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CHAPITRE III INCIDENCES CONCLUSIVES

3.1 La question du judiciaire

3.1.2 Le traitement pénal des meurtres d’enfants

- Une législation propre à l’« infanticide »

Avant toute chose, il convient de rappeller que l’île Maurice possède une législation propre à l’« infanticide ». Les articles du code pénal mauricien se basent sur l’amendement de l’Infanticide Act anglais (1938) pour qualifier le meurtre d’un enfant nouveau-né par sa mère dont « l’état mental serait perturbé à la suite des effets de l’accouchement ». L’acte bénéficie de circonstances atténuantes ne dépassant pas 15 ans d’incarcération même s’il est possible que la condamnation aille jusqu’à 30 ans (Article 222-2, Revised Law of Mauritius, 2000, vol. 3). Le jugement d’infanticide est à distinguer du « meurtre d’un enfant nouveau-né », perçu comme une offense criminelle plus grave148 et passible d’une peine de 30 à 45 ans de prison, quel qu’en soit l’auteur. Si la victime est plus âgée, l’affaire sera traitée comme un cas habituel d’homicide ou d’assassinat ; autrement dit, aucune autre spécificité liée à l’âge de l’enfant n’est indiquée dans les textes pénaux.

- L’implication de la désignation d’infanticide dans les textes de loi et les controverses

qu’elle engendre

La désignation d’« infanticide » dans les textes de loi implique la prise en considération de la particularité que peut revêtir le meurtre d’un enfant nouveau-né en tant que crime de genre. Comme indiqué précédemment, le traitement pénal qui lui est réservé en fait un crime exclusivement maternel, ou tout du moins féminin. Ainsi, à Maurice, comme dans d’autres pays où l’infanticide existe en tant que tel dans la loi, l’intentionnalité des femmes mises en cause se voit réduite au vu de la causalité biologique mise en avant. C’est d’ailleurs à ce titre que le traitement pénal réservé aux infanticides (au sens juridique de ce

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terme) demeure clément en comparaison de celui qui est destiné à tout autre cas de meurtre d’enfant.

Si les lois sur l’infanticide ne sont pas remises en question à Maurice, il est des pays (comme par exemple, le Canada) où elles font l’objet de discussions. Elles y sont perçues comme procurant « une excuse » à la suppression de l’enfant en faisant de cette situation la résultante d’un déséquilibre psychique tenant à la condition d’être enceinte. En effet, partant de cette hypothèse, aucune réflexion n’est engagée quant au sens particulier que peut revêtir l’acte d’infanticide dans le parcours de la mère, à un moment donné de son existence. Une autre critique émise par rapport à la clémence du judiciaire est que la compassion pour la mère meurtrière semble l’emporter sur les droits du nouveau-né dont l’existence a été supprimée.

Dans le cas de figure opposé, nous retrouvons l’exemple de la France, où l’incrimination d’infanticide a disparu des textes français depuis 1994, pour laisser la place à la désignation « d’homicide volontaire sur mineur de moins de 15 ans » (Article 221-3). Ces nouvelles dispositions du code pénal font que, d’une part, la mère bénéficie d’un statut d’égalité avec le père devant la loi et que, d’autre part, par le biais de la victimation, le nouveau-né tué retrouve sa place en tant que « personne »149 (Villerbu, 2007). Cependant, comme le relève l’auteur lors de sa communication (ibid.), ce changement au niveau des textes de loi soulève aussi des interrogations.

Comme le commente Villerbu, sans doute assistons-nous, dans cette situation, à une extinction des crimes de genre (devant la loi) ou à une disparition des opportunités150. Plus précisément, le fait d’écarter la particularité que peuvent comporter certains cas de meurtres d’enfants renverrait à une méconnaissance d’un effet de structure et d’un genre, et des opportunités que celui-ci comporte. Par ailleurs, le fait de balayer l’éventualité d’un trouble psychique accroît le conflit entre l’intentionnalité et l’inconscience chez la mère infanticide. De la sorte, la banalité psychologique des femmes en cause crée un nouveau péril et exige de mener des recherches sur des processus au-delà des maladies mentales distinguées et établies (ibid.).

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Si l’on compare ce texte de loi à celui concernant « l’infanticide », les droits du nouveau-né lui sont ici - en quelque sorte -, « restitués » puisque le crime dont il fait l’objet reçoit la même considération que si celui-ci avait concerné n’importe quel autre enfant aux yeux de la loi.

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- Une différence de traitement pénal ?

D’après Guernalec-Lévy151, dans les pays où la désignation d’« infanticide » fait partie des textes de loi, les mères meurtrières ou suspectées d’infanticides bénéficieraient d’une plus grande clémence dans la mesure où elles se retrouveraient rarement en prison, que ce soit avant ou après les procès. La journaliste pose, a contrario, l’exemple de la France où la détention provisoire serait « plus une règle qu’une exception » : selon elle, la conception « répressive »152 de la loi en matière de meurtre d’enfant permettrait aux magistrats de se sentir fondés à réclamer la détention provisoire.

L’état actuel de nos recherches ne nous permet pas d’attester ces dires. Toutefois, relevons qu’une étude récente, menée par Laporte et al. (2003), laisse penser que les peines prononcées en matière de meurtre d’enfant pourraient être plus sévères dans les pays où il n’existerait aucune législation spécifique par rapport à l’infanticide. Ces auteurs notent que la charge la plus souvent retenue contre les mères en matière de meurtre d’enfants est celle d’homicide involontaire ; le verdict de meurtre serait rarement retenu. La seule étude, à leur connaissance, qui fait état d’un fort pourcentage de femmes condamnées pour meurtre est celle réalisée par Marks et Kumar (1996) en Ecosse, où (comme le soulignent Laporte et al., ibid.) il n’existe aucune législation propre à l’infanticide.

