• Aucun résultat trouvé

Les études de stratification : les sous-types d’ADK

CHAPITRE 2 : BASES MOLECULAIRES DE LA CARCINOGENESE PANCREATIQUE

A. Génomique descriptive et fonctionnelle de l’adénocarcinome pancréatique

1. Les grandes études génomiques

1.2. Les études de stratification : les sous-types d’ADK

La première étude de stratification des ADK est réalisée en 2011 par Collisson et collaborateurs (Collisson et al. 2011). Cette analyse transcriptomique est basée sur un profil d’expression de 62 gènes, et réalisée à partir de 27 résections tumorales, 19 lignées humaines et 15 lignées murines. Trois sous-types sont ainsi définis : classique (gènes d’adhésion et épithéliaux), exocrine-like (gènes d’enzymes digestives) et quasi-mésenchymateux (gènes mésenchymateux). Au-delà de leur identité moléculaire, qui semble prédire d’une sensibilité variable aux traitements, ces sous-types sont corrélés à des survies différentes. Ainsi les tumeurs classiques sont associées au meilleur pronostic alors que les tumeurs exocrine-like et quasi-mésenchymateuses présentent des survies considérablement réduites. Ces travaux démontrent par ailleurs que les sous-types sont retrouvés au sein des lignées murines utilisées, validant ainsi l’utilisation des modèles murins dans la recherche de traitements adaptés.

La création en 2008 de l’International Cancer Genome Consortium (ICGC) amorce la caractérisation génomique d’une cohorte prospective de plus de 25000 tumeurs, tout cancer confondu. Sous son égide, le projet « Pancreatic Cancer ICGC » revendique une cohorte prospective de plus de 1000 tumeurs, et publie régulièrement une mise à jour du génome de l’ADK, incrémentée de nouveaux échantillons.

En 2012, le consortium publie le séquençage d’une cohorte de 99 ADK et identifie de nouvelles mutations dans des voies telles que la modification de la chromatine, la réparation de l’ADN et le guidage axonal (Biankin et al. 2012). En dehors des mutations de KRAS, p53,

p16INK4A et SMAD4, présentes dans plus de 50% des cas, les autres mutations s’avèrent

39 celles-ci. La comparaison de ces données à deux cribles indépendants in vivo et in vitro révèle que ces mutations ont une réelle implication dans la carcinogenèse pancréatique (voir plus bas les cribles génétiques chez la souris).

Une nouvelle analyse publiée en 2015 propose une classification des tumeurs en 4 sous-types basée sur le niveau de réarrangement chromosomique (Waddell et al. 2015)(figure

9). Les auteurs identifient dans le sous-type « instable » une prédominance des mutations de

gènes impliqués dans la réparation de l’ADN, notamment BRCA1, BRCA2 et PALB2. Grâce à une étude clinique prospective en parallèle, les auteurs parviennent à évaluer la réponse de 8 patients aux dérivés de platine, en fonction du sous-type de leur tumeur. Parmi les 5 patients affiliés à la catégorie « instable », 4 ont présenté une bonne réponse, dont un patient qualifié de « répondeur exceptionnel », avec une survie supérieure à 20 mois après rechute. Ces résultats encourageants sont par ailleurs confirmés par les traitements sur xénogreffes dérivées de patients (PDX).

Figure 9 : Classification des ADK d’après Waddell et al.

Histogramme représentant le nombre et le type de réarrangements structuraux dans chacun des 100 ADK séquencés. Les tumeurs stables (20%) présentent moins de 50 réarrangements et une aneuploïdie récurrente, suggérant un défaut de cycle cellulaire/mitose. Le sous-type localement réarrangé (30%) peut être divisé en 2 groupes. Environ un tiers des tumeurs présente des régions d’amplifications d’oncogènes connus (KRAS, MET, ERBB2). Les deux tiers restants comportent des réarrangements complexes tels que les cassures-fusions ou les chromothripsis. Le sous-type disséminé (36%) inclut des tumeurs présentant moins de 200 réarrangements modérés. Les tumeurs du sous-type instable (14%) présentent un grand nombre de réarrangements (de 200 à 558), suggérant un défaut dans le maintien de l’intégrité de l’ADN et une sensibilité accrue aux dérivés de platine. Adapté de Waddell et al. 2015.

40 Un inconvénient majeur du séquençage à partir de tissus est la proportion de matrice mélangée au tissu tumoral de nature épithéliale. Ce stroma abondant est d’ailleurs une caractéristique de l’ADK, puisqu’il représente 70% de la masse tumorale. Cette faible cellularité représente ainsi un facteur d’exclusion considérable dans l’étude de Biankin et collaborateurs, où 43 patients sont exclus de l’analyse. La nature infiltrante de l’ADK signifie par ailleurs que le tissu tumoral inclut du pancréas sain et fonctionnel.

