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Les cribles génétiques chez la souris ou approches « forward »

CHAPITRE 2 : BASES MOLECULAIRES DE LA CARCINOGENESE PANCREATIQUE

A. Génomique descriptive et fonctionnelle de l’adénocarcinome pancréatique

2. Les cribles génétiques chez la souris ou approches « forward »

Comme évoqué plus tôt, les études génomiques portant sur l’ADK et plus généralement sur les cancers, révèlent que les mutations les plus fréquemment retrouvées ne concernent qu’une minorité de gènes. Ces mutations « drivers » sont peu nombreuses et persistent vraisemblablement grâce à leur rôle clé dans la carcinogenèse. La majorité des mutations présentent une faible prévalence et sont qualifiées de « passengers ». Elles s’accumulent au cours de la pathogenèse et leur impact, bien qu’inconnu, peut sembler négligeable. Leur importance pourrait cependant être masquée par l’hétérogénéité caractéristique des cancers, plus encore par celle de l’ADK. Si les études génomiques

44 permettent de recenser ces mutations, la génomique comparative permet d’étudier leur occurrence chez la souris et leur véritable conséquence sur la progression tumorale.

La mutagenèse insertionnelle utilisée en génétique « forward » a permis de mettre en évidence de nombreuses voies moléculaires et de gènes coopérant avec KRAS muté dans la carcinogenèse pancréatique, notamment grâce aux systèmes de transposition Sleeping Beauty et piggyBac.

Les transposons sont des éléments génétiques mobiles se propageant dans le génome par un mécanisme « couper/coller » ou par l’intermédiaire d’un ARN et d’un mécanisme « copier/coller » (rétrotransposons). Les transposons endogènes sont ubiquitaires dans le génome des vertébrés, constituant jusqu’à 45% des séquences d’ADN, mais demeurent silencieux du fait de mutations inactivatrices acquises au cours de l’évolution. L’introduction de transposons exogènes permet une mutagenèse insertionnelle dans un large spectre de tissus, et donc la génération de nombreux modèles de cancers (DeNicola et al. 2015).

2.1. Le système Sleeping Beauty

En 2012, Mann et collaborateurs identifient de nouvelles mutations accélératrices de la carcinogenèse pancréatique, en combinant le système de transposition Sleeping Beauty à un modèle murin d’ADK (figure 12). Les souris exprimant Kras muté au niveau du pancréas (Pdx1-Cre ; lsl-KrasG12D) présentent des lésions plus évolutives et invasives après croisement avec les souris exprimant un dispositif de transposition au locus Rosa26 (Rosa26-lsl-SB11) (Mann et al. 2012). La localisation et l’orientation des insertions de transposons peut prédire de la fonction du gène candidat. Ces insertions ont lieu proche de l’extrémité 5’ des oncogènes dans la même orientation, où le fort promoteur du transposon permet la surexpression. En revanche, les insertions au sein des suppresseurs de tumeurs sont distribuées dans la région codante, avec des orientations variables, où l’inactivation est permise par la présence d’une séquence polyA bidirectionnelle dans le transposon. L’amplification par méthode de splinkerette PCR des zones d’insertion, puis leur séquençage permet d’obtenir une carte précise des gènes candidats.

L’étude réalisée par Mann et collaborateurs révèle 543 gènes candidats, dont la plupart sont retrouvés dans les analyses génomiques réalisées auparavant (Jones et al. 2008; Campbell et al. 2010). De manière plus surprenante, les gènes les plus significativement mutés de leur

45 analyse sont Pten, dont seule la perte d’hétérozygotie a été décrite dans l’ADK, et Usp9x, dont le rôle suppresseur de tumeur n’a jamais été étudié pour aucun cancer.

L’analyse similaire réalisée par Pérez-Mancera et collaborateurs dans un fond génétique Rosa26-lsl-SB13 identifie Usp9x comme étant le gène le plus affecté de leur crible (Pérez-Mancera et al. 2012). Leur étude révèle que l’expression de la déubiquitinase USP9X est perdue dans les lésions cancéreuses pancréatiques et que cette perte est corrélée à un mauvais pronostic chez les patients atteints d’ADK. La génération d’un modèle murin Pdx1-

Cre ; KrasG12D ; Usp9xfl confirme l’apport du crible Sleeping Beauty puisque la survie de ces

souris est nettement diminuée comparée aux Pdx1-Cre ; lsl-KrasG12D.

