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Lecture sémiotique du premier épisode

Les analyses proprement dites se trouvent dans les Annexes

4. ANALYSE DU PREMIER ÉPISODE

4.5. Lecture sémiotique du premier épisode

Pour ce premier épisode, on est face à deux situations liées toutes les deux à cet "Eden", l'Eden d'Alexis qui 'est le pivot de toutes les quêtes entreprises ici ainsi que celles envisagées pour les autres épisodes.

En observant la situation initiale et la situation finale de cet épisode, il est clair que dans la première le héros est en état de conjonction avec son Eden ; dans la seconde, il est en disjonction avec ce dernier puisqu'il en est chassé.

Le récit retrace la transformation entre les deux états, et tentera, dans les autres épisodes, de rétablir la conjonction.

4.5.1. L'Eden éternel

L'Eden d'Alexis, qu'il a reçu comme un don, sans programme narratif, est non seulement ce décor naturel qui commence dès qu'il met le pied dehors,

« au-delà des arbres sombres du jardin, l'étendue verte des champs de cannes, les taches grises et bleues des aloès de Walha lla, de Yémen [...] et loin, pareille à une mura ille, la chaîne des montagnes où se dressent les pics des trois mamelles » (p. 84),

mais aussi :

« La grande maison du Boucan où nous sommes nés » (p. 89). « La varangue où Mam nous lisait l'écriture sainte » (p. 99)

et surtout le bonheur lié à ces lieux. Car l'Eden, c'est aussi le lieu de tous les bonheurs.

Malgré les descriptions qui en sont faites tout au long du récit, le mot "Eden" n'a été évoqué que dans le tout dernier paragraphe de la dernière séquence :

d'autre, nous perdons tout cela, la grande maison du Boucan [...] ce ja rdin touffu comme l'Eden avec les arbres de l'intendance... » (p. 99), pour n'évoquer le monde d'Alexis comme un "Eden" qu'au moment où il sera

chassé pour habiter dans une autre ville, loin de la mer, loin de tout ce qu'il a connu. Cela nous remet dans l'Histoire sainte, Adam et Eve chassés du Paradis pour un ailleurs qu'ils ne connaissaient pas, et on a pu voir plus haut que pour Alexis, l'ailleurs est sans vie, menaçant, différent, l'ailleurs est un enfer.

Si l'on considérait le mot "Eden" par sa définition de "Paradis terrestre", cela correspondrait bien à l'île Maurice où se déroule ce premier épisode, connue pour ses beaux paysages. Cette île a été un Eden pour ses habitants avant

l'arrivée des Blancs. Là, l'expression "Faire de la vie de quelqu'un un enfer" est ici essentiellement opérée car l'île est restée un Eden, mais c'est l'existence des Noirs sur celle-ci qui est un enfer, par la faute des Blancs qui les ont réduits en esclavage et ont exploité leurs terres.

Au niveau sémantique. on a une opposition dû type : dominant vs dominé dans laquelle le pouvoir est détenu par les Blancs.

4.5.2. La transformation

On a vu plus haut que pour Alexis cet espace qu'il aime et dans lequel il a grandi, est un Eden de part en part jusqu'au jour où il s'aventure du côté de la sucrerie, faisant lui-même le constat qu'il y a des hommes qui peinent dans ce Paradis et mènent une existence différente de la sienne. Cela est exprimé figurativement par

« La chaudière crache une fumée »,

« ... leurs visages crispés par la douleur du feu », « Je reste pétrifié à regarder la chaudière de fonte ».

Le sème du feu est employé ici négativement, renvoyant thématiquement à l'enfer.

vs Enfer, paradis des Blancs, enfer des Noirs.

La transformation est opérée d'abord par les travailleurs noirs. Leur intervention s'inscrit d'abord sur le plan cognitif : Dominés par les Blancs, ils n'ont pas la modalité du pouvoir. Cette intervention pourrait se lire

narrativement sur l'axe destinateur /destinataire en un "vouloir faire savoir" :

« La colère gronde chez les travailleurs des champs parce qu'ils n'ont plus à manger ».

Ce "vouloir faire savoir" a pour but d'installer chez les Blancs un "vouloir

faire" par rapport au fait, changer la situation socio-économique des Noirs. Le "faire transformateur" des Blancs n'arrivant pas, et au contraire les Blancs

réagissent par l'indifférence à la faim des Noirs, cette dernière grandissant permet au Noirs d'acquérir la modalité du "pouvoir" qui va se traduire en révolte:

« Alors je m'en vais loin, de plus en plus loin [...] et je guette les fumées des révoltes » (p. 65),

des révoltes qui avancent à travers les champs et s'approchent des Blancs : «.... Je ne vois les fumées d'incendies du côté de Yémen et de Walhalla,

elles sont très proches [...] et je comprends qu'il est en train de se passer quelque chose de gra ve » (p. 66),

comme pour transférer cet enfer du côté des Blancs.

Enfin, les Noirs unis par la faim et la misère, acquièrent le "savoir-faire" en agissant comme un seul homme :

« La masse des hommes avance, recule dans une sorte de danse étrange » ; « Puis y'a un seul mouvement de la foule »

puis il y a cet acte symbolique de jeter l'un des bourreaux dans la fournaise.

Donc sémantiquement, on pourrait parler de l'opposition : répression vs

révolte. Les Noirs, par leur intervention d'abord sur le plan cognitif, ensuite

leurs droits par la révolte, le feu, la vengeance. L'espace pourrait, dans ce cas, être investi en "Enfer" vs "Paradis", enfer des Blancs, paradis des Noirs.

La seconde transformation s'est inscrite dès le début sur le plan pragmatique. La loi divine détenant les modalités du "vouloir - pouvoir - savoir" faire intervient pour châtier ceux qui ont exploité leurs semblables ; le vouloir faire s'est manifesté par rapport à la faim des Noirs et l'indifférence des Blancs :

« Et pourquoi Dieu punirait-il encore la terre ? Est-ce parce que les hommes sont endurcis [...] et qu'ils mangent la pauvreté des travailleurs dans les pla ntations ? » (p. 81).

Le savoir-faire s'est manifesté en accordant aux éléments cette force destructrice :

« Cela fait le bruit d'un énorme animal » (p. 84), «,comme un troupeau qui court » (p. 84),

« Le vent entre [...] comme un animal furieux et visible » (p. 86).

Le sème de l'animalité apparaît ici négativement. Cette intervention qui paraît agir exclusivement sur le plan pragmatique, a eu aussi un impact sur le plan cognitif :

« Je voudrais prier, mais mes dents s'entrechoquent [...], je me souviens seulement de l'histoire du déluge... » (p. 81).

Ces deux interventions ainsi que le rôle joué par l'oncle, tombent sur le héros comme un châtiment et le mettent à la fin de cet épisode aux portes de son Eden.