganisms,

ou ARMAN), Aenigmarchaeota, Nanoarchaeota et Nanohaloarchaeota. D’autres taxons ont

ensuite été ajoutés, dont notamment les Woese- et les Pace-archaeota (tous deux anciennement

DHVEG-6). Bien que la caractérisation de leur métabolisme reste incomplète, il semblerait

que de nombreuses DPANN soient impliquées dans la partie anaérobie du cycle du carbone.

La petite taille de leur génome (<1 Mb) indique de plus que les DPANN ont certainement des

relations d’interdépendance avec d’autres organismes (Castelleet al.2015). C’est par exemple

le cas de la célèbre NanoarchaeotaNanoarchaeum equitansqui vit en symbiose avecIgnicoccus

hospitalis, une Crenarchaeota hyperthermophile (Huberet al.2002).

Le superphylum TACK

Au départ composé de quatre phylums (Thaumarchaeota, Aigarchaeota, Crenarchaeota et

Korarchaeota), le superphylum TACK s’est dernièrement vu adjoindre les Bathyarchaeota puis,

encore plus récemment, les Lokiarchaeota (dont nous discuterons dans le paragraphe suivant).

Découvertes dans l’océan (DeLong 1992, Fuhrman et al. 1992), les Thaumarchaeota ont

en-suite été détectées dans un grand nombre d’environnements dont le sol (Otonet al.2016), des

aquifères (Ragon et al. 2014) et certains tapis microbiens thermophiles (Hatzenpichler et al.

2008). D’abord classées en tant que Crenarchaeota mésophiles, elles n’ont acquis leur statut

de phylum (et leur nom de Thaumarchaeota) qu’à la fin des années 2000 (Brochier-Armanet

et al.2008). Elles sont particulièrement abondantes dans de nombreux environnements, où elles

jouent un rôle essentiel dans la nitrification, une étape majeure dans le cycle de l’azote (Pester

et al.2011). Les Aigarchaeota (Hedlundet al.2015,Beamet al.2016), les Crenarchaeota (

Ma-diganet al.2014) et les Korarchaeota (Elkinset al.2008) sont trois phylums dont les membres,

thermophiles ou hyperthermophiles, sont peu divers métaboliquement et présents dans des

environnements aussi bien terrestres qu’aquatiques. Des organismes sulfato-réducteurs ont été

détectés chez les Crenarchaeota (genresCaldivirga,Thermocladium;Offreet al.2013) et chez

un groupe identifié récemment, les Thorarchaeota (Seitzet al.2016). Enfin, les Bathyarchaeota

correspondent à un groupe d’organismes abondant dans les sédiments (Kubo et al. 2012).

De récentes études génomiques ont par ailleurs indiqué que ces archées avaient des capacités

métaboliques variées (Meng et al.2014, Fillolet al.2016) et que certaines étaient sans doute

capables de méthanogenèse (Evanset al.2015,Lever 2016).

Les Lokiarchaeota

L’étude menée par Anja Spang et collaborateurs (Université d’Uppsala, Suède) et publiée

dans la revue Nature du 14 mai 2015 représente une contribution substantielle à notre

com-préhension du monde vivant. Dans cette étude, les auteurs décrivent l’existence d’un phylum

d’archées (nommé « Lokiarchaeota » en référence au dieu nordique Loki, capable de

métamor-phose et décrit comme complexe et déroutant) formant un groupe monophylétique avec les

eu-caryotes. Ils montrent aussi que ces Lokiarchaeota partagent plus de gènes avec les eucaryotes

que n’importe quel autre phylum archéen, ces gènes étant par ailleurs très similaires à ceux

pré-sents chez les eucaryotes. Les ressemblances les plus notables concernent des protéines de la

machinerie de remodelage membranaire ainsi que du ribosome (Spanget al.2015). Ces

résul-tats sont particulièrement intéressants car ils apportent toute une série d’éléments au débat sur

l’origine des eucaryotes. En effet, s’il est généralement admis que les procaryotes ont pré-daté

les eucaryotes et qu’ils ont joué un rôle central dans l’émergence de ces derniers (López-García

et Moreira 2015), il manquait des données tangibles à confronter aux nombreuses hypothèses

formulées ces dernières décennies (López-García et Moreira 1999, McInerney et al.2014). Si

l’origine archéenne et bactérienne des eucaryotes semble désormais établie, certains problèmes

critiques portant par exemple sur les mécanismes d’acquisition du noyau ainsi que des

mem-branes de type bactérien chez les eucaryotes ne sont eux pas encore résolus (López-García et

Moreira 2015). La publication de ces travaux a en tout cas eu pour effet de dynamiser fortement

le domaine (e.g.Koonin 2015,Nasiret al.2015,Williams et Embley 2015,Sousaet al.2016) et

d’ouvrir des perspectives fascinantes pour notre compréhension de l’émergence des eucaryotes.

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