2.2. Le système piggyBac

L’utilisation du système piggyBac dans un modèle Pdx1-Cre ; lsl-KrasG12D ; Rosa26- lsl-PB ; ATP1-S2 par Rad et collaborateurs donne lieu à un nouveau crible de gènes candidats

coopérant avec KRAS muté dans l’ADK (Rad et al. 2015)(figure 12). Bien que certains gènes identifiés soient communs aux analyses réalisées avec le système Sleeping Beauty, il semblerait que le système piggyBac soit plus sensible pour l’identification d’oncogènes, vraisemblablement en raison de la différence des séquences d’insertion. Ainsi Foxp1 et

Foxp2, qui n’étaient pas retrouvés dans le crible Sleeping Beauty, sont mis en évidence par

cette nouvelle étude. L’expression de FOXP1 et FOXP2 est augmentée dans les lésions cancéreuses pancréatiques et s’avère être corrélée au statut métastatique chez les patients.

2.3. Utilisation du système CRISPR/Cas9 et modèle sporadique

L’utilisation des modèles transgéniques, si elle ne possède aucun équivalent reconnu, possède des limitations notables telles que le temps de génération des souches ou la difficulté à recréer la nature sporadique du cancer humain. Le système procaryote CRISPR/Cas9 s’est depuis peu révélé comme une méthode fiable d’édition du génome et de modélisation des cancers chez l’animal (W. Xue et al. 2014). L’utilisation d’ARN guides (sgRNA) permet d’adresser spécifiquement la nucléase Cas9 au locus ciblé et d’induire une cassure double- brin de l’ADN. Ces lésions sont réparées par une NHEJ imparfaite qui peut être exploitée pour induire des insertions/délétions en hétérozygote ou homozygote.

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Figure 12 : Les systèmes de transposition Sleeping Beauty et piggyBac

1) Le croisement des souris Sleeping Beauty et piggyBac avec les Pdx1-Cre-KrasG12D permet une excision par la

Cre recombinase du codon stop et l’activation des transposases, spécifiquement dans le pancréas. 2) Les transposases excisent les multiples copies des transposons T2Onc à partir de concatémères et les insèrent au niveau de séquences TA ou TTAA. 3) Le transposon T2Onc promeut l’expression d’oncogènes lorsqu’il est intégré en amont ou à l’intérieur du gène, dans la même orientation. La présence de 2 sites accepteurs d’épissage et une séquence poly-A bidirectionnelle permet la terminaison de transcription de suppresseurs de tumeurs lorsque le transposon est intégré à l’intérieur du gène, quelle que soit l’orientation.

47 Publiés très récemment, les travaux de Maresch et collaborateurs décrivent un modèle d’ADK basé sur l’utilisation du système CRISPR/Cas9 chez la souris (Maresch et al. 2016). Réalisée dans un modèle p48-Cre ; lsl-KrasG12D, la transfection en « multiplex » de 15 ARN guides ciblant des suppresseurs de tumeur accélère le développement de l’ADK comparé aux sgRNA neutres. En plus de recréer l’aspect « mosaïque » caractéristique de l’ADK, le modèle démontre la possibilité de réaliser des cribles négatifs. En effet, parmi les 15 gènes ciblés, seule la mutation de Brca2 n’est pas retrouvée, suggérant une sélection négative des clones ayant subi cette altération. Ces données confirment ainsi de précédents travaux démontrant que l’inactivation de Brca2 inhibe le développement de lésions initié par Kras muté (Rowley et al. 2011).

En identifiant de nouveaux gènes impliqués dans la carcinogenèse pancréatique, et en confirmant leur statut « driver », les études de crible génétique se sont avérées être complémentaires des analyses génomiques globales. La complexité des voies moléculaires contribuant au développement de l’ADK étant maintenant évidente, la seule identification de mutations par les études génomiques semble insuffisante dans une perspective de caractérisation fonctionnelle. En effet, la plupart des gènes fréquemment mutés possèdent une multitude de cibles et de partenaires, comme en attestent les nombreuses conséquences de la mutation de KRAS. Les cribles génétiques permettent de déceler les effecteurs clés de ces voies moléculaires, qui s’avèrent être souvent de meilleures cibles thérapeutiques.

B. Modèles murins et génomique fonctionnelle de l’ADK

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