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Partie II : Meurtres d’enfants à l’Ile Maurice et problématique

1.4 Présentation du contexte mauricien

1.4.1 Le cadre socio-historique et culturel

Les débuts de l’installation « humaine » sur l’île…les « premiers » Mauriciens…

Selon d’anciennes cartes maritimes, l’île Maurice (baptisée Dina Arobi58) était connue des navigateurs arabes dès le 10e siècle. Pourtant, les premiers explorateurs qui ont foulé le sol du pays ne semblent pas avoir été tentés par la conquête de l’île. Les Portugais, qui l’accostent au début du 16e siècle, la dotent du nom de Cirné59 mais ne s’y installent pas non plus ; elle leur sert simplement comme port de relâche. L’île, encore vierge trois siècles auparavant, voit ses premiers occupants arriver en 1598. Il s’agit de navigateurs hollandais qui jettent l’ancre non loin des côtes mauriciennes, à la suite d’un cyclone qui les détourne de leur route. Les Hollandais donneront le nom de leur souverain, le prince Maurits van Nassau60 (Maurice de Nassau), à ce « coin de paradis » venu leur insuffler de l’espoir. La première occupation de Mauritius sera néanmoins effective seulement 40 ans plus tard, en 1638.

Cette première entreprise d’habitation ne fait pas long feu toutefois car l’île passe assez vite du statut de « paradis » à celui de « véritable jungle » (De L’Estrac, 2004, p. 40). Habitations, industries et cultures sont détruits par les cyclones, les rongeurs et autres « nuisances » de la nature. La main d’œuvre manque pour réparer les dégâts. L’île, par ailleurs, devient un repaire de bandits : elle s’emplit de forçats venus des geôles d’Europe, des

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Cette partie reprend partiellement une présentation que nous avons réalisée lors d’un précédent travail sur les croyances populaires à l’Ile Maurice : « Croyances en la sorcellerie et troubles psychiques à l’Ile Maurice », Mémoire de Master 1 de Psychologie. 2004-2005. sous la direction de D.F Allen. Université Rennes 2.

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Il existe des interprétations très différentes de cette expression. Dina Arobi serait synonyme de « richesse » pour les uns (Hazareesingh, 1976) ou de « désolation », « désert » pour d’autres (Selvon, 2003 ; Le Comte, 2007), à l’image peut-être de ce à quoi elle renvoyait les explorateurs de l’époque.

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Selon la version de S. Selvon (2003), cette appellation aurait été donnée à la suite du Syrne, l’un des premiers navires portugais à avoir accosté le pays.

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Lors de la victoire desProvinces Unies en 1579, l’Espagne tourne le dos à la Hollande qui s’est libérée de son joug. Le peuple hollandais, dès lors, porte au pouvoir le prince Maurits van Nassau. Sous l’impulsion de celui-ci, le pays parvient à redresser la tête et s’enrichir grâce au commerce et à la fondation de l’empire colonial. DE L’ESTRAC, J.-C. (2004) Mauriciens enfants de mille races : au temps de l’île de France, République de Maurice : Caractère Limitée, p. 23

tavernes illégales sont ouvertes ainsi qu’une maison close. De plus, les Hollandais (peu nombreux) voient les esclaves - venus d’Afrique, de Madagascar et d’Asie du Sud - se retourner contre eux (ibid., p. 50-51).

Les épidémies et la sécheresse auront raison des Hollandais qui quittent l’île en 1710.

Mauritius ne serait pas restée inhabitée pour autant : quelques marins auraient déserté

l’équipage qui quittait l'île, pour rejoindre les esclaves (libres et fugitifs) restés à terre, afin d’y élire domicile. Ces individus seraient, selon certains, les ancêtres des « premiers Mauriciens » (De L’Estrac, ibid., p. 50, Hillcoat-Nalletamby, 2002, p. 22). Cette opinion ne fait pas l’unanimité cependant : d’autres pensent que Hollandais et anciens esclaves auraient quitté l’île, soit en se faisant embaucher sur des navires, soit en entreprenant la traversée pour rejoindre leur terre natale : l’Afrique, Madagascar… . (Selvon, 2003, op. cit., p. 54)

L’implantation française61

En 1715, les Français qui habitent, non loin de là, l’île Bourbon (aujourd’hui « île de la Réunion ») prennent ensuite possession de Mauritius. Cette dernière se trouve dans une position privilégiée sur la route des Indes et la France entend conserver le monopole du commerce62 et de la navigation dans l’Océan Indien. Par ailleurs, en s’y implantant, la crainte que l’île Bourbon ne tombe entre les mains d’étrangers, qui pourraient constituer une « menace » pour eux, est sensiblement écartée. Mauritius se voit alors baptisée Ile de

France, comme pour effacer toute trace d’une implantation antérieure et souligner la filiation

à l’empire français.

L’établissement des Français sur l’île commence en 1721. Considérée d’abord comme une dépendance de l’île Bourbon, l’Ile de France sera régie ensuite par la compagnie des indes orientales (1723-1767) : on encourage des officiers à s’installer dans le pays en leur offrant des terres et des prêts à l’achat des esclaves (Asgarally, 2006). Qui plus est « la

politique de colonisation se sert de l’utopie pour parvenir à ses fins » (Toni et Orian, 1986,

p.18) : l’île est présentée tel le nouvel Eden et sont vantés divers « ingrédients » qui concourent à qualifier d’ « heureuse » l’existence en son sein : une richesse extraordinaire de la faune et de la flore, l’inexistence de nuisances, une grande liberté sexuelle… .

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Le terme « implantation » nous a semblé moins péjoratif ici que pouvait l’être celui d’ ‘occupation’ (au regard de l’histoire française), et plus juste que celui de ‘colonisation’ étant donné qu’il n’est pas certain que l’île ait été réellement habitée avant l’arrivée des Français. Le terme d’occupation sera cependant utilisé en divers endroits, et sera à entendre comme le fait de « s’emparer d’un lieu », de « se rendre maître d’un pays, d’une place » (Dictionnaire Littré).

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Certains se lanceront ainsi dans l’aventure, poussés également par le désir de « faire fortune » et d’abandonner l’ « ancien monde » (ibid., p. 21). L’exil est toutefois perçu comme temporaire par ceux qui s’installent sur l’île : la volonté de « repartir » semble être toujours présente et influencer les habitudes de vie, l’avenir dans l’île n’est pas envisagée (ibid., p. 25). L’île voit, en ces temps, se développer en son sein l’économie sucrière et le commerce avec le monde extérieur (rendu possible à travers le développement portuaire). Plus tard, la compagnie des Indes fait faillite et le pays passe directement sous la couronne royale française.

Le peuplement de l’île est disparate et va s’étendre sous le règne des Français63. Certains viendront de leur plein gré comme les Bourbonnais, les Européens, ou encore, les Chinois (pour la plupart, des commerçants). L’île connaît aussi des vagues d’immigration notamment indienne, des travailleurs « engagés » : ceux-ci sont libres mais vivent dans des conditions misérables. Enfin, viennent ceux qui constitueront la majeure partie de la population : des esclaves venus, pour la plupart, d’Afrique, de Madagascar et d’Asie (de régions se situant au Sud et Sud Est de l’Asie)64.

Au sein du pays, le rang de chaque « communauté ethnique » semble déterminé. Les « grands blancs » sont sur la plus haute marche de l’échelle sociale. A leur suite viennent les « petits blancs : bien qu’appartenant à la communauté « blanche », ceux-ci ne font pas partie de la « haute société ». Ils sont artisans, petits commerçants et ouvriers ; des unions avec des personnes de couleur « libres » ou des esclaves sont notables dans ce « sous-groupe ». La communauté des esclaves figure au bas de l’échelle sociale. Entre les deux extrêmes, on trouve les « gens de couleurs » (engagés, affranchis…), longtemps appelés les « Libres » 65. Ces derniers sont d’origines multiples : ils sont africains, malgaches, indiens, indonésiens, malais, chinois. Pour d’autres auteurs, ce n’est pas tant le domaine économique mais le métissage qui conduit à une série de clivages qui constituent des groupes « qui se penseront

différents les uns des autres » (Toni et Orian, Op. cit., p. 43) .

