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5.1 Le théâtre

5.1.3 Le théâtre, une pratique individuelle et collective

L'inclusion du théâtre en milieu scolaire peut prendre plusieurs formes, depuis l'atelier extra-curriculaire à des formations dispensées au sein même du cursus. Mais quelle qu'en soit la forme, l'activité théâtrale implique toujours la participation de plusieurs personnes. Dès la naissance du genre théâtral, l’importance de la collectivité a été centrale : en Grèce Antique, on se réunissait pour des représentations longues, auxquelles tous et toutes assistaient. Le théâtre s’inscrivait donc, dès l’Antiquité, dans la vie sociale de la cité dont il faisait partie (Coggin, 1956).

Si aujourd’hui les théâtres ne sont plus au cœur des cités, il n’en reste pas moins que la pratique de l’art dramatique n’est jamais solitaire. Soit elle nécessite l'implication au sein d'un groupe, auquel cas elle comble le besoin individuel d'en faire partie (Coggin, 1956); soit, dans une configuration où l’actrice ou l’acteur serait seul en scène, tout du moins son existence conjointe au regard de l'autre (Brook, 1977/2001), qu'il ou elle soit un public ou, dans le cadre scolaire, enseignant ou enseignante, intervenant ou intervenante ou participant

également à l'activité. L’autre, qui qu’il ou elle soit, a donc une omniprésence. Le théâtre, comme d’autres arts vivants, est une rencontre qui permet une interaction, une interrelation (Morais, 2016) : dans l’accueil de l’altérité, chacun et chacune se trouve à changer, à se définir, et c’est d’autant plus intéressant dans le domaine des arts vivants qu’ils proposent une ouverture à une multiplicité d’altérités. Dans le cadre du théâtre, cette altérité est celle, physique, des autres membres du groupe, mais également celle des personnages que le comédien ou la comédienne explore23. C’est donc une découverte de l’altérité qui lui permet à la fois d’explorer

son identité et de découvrir celle de l’autre (Villeneuve, 2014). Également, Coggin (1956) décrit le théâtre comme ayant un grand intérêt en éducation, puisqu'il est à la fois un moyen efficace et puissant pour faire passer des idées à nos pairs et recevoir les leurs, ce qui, si toutefois il est pratiqué dans de bonnes conditions, serait un moyen tout aussi efficace pour le progrès intellectuel, moral et artistique – pratiqué dans de mauvaises conditions, le théâtre serait alors susceptible de produire l'exact effet inverse. Cet aspect social du théâtre, convoyant des valeurs sociales et ayant un effet sur les personnes qui y prennent part autant que ces personnes influencent l'activité théâtrale, nous permet de considérer qu'à l'école, une personne qui prend part à une activité théâtrale se trouve confrontée à cet aspet social qui y est inhérent. C’est d’ailleurs ce qu’exprime Villeneuve (2014) quand il écrit : « L’art dramatique en milieu scolaire permettant le passage de l’espace intime à la socialité, il constitue une merveilleuse école d’ouverture à l’autre » (p. 60).

Par ailleurs, la pratique de l’art dramatique implique un rapport au groupe particulier : pour créer un projet commun, généralement la finalité de la représentation théâtrale, on se trouve devant une obligation de concertation. Il y a donc une responsabilité individuelle et collective (Théberge, 2017) qui nécessite la participation de chacun et chacune dans une collaboration. En effet, lors de sa praticipation à une activité théâtrale, la personne se trouve à devoir comprendre l’expression de l’autre, qui peut, dans ce contexte, être verbale ou non verbale, mais aussi à faire en sorte d’être compris à ton tour. C’est ce que Théberge (2017) exprime comme une dépendance entre les membres de l’équipe, qui ne viendrait pas contrarier l’importance de l’individualité et de l’autonomie, ou une motivation puissante à participer au projet de groupe tout en s’y engageant personnellement.