Les travaux de Moffitt et collaborateurs publiés en 2015 établissent pour la première fois une classification moléculaire tenant compte de la composante stromale de l’ADK (Moffitt et al. 2015). L’utilisation de la NMF (non-negative matrix factorization), une approche mathématique de séparation des sources, permet de distinguer les origines tissulaires des gènes, à partir de données de séquençage ou de puces d’expression, opérant une véritable « microdissection virtuelle ». Cet algorithme incluant une base de données issue de tissus sains permet de les exclure des analyses, et offre une caractérisation fidèle du tissu tumoral et stromal. En analysant ainsi « virtuellement » les profils d’expression de la tumeur et du stroma, les auteurs parviennent à définir 4 sous-types : tumeur classique, tumeur « basal- like », stroma normal, et stroma activé. Sur une cohorte de 108 patients, la signature moléculaire du stroma s’avère être déterminante dans le pronostic, avec une meilleure survie globale pour les stromas « normaux ». Il est à noter que le sous-type décrit auparavant comme « exocrine-like » par Colisson et collaborateurs est vraisemblablement exclu du fait de la soustraction des gènes de pancréas différencié par la NMF. Ce léger biais laisse supposer que la tumeur n’exprime aucun ARNm présent dans le tissu sain et différencié. Si cet aspect de l’analyse est discutable, cette dernière n’en reste pas moins informative sur les mécanismes moléculaires responsables de l’hétérogénéité tumorale. Cette dichotomie dans la stratification du stroma, au-delà de son impact sur la thérapie personnalisée, pourrait par ailleurs expliquer le rôle discuté de cette composante dans la progression tumorale.

L’analyse publiée en 2016 par l’ICGC pose de nouvelles bases dans la stratification des ADK, puisque cette nouvelle étude inclut le séquençage de 456 tumeurs, et propose 4 sous-types basés sur les réseaux transcriptionnels activés : squameux, progéniteur pancréatique, immunogène et ADEX (différenciation aberrante exocrine-endocrine) (Bailey et al. 2016). La carte des voies moléculaires altérées établie par Jones et collaborateurs est alors modifiée puisque 10 voies apparaissent fréquemment affectées (figure 10A). Au-delà de ces altérations globales, les auteurs parviennent à discriminer les 4 classes sur la base de 10 processus biologiques (figure 10B). En plus de leur similitude génétique, les tumeurs au sein

41 d’un même sous-type présentent une récurrence de formes histologiques particulières, comme la présence régulière de carcinomes adénosquameux dans le groupe squameux. Ce dernier sous-type est par ailleurs associé à la plus mauvaise survie, avec une mise en cause des mutations de p53 et TAp63, démontrée dans les modèles murins conditionnels.

Figure 10 : Voies moléculaires altérées et classification des sous-types d’ADK d’après Bailey et al. A) Représentation graphique des gènes et voies moléculaires altérés dans l’ADK (n=456). B) Heatmap des

programmes génétiques (PG) définissant la classification en sous-types. Les points noirs marquent les programmes génétiques définissant la signature moléculaire de chaque sous-type. Adapté de Bailey et al. 2016.

42 Si cette classification englobe celles réalisées auparavant (Collisson et al. 2011; Moffitt et al. 2015), le nombre considérable d’échantillons de cette étude (n=456) affine le profil génétique des groupes décrits et permet de mettre en évidence un nouveau sous-type, immunogène. Les essais émergents d’immunothérapie basés sur l’utilisation de cellules CAR- T pourraient grandement bénéficier de ce type de stratification, selon les auteurs.

L’une des premières caractérisations moléculaires de tumeurs fut la description de deux sous-types de lymphomes B diffus à grandes cellules par Alizadeh et collaborateurs, dont la différence majeure mise en évidence fut le niveau de différenciation des cellules (Alizadeh et al. 2000). Par la suite, cette approche de stratification génétique s’est étendue à d’autres cancers et a permis l’amélioration de leur prise en charge, comme l’exemple du trastuzumab pour le traitement des tumeurs mammaires surexprimant le récepteur HER2 (Slamon et al. 2001).

La première stratification de tumeurs pancréatiques incluant un nombre significatif de patients est à attribuer aux travaux de Collisson et collaborateurs, 11 années après l’exemple des lymphomes non-Hodgkiniens. L’apport de ces données est considérable puisque la récente classification établie par l’ICGC à partir de 456 tumeurs englobe celle de Collisson, soulignant la pertinence de l’approche technique (figure 11). Si le biais soulevé par Moffitt et collaborateurs a permis de mettre en lumière la part déterminante du stroma dans la survie, le rôle de ce dernier demeure toujours sujet à controverse. Pour preuve, le sous-type immunogène décrit par Bailey et collaborateurs n’est corrélé ni à une forme normale ni activée du stroma (figure 11).

Il est très surprenant que les études de stratification moléculaire pour l’ADK soient si récentes, au vu de leur apport indéniable en cancérologie. Le concept selon lequel une telle caractérisation permettrait d’orienter le traitement de l’ADK s’est vu récemment confirmé par les travaux de Waddell et collaborateurs sur un échantillon restreint de patients, mais aux résultats prometteurs. La nouvelle classification établie par l’ICGC servira très certainement de base pour les futurs essais thérapeutiques dans l’ADK, qu’ils soient basés sur l’utilisation de chimiothérapies ou de molécules de thérapie ciblée.

43

Figure 11 : Les différentes classifications des ADK

Comparaison graphique de 4 grandes études de stratification des ADK. Les classifications établies par Collisson et Bailey sont proches d’un point de vue stratégique et se recoupent en partie, bien que la puissance de la cohorte de l’étude de Bailey permette de faire émerger le sous-type immunogène du groupe classique de Collisson. Parmi les 2 classes tumorales définies par Moffitt, seule la classe basale semble superposer avec le type quasi- mésenchymateux ou squameux de Collisson et Bailey, respectivement. Les classes stromales ne semblent pas coïncider avec les autres classifications, démontrant une nouvelle fois le rôle complexe du microenvironnement. La stratification de Waddell ne tient compte que des réarrangements chromosomiques et détermine notamment la sensibilité aux dérivés de platine. Adapté de Bailey et al. 2016.

Documents relatifs