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Chapitre 3 : Le partage, une valeur commune

3.1 Les échanges avec le cercle social intime

3.1.3 Les échanges directs entre groupes d’amis

Les dons d’aliments et les repas partagés à partir de produits récupérés son commun dans les cercles sociaux des divers. Il y a également certains groupes d’amis de divers qui font des

échanges directs. Ce seront des amis qui s’entraident et qui vont utiliser ce type d’échange comme stratégie de coopération en s’échangeant des produits et parfois des plats issus de la récupération. Cela permet de varier les aliments et de s’assurer de ne pas perdre les surplus récupérés.

« Souvent, tu trouves un aliment en grande quantité ou genre une grosse batch,

donc on y allait plusieurs appartements ensemble pis mettons, nous on prenait toutes les tomates et on faisait de la sauce à spag et l'autre appartement prenait toutes les poires et faisait de la compote de poires et après ça on pouvait faire un échange. Donc y'a un aspect très collectif, très social. En plus, d'y aller en gang ben ça nous permettait de se voir une fois par semaine, c'était des bonnes amies à moi » (Émilie, 25 ans).

Il y a donc deux idées présentées dans cette citation. Tout d’abord, la stratégie de division des ressources permet de réduire et d’optimiser le travail tout en diversifiant son alimentation. Au lieu de diviser les trouvailles également entre les parties, les participants dans ces échanges vont préférer partager les produits cuisinés au lieu de se retrouver avec quelques items de chaque aliment. La coopération est basée sur l’intime connaissance qu’il y a la même qualité d’effort derrière le plat qui est échangé : récupération, nettoyage, préparation. À défaut d’être équivalents en termes d’effort, les groupes ou les individus vont considérer le processus derrière l’échange de manière égalitaire, même si le produit n’est pas équivalent. L’idée d’échanger des plats cuisinés avec des aliments récupérés est une stratégie qui permet de s’alimenter à faible coût, de diversifier l’alimentation, de diminuer le gaspillage, ainsi que toutes autres raisons à caractère politique et idéologique partagées par les individus. La deuxième idée présentée est celle que le DD, en plus d’être une stratégie de coopération alimentaire, est également une activité entre d’amis. La récupération tout comme l’échange en tant que tel, permet de créer un moment ludique entre amis : ils passent du temps ensemble à chercher de la nourriture en se promenant à l’extérieur. Comme ce sont des étudiants, ils passent effectivement beaucoup de temps seuls devant leur ordinateur ou dans leurs livres, le DD et les activités complémentaires (nettoyage, cuisine) deviennent un prétexte pour joindre l’utile à l’agréable.

si ce n’est pas simultanément, le retour sera fixé dans une période de temps précise (Lévi- Strauss, 1968; Sahlins, 1972). Ce sont des échanges où il y a des intérêts économiques et sociaux ; le côté matériel de la transaction est au moins aussi important que l’aspect social. L’incapacité à rendre dans un délai acceptable brise la relation (Sahlins, 1972). Or, dans le cas du DD, ces échanges sont réservés aux amis proches puisqu’ils sont considérés davantage comme une stratégie de coopération plutôt que comme un contrat social. Les ententes d’échanges de plats ou d’aliments entre groupes d’amis sont ainsi possibles, car elles prennent place dans un contexte où un lien social est déjà présent. Par ailleurs, l’idée de troquer de la nourriture n’est généralement pas une manière d’échanger qui plait aux divers: « On pense

moins dans le concept de faire des échanges directs, c'est plus : ''aujourd'hui j'en ai trop, alors je partage. Demain, toi tu en as trop, tu partageras avec moi'' » (Jérome, 29 ans).

Plusieurs informateurs m’ont effectivement mentionné se distancer le plus possible de l’idée du troc. Ils vont préférer donner et prendre le risque de ne rien recevoir en retour. Il y a un refus de l’échange direct parce qu’il serait trop associé à un échange marchand. Les ententes d’échanges entre amis sont alors valorisées comme technique d’entraide. Puisque ce sont souvent des plats qui sont échangés, ces ententes font intervenir un grand niveau de complicité et d’implication autrement absent du troc. Le fait de cuisiner pour des amis permet de modifier l’association avec l’échange marchand et de valoriser une forme d’entraide à travers le partage de nourriture.

Les échanges avec le cercle social intime des divers se déclinent de différentes façons et dans différents contextes. La colocation est, pour plusieurs divers, un lieu de réciprocité où l’alimentation est inscrite dans la collectivité et dans le fonctionnement de la vie commune. Les repas partagés et les plats échangés font intervenir une complicité et un appui pour des amis. Les individus qui sont impliqués dans ces échanges sont dans la garde rapprochée des

divers indépendamment du fait que ceux-ci fassent du DD ou non: amis proches, colocataires,

membres de la famille…etc. Ces dons et ces échanges sont des actes de générosité et d’entraide qui se basent sur la relation entre les individus. Les liens sociaux déjà existants sont renforcés à travers les dons de nourriture. Ces échanges prennent ainsi une double fonction : ils sont tout d’abord une stratégie pour se départir des surplus et permettent, ensuite, de renforcir une relation de solidarité avec des alliés. Le lien social est alors la raison initiale de

ce type de transaction, mais est également consolidé par la coopération exprimée par les dons et les échanges.