Sans doute n’ont-ils pas tort. Rappelons qu’à cette époque, l’esclavage est légitimé par le Code Noir (édit signé par Louis XIV, en mars 1685, concernant « l’état et la qualité des esclaves », qualifiés de « bêtes de somme ou de purs objets »66). Il est entendu que les colons doivent préserver la « pureté de la race française » et sauvegarder « la distance des couleurs »67.

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L’île connaîtra successivement l’administration royale (1767-1790), l’administration révolutionnaire (1790- 1803) et l’administration impériale (1803-1810).

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Il est à noter que des « personnes de couleur » non esclaves sont également venues de ces terres.

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Ces divers « regroupements » (Blancs, Libres, Esclaves) viennent témoigner d’une représentation socio- politique à un moment donné de l’histoire du pays. Il est à noter la fluctuation, dans le temps, des diverses expressions employées, ce toujours, dans une tentative de catégorisation, de « découpage » communautaire de la population.

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http://www.universalis.fr/encyclopedie/code-noir/

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La Révolution française ne vient pas à bout de la traite des esclaves pour diverses raisons. Comme l’indique Selvon (op.cit., Partie introductive p. xii) : en premier lieu, un certain nombre de « gens de couleur » possèdent eux-mêmes des esclaves et s’opposent, comme les « blancs », à la fin de l’esclavage. Ensuite, la mise en place d’un système réprimant plus que sévèrement la population servile contribue à assujettir ces derniers et les esclaves ne font pas le poids contre leurs « maîtres » car ils sont fragilisés par des divisions internes (liées à leurs origines diverses : malgaches, comoriennes, africaines, indiennes…). Enfin, tous ceux qui s’opposent à l’idée dirigeante sont expulsés de l’île.

L’arrivée des Anglais

La présence française dure près d’un siècle, pour s’achever en 1810. Les Anglais convoitent l’île depuis un certain temps. Ils savent qu’une fois l’Ile de France acquise, la domination de l’Inde suivra. Par ailleurs, la possession de l’île les préserverait des attaques des corsaires français qui utilisent le pays comme port d’attache. La première tentative des Anglais échoue mais la seconde s’avère plus fructueuse. En 1810, le Traité de Paris cède l’Ile

de France et ses dépendances aux Anglais contre l’ancienne île Bourbon68

. Dans une logique semblable à certains de leurs prédécesseurs, les Anglais rebaptiseront l’île, sans doute pour asseoir leur possession ; celle-ci retrouve alors son ancien nom, Mauritius. L’occupation anglaise sera la plus longue du règne colonial : elle durera cent cinquante huit ans.

Suite à la capitulation des troupes françaises, le changement de régime aurait été mené « en douceur ». Chose fort rare dans les épisodes de colonisation, il est dit des Anglais qu’ils n’auraient pas imposé leur langue aux habitants. Ces derniers vont aussi conserver leurs biens, leurs lois69, leurs us et traditions. L’idée n’est pas de faire de l’île une colonie de peuplement mais une colonie d’exploitation70, et une base commerciale de premier plan (Asgarally, 2006).

L’avènement des Anglais est souvent perçu comme ayant apporté trois grands changements qui modifieront la face du pays : l’expansion de l’industrie sucrière ; l’abolition de l’esclavage et l’arrivée de nombreux immigrants indiens pour remplacer les anciens esclaves, dont le manque se fait grandement sentir notamment dans les plantations (Martial, 2002, p. 69). Il semble que les ouvrages d’histoire oublient souvent de mentionner que la traite des esclaves a été maintenue un certain temps à Mauritius tandis qu’elle est interdite dans tout l’Empire anglais à la même époque.

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L’île, qui avait été prise d’assaut par les Anglais, se faisait appelée l’île Bonaparte à cette époque.

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Une proclamation, faite le 29 avril 1815 par le premier gouverneur anglais, stipule que l’île continuerait à être régie par les lois, décrets et règlements alors en vigueur. Cependant, diverses lois anglaises ou d’inspiration anglaise vont être intégrées à celles existantes dans l’île. L’influence anglaise a été notamment manifeste dans la procédure et l’organisation judiciaire qui sont, pour ainsi dire, calquées sur le modèle britannique. Information disponible sur http://www.ahjucaf.org, site internet consulté le 22 octobre 2010.

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Le Gouverneur anglais de l’époque, Sir Robert Farquhar, affirmait ne pas vouloir

« brusquer les choses » (Selvon, op.cit., p.190) : l’Angleterre avait garanti le maintien des

coutumes et du style de vie, et, l’esclavage faisait partie des habitudes dans l’île. Dans les faits, le gouvernement britannique subissait l’opposition permanente des planteurs qui avaient constitué un « comité colonial » pour défendre leurs « droits » et réclamer une compensation dans le cas de l’abolition de l’esclavage (Le comte, 2007, p. 55).

C’est seulement en 1835 que l’abolition de l’esclavage sera promulguée à Maurice, soit deux ans après avoir été adoptée en Angleterre. Une compensation qui serait « à l’origine

de la fortune des blancs à Maurice » (Moutou, 1998, p.59) est offerte aux anciens

propriétaires d’esclaves. Les anciens esclaves (âgés de plus de 6 ans) continueront cependant de travailler (moyennant un salaire) pour leurs anciens « maîtres » pendant environ quatre ans avant que leur « liberté » ne soit réellement effective (Le comte, op.cit.).

Une fois cette période passée, les anciens esclaves quittent les camps et sont remplacés par une nouvelle vague de travailleurs immigrés (Hindous, Tamouls, Télougous, Musulmans) venant des comptoirs anglais basés en Inde. Ceux-ci travailleront dans des conditions très similaires à celles des anciens esclaves (Lau Thi Keng, 1991). Le pays connaîtra également des vagues d’immigration chinoises (quoi que bien plus modestes que chez les Indiens) à cette époque. La diaspora chinoise se concentre surtout dans le commerce : des commerçants taïwanais et cantonais ouvrent leurs boutiques dans les plus grandes villes, notamment dans la capitale. Vers la fin du 19e siècle, suite à la révolte des Taiping, les Hankas sont contraints à l’exil et nombreux sont ceux qui arrivent à Maurice, surpassant en nombre les autres peuples chinois (Le comte, op.cit., p. 61).

Au fil des années, les « gens de couleurs » (par opposition ici, aux « blancs ») grimpent dans la hiérarchie sociale. Ils réclament le droit de vote et veulent participer aux décisions politiques. Les oligarques qui, au départ, sont contre l’idée que des « non-blancs » puissent diriger le pays, finissent par capituler. Les habitants de l’île seront tout de même partagés au moment de l’indépendance, le 12 mars 1968. Cette date signera également le ralliement de l’île Rodrigues71 (tableau 5, en annexe No 1) en tant que 10e district de Maurice72. Le pays accède au statut de République au sein du Commonwealth vingt ans plus tard, le 12 mars 1992 ; un président élu localement se substitue alors à la reine d’Angleterre à la tête de l’Etat. Toutefois, la constitution mauricienne étant basée sur le style britannique (Westminster), tous les pouvoirs exécutifs sont détenus par le Premier Ministre, qui siège à la tête du Gouvernement.

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Cette dépendance mauricienne, qui doit son nom à Diego Rodriguez - un capitaine portugais qui découvrit l’île en 152871 - est située à environ 560 km au Nord Est de Maurice. Sa superficie est de 110 kilomètres carrés, pour plus de 37 000 habitants, et la ruralité y est plus prononcée qu’à Maurice.

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Ce détour par l’histoire du pays s’avère de prime importance pour saisir la composition actuelle de la population, les liens et clivages existants entre les diverses « communautés » de l’île décrits ci-après. Les descriptions précédentes et les analyses qui s’ensuivent ont pour but d’offrir des éléments de compréhension dans l’approche des cas qui seront étudiés ultérieurement.