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CHAPITRE III INCIDENCES CONCLUSIVES

3.2 La prévention

3.2.2 L’épineuse question du déni

Nous l’évoquions au chapitre précédent, les personnes rencontrées en milieu carcéral sont toutes dans le déni de l’acte d’infanticide. A ce propos, nous indiquions que - sur un plan social - le déni pouvait être compris comme une manière pour ces femmes d’être en accord avec les normes et de retrouver (ou de trouver, comme dans le cas de Padmini), par ce biais, une place dans l’espace symbolique des échanges. Sur un plan plus personnel cette fois, le déni serait sans doute à saisir comme un moyen pour ces femmes de faire l’économie psychique d’un insupportable. En outre, nous pouvons penser que le déni, dans sa fonction stabilisatrice, permet de juguler si ce n’est la culpabilité, du moins la honte découlant de l’acte d’infanticide178.

Nous gardons une certaine réserve concernant l’existence éventuelle d’un sentiment de culpabilité dans le sens où, en psychopathologie, celui-ci sert avant tout de repère quant à la structuration et à la maturation psychique de la personne. En effet, tous les sujets ne relient pas spontanément un acte délictueux au cadre moral, de la même façon que tous ne sont pas dans une logique d’élaboration intime vis-à-vis de l’infraction. Rappelons également que Freud179 avançait que la culpabilité ne suit pas nécessairement l’acte, il peut aussi le précéder. En d’autres termes, ce n’est pas le délit commis qui serait la cause du sentiment de culpabilité, il en serait plutôt le résultat.

De même, ne pourrait-on voir dans la récidive, la recherche d’une punition qui n’aura pas été effective la première fois, voire la reconnaissance de l’infraction réalisée ? On pourrait se demander s’il en a été ainsi pour Doushka (qui récidive une fois qu’elle se retrouve en liberté conditionnelle) ; nous n’avons malheureusement pas suffisamment d’éléments cliniques pour confronter cette hypothèse. Il est toutefois possible de noter que la récidive a valu à la jeune femme une certaine « liberté » puisqu’elle a été affranchie de sa belle-mère180.

178

Nous nuancerons la honte - qui est un sentiment archaïque - et la culpabilité, plus élaborée au sens d’une intégration du surmoi collectif.

179

Cité par WINNICOTT, D.W. (1958) « La psychanalyse et le sentiment de culpabilité ». In De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, p. 215

180

Pour mémoire, Doushka indiquait que le fait de vivre chez sa belle-mère était, de son point de vue, pire que l’incarcération elle-même.

Par ailleurs, n’oublions pas que d’autres femmes (et mères), qui sont passées à l’acte, ont été remises en liberté conditionnelle, sans pour autant récidiver. Sans traiter de cette question en profondeur, du moins relèverons-nous qu’il s’agit de considérer le sujet comme étant aux prises avec une situation donnée. Rappelons, à ce propos, l’importance du regard social dans le contexte mauricien : le fait que l’infanticide soit porté au regard de tous permet peut-être le déplacement de la culpabilité. L’énoncé de Benhaim (1992, p.122) « de coupable

à ses yeux, elle le devient aux yeux de tous » concernant les femmes incarcérées serait sans

doute tout aussi valable pour celles qui sont remises en liberté. En dernier lieu, on peut aussi imaginer que certaines font l’objet d’une surveillance accrue depuis les évènements (comme nous le décrit Marjorie lors de nos entretiens).

Pour en revenir au déni, la mise à distance de l’acte demeure problématique dans le sens où elle remet en question les buts poursuivis par la sanction pénale. Comment, par ailleurs, légitimer l’incarcération et/ou la durée de la peine si nos sujets demeurent dans le déni ? L’écart entre la responsabilité pénale et la responsabilisation se dessine ici. A. Ambrosi181 le rappelle en ces termes : la responsabilité pénale reconnaît le sujet comme l’auteur d’un délit ou d’un crime tandis que la responsabilisation renvoie à la reconnaissance partielle ou totale de sa responsabilité dans l’acte. En résumé, la différence entre ces deux vocables « renvoie à la différence entre se reconnaître ou désigner le sujet comme acteur ou auteur d’un délit » (ibid.). Autrement dit, la responsabilité pénale ne garantit en rien que le sujet se reconnaisse comme acteur de son délit. Comme le dirait encore Winnicott (op.cit, p.215), « seule la culpabilité légale se rapporte à un crime, la culpabilité morale, elle, se

rapporte à une réalité intérieure ». Si la notion de culpabilité est synonyme de vérité pour le

pénaliste, en psychopathologie elle nous renseigne d’abord sur les rapports que le sujet entretient avec la loi.