En effet, il y a un va-et-vient, dans cette activité, entre l’individuel et le collectif. On ne peut pas résumer le théâtre à son aspect social, puisque selon de nombreux auteurs, le collectif vient au service d’un développement individuel; par exemple, Way (1973) établit le parallèle avec l'éducation en proposant que cette dernière ait à voir avec les individus et que le théâtre ait à voir avec l’individualité de ces individus, mettant ainsi en exergue leur unicité. Cet auteur voit le théâtre à l'école comme étant en contradiction avec le reste du curriculum, ayant

pour but de standardiser les élèves et les performances à l'aide de tests et d'évaluations quand le théâtre a pour principe fondamental l'individualité.

Cette individualité est également mise en avant par Beauchamp (1998) lorsqu'elle écrit, après avoir questionné des adolescents et adolescentes sur leurs apprentissages suite à une activité théâtrale, qu'ils et elles avaient le sentiment d'avoir surtout appris des choses sur eux-mêmes et elles-mêmes, de s'être découvert et d'avoir évolué. Mais elle note également dans sa conclusion plusieurs points spécifiques au théâtre adolescent lorsqu'il s'agit de l'affirmation de soi :

– Le théâtre adolescent est un théâtre pour les jeunes qui leur permet de construire leur être individuel et leur être collectif à partir de l'exploration, de l'expérimentation et de l'écriture d'un univers qui leur est propre dans toutes ses dimensions : temporelles et spatiales, verbales et gestuelles, sonores et viuelles, rythmiques.

– Le théâtre adolescent est un théâtre pour les jeunes quand il correspond à une pratique de transition choisie, écrite, jouée par eux devant des adultes qui leur confirment ainsi leur passage de l'anonymat individuel au groupe social qu'il vont désormais contribuer à nommer et façonner.

– Le théâtre adolescent est un théâtre pour les jeunes par lequel ils se confirment à eux- mêmes leur engagement dans l'existence. (p. 252)

Enfin, l'action théâtrale en elle-même semble participer à la construction de l'identité de celui ou celle qui l'effectue. Pour Bolton (1979), au sein d'une l'activité théâtrale, l'action mise en place peut être de deux ordres : interne ou externe. L'action externe est la partie visible de l'action, par exemple le mouvement ou le discours; l'action interne n'est pas visible, elle a trait aux émotions, à la pensée. Or, ces deux types d'action sont toujours simultanés dans une activité théâtrale, ce qui nous semble pouvoir participer à la communication entre les différentes personnes participant à l'activité, à l'atteinte de son but, mais également au changement de la personne qui s'engage dans cette action. Également, Potapushkina-Delfosse (2013) explique que la formation de l’identité est à la fois psychologique et linguistique. L’expression théâtrale permet sans aucun doute de lier ces deux composantes.

Par ailleurs, il semble que le théâtre dans le cadre scolaire ait des répercussions au-delà de ce jeu entre individualité et relations interpersonnelles au sein du groupe : il donne aux élèves des possibilités d'exploration et de meilleure compréhension et lecture du monde dans lequel ils et elles vivent et de la société dans laquelle ils et elles s'incluent (Jackson, 1993; Ryngaert, 1991; Villeneuve, 2014). Également, Ryngaert insiste sur les relations qui se nouent entre les différentes personnes participant à une activité théâtrale, qui sont d'une autre nature que celles qui s'établissent habituellement au sein d'une classe : le rapport affectif y est différent, et les échanges entre élèves et membres du corps enseignant et entre élèves s'en trouvent modifiés. Or, nous avons défini la construction de l'identité comme un positionnement par rapport à autrui, ce qui nécessite une compréhension de ce qu'est autrui, de ses valeurs et de ses codes et une mise en relation avec ceux-ci. Comme Jackson (1993), nous pensons à l'issue de notre revue de littérature que l'activité théâtrale permet à celui ou celle qui y participe de mieux comprendre ses sentiments, ses pensées, leur connexion au monde dans lequel il

ou elle évolue ainsi que sa propre connexion aux autres. Par conséquent, nous pensons que les relations et les explorations qui se jouent lors d'une activité théâtrale peuvent être envisagées comme s'inscrivant dans un référentiel plus large que le seul contexte de cette activité ou ses intentions pédagogiques.