A côté de ces exemples, nous avons celui du Québec où les lois sur l’infanticide existent mais, où, au contraire de ce qui est observé ailleurs, les condamnations en matière de meurtre d’enfant sont relativement sévères. Comme l’expliquent Laporte et al. dans leur étude153, 78% des femmes de leur échantillon (14/18) ont été condamnées à des peines de prison de plus de deux ans et cinq femmes ont été condamnées à la perpétuité. Rappelons que les recherches indiquent que, pour ce type de délit, habituellement moins de 25 pour cent des femmes reçoivent une condamnation pénale ou une peine d’emprisonnement à vie (D’Orban, 1979 ; Cheung, 1986 ; Marks et Kumar, 1993, 1996 ; Wilcynzski, 1991).

Guernalec-Lévy dans ses écrits nous offre peut-être un début de compréhension à la sévérité des jugements pénaux rendus au Québec. La journaliste relève, en effet, que les lois sur l’infanticide font l’objet de revendications au Canada. On pourrait, de ce fait, imaginer aisément que le débat concernant le traitement (jugé « trop clément ») de l’infanticide influencerait la qualité des peines prononcées.

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Journaliste française et auteur de « Je ne suis pas enceinte : enquête sur le déni de grossesse » aux éditions Stock, 2007

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Terme utilisé par cet auteur.

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Portant sur des femmes, au Québec, qui entre 1981 et 1991, ont été poursuivies en justice pour le meurtre de leur(s) enfant(s) biologiques.

-La situation à l’île Maurice

Pour en revenir à l’objet de notre étude, le traitement pénal des meurtres d’enfants à l’île Maurice semble rejoindre les résultats des études mentionnées précédemment. Lors de notre dernier séjour sur le terrain (en juillet 2010), hormis Doushka154, toutes les femmes suspectées ou poursuivies pour le meurtre de leur(s) enfant(s) entre septembre 2002 et juillet 2010 se trouvaient en liberté conditionnelle ou avaient été remises en liberté moyennant une reconnaissance de dette. Le cas de Doushka se distingue des autres situations seulement dans le sens où cette jeune femme était en détention pour la réitération de son acte.

Concernant les femmes condamnées à la suite du décès de leur enfant155, celles-ci ont bénéficié de circonstances atténuantes pour leur acte. La sanction qui a été, dans les deux cas, été la même : à savoir, celle d’homicide involontaire. Plus précisément, Padmini et Marjorie ont été condamnées pour « coups et blessures sans intention de tuer ». A Maurice, la sanction prévue pour ce type de délit ne dépasse pas 50 000 roupies d’amende156 et la détention qui s’assortit à cette infraction va de 10 jours à 5 ans d’incarcération (Articles 1 et 239 du Code pénal mauricien). Padmini, pour sa part, a été condamnée à six ans d’emprisonnement157 pour le meurtre de sa fille de 6 mois, et, Marjorie, a été condamnée à deux ans d’incarcération pour la mort de son fils âgé d’un an et demi. Dans les deux cas, une amende dérisoire avait été demandée : 400 roupies pour la première et 500 roupies pour la seconde. Nous avons appris, par la suite, que la durée de l’incarcération de Padmini allait être revue en « commission » ; la sanction pénale de Marjorie, par ailleurs, a été réduite d’environ 9 mois.

Toujours selon les travaux de Laporte et al., cités préalablement, il semblerait que les études font habituellement état d’une certaine clémence judiciaire en matière des meurtres d’enfants dans lesquels les mères seraient mises en cause. L’histoire témoigne d’une indulgence similaire dans divers pays à des époques éloignées. L. Gowing en parle dans un article sur l’infanticide au 17e siècle en Angleterre158 ; plus près de nous dans le temps et dans l’espace, A.Tillier en fait état dans sa thèse sur les infanticides du 19e siècle en Bretagne159. Dans la section qui suit, nous nous saisirons de la compréhension de divers auteurs ayant commenté la clémence (passée et actuelle) de certains systèmes judiciaires concernant les meurtres d’enfants commis par les mères. Au long de nos observations, nous tenterons de voir dans quelle mesure ces éléments peuvent éclairer notre étude du terrain et nous permettre de mieux « saisir » cette clémence au sein du contexte local. Les journaux de l’île et les rencontres avec les enquêteurs ayant été au contact des mères infanticides nous aideront à avoir une certaine appréciation du regard porté sur la mère qui passe à l’acte.

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Cas présenté au chapitre 2.

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Ces cas sont également présentés au chapitre précédent.

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Pour rappel, cette somme correspond à 1, 045 euros au taux de change du jour.

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Au moment du jugement, il ne lui restait toutefois plus que trois ans de prison à purger étant donné qu’elle avait déjà passé 3 ans en détention provisoire.

158

GOWING, L. (1997) “Secret births and infanticide in seventeenth-century England”. Past and present. n°156. Oxford (Royaume-Uni) : University of Hertfordshire. p. 87- 115

159

TILLIER, A. (2001) Des criminelles au village : femmes infanticides en Bretagne (1825-1865). Rennes : Presses Universitaires de Rennes