Cette question du déni face à l’acte délictueux n’est pas nouvelle si l’on en croit diverses études (Mc Kibben, 1999 ; Murphy, 1990). Plus récemment, une étude réalisée par A. Ambrosi (op. cit) démontre que des détenus ayant commis un homicide volontaire ou une tentative d’homicide aussi bien que des sujets ayant bénéficié d’un non-lieu182 pour le même type de délit, « s’écartent de leur crime » comme si celui-ci ne leur appartenait pas. Les analyses qui découlent de cette recherche nous conduisent à être attentifs au fait que le déni concerne non seulement le sujet mais aussi l’environnement carcéral. Ainsi, avons-nous observé que le déni des femmes rencontrées en prison fait écho à la difficulté des intervenants pénitentiaires à aborder la question de l’infanticide. Par ailleurs, aucune de ces femmes n’a bénéficié d’un accompagnement psychologique ou psychiatrique pendant l’instruction ou après le jugement.

181

AMBROSI-HIRSCHELMANN (2009) « Le jugement pénal et la responsabilisation des criminels : une équation non résolue ? ». In VILLERBU, L.M. (dir.), SOMAT, A. (dir.), BOUCHARD, C. (dir) (2009) Temps

psychiques, Temps judiciaires : Etudes anthropologiques, psychologiques et juridiques ». L’Harmattan : Paris, p.

282

182

Et placés dans des Unités pour Malades Difficiles car jugés pénalement irresponsables au sens des articles 64 du Code pénal français ou 122-1 ou 02 du noveau Code pénal.

Le contrôle social prend clairement le pas sur une instance d’aide : on attend simplement de ces femmes qu’elles « restent tranquilles »183. Ce fonctionnement serait sans doute à rapprocher de ces discours qui définissent la sanction pénale comme thérapeutique (ex. dans les travaux de Wilczynski, 1991 ; Spinelli, 2003) et dont il conviendrait de se méfier184.

Pour autant, rappelle Ambrosi (op.cit, p. 286), le fait que le sujet parle impunément de son acte ou s’interroge sur ce qui l’y a amené n’implique pas nécessairement un travail d’introspection mais peut fonctionner comme une évacuation de l’acte : le dire non-avenu (Viaux. 1996)185 délie l’acte mais empêche aussi une ré-humanisation de l’acte dans l’après- coup. Aussi, faudrait-il se méfier de « certains projets de recherche du calme, de la

tranquillité ou d’une réflexion précédant toute prise de décision ou d’action » (Ambrosi,

Op.cit), qui n’auront pas été précédés d’un véritable travail d’introspection. Ceux-ci relèveraient sans doute davantage du mécanisme de formation réactionnelle186 plutôt que d’un changement réel et d’une prise de conscience. De la même manière, si les sujets semblent s’adapter parfaitement aux rèlges pénitentiaires, la motivation de cet ajustement demeure avant tout utilitaire (comme Padmini qui s’affaire aux tâches quotidiennes de la prison afin de bénéficier d’une remise de peine).

Aussi, en interrogeant les femmes incarcérées à propos de leur avenir, nous notons une sublimation de ce qui les attend à l’extérieur. Marjorie pense reprendre sa vie à l’extérieur : « rattraper le temps perdu » avec ses enfants, « chercher du travail » ; l’éventualité d’une prochaine histoire amoureuse est aussi évoquée même si, ajoute-t-elle, « l’idée du mariage » lui fait peur… . Doushka également désire retrouver ses enfants mais ne souhaite pas retourner vivre chez sa belle-mère mais « chez sa mère » (bien que, aux dires de l’enquêteur, celle-ci soit portée disparue depuis dix ans). Padmini ne traduit aucun désir particulier et nous renvoie à une réponse qui semble « plaquée », de circonstance : « il est triste d’être séparée de ses enfants et de sa famille ». Les conflits semblent se résoudre d’eux-mêmes, comme par magie. Rien n’est dit quant aux enfants décédés et quant au bouleversement qu’aura apporté leur mort dans la vie de ces femmes ou de leur famille, voire de l’entourage.

183

Terme qui revient souvent dans les discussions avec le personnel pénitentiaire à propos des femmes incarcérées que nous avons rencontrées.

184

VILLERBU, L.M. (2003) « Remarques critiques sur les notions de dangerosité et vulnérabilité psychiatrique et criminologique en psychocriminologie ». In AMBROSI, A. (collab.), GAILLARD, B. (collab.) Dangerosité et

vulnérabilité et psychocriminologie. Paris : l’Harmattan, p. 40

185

VIAUX, J.L. (1996) « Psychose, perversion, violence… ce que dit Caïn ». In Psychose, perversion, passage à l’acte. Evolution Psychiatrique. p. 125-136

186

Définie comme une « attitude ou habitus psychologique de sens opposé à un désir refoulé, et constitué en réaction contre celui-ci ». LAPLANCHE, J., PONTALIS, J.-B. (1967) Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF