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PARTIE I : Cadre théorique

1.2 Les langues vivantes étrangères en France

1.2.3 Le statut sociolinguistique des langues étrangères

L’inscription officielle des LVE au primaire provoque un bouleversement considérable de la conception des programmes. De fait, et comme le rappellent Ducancel et Simon (2004 : 6), on passe d’une langue unique nationale – le français langue de scolarisation – à une diversification de l’offre linguistique et l’EA est alors tourné vers la transversalité et le décloisonnement des disciplines. Toutefois, le choix des langues est souvent lié à la proximité géographique est d’autant plus dans les régions frontalières (voir Camilleri Grima, Candelier et Fitzpatrick, 2003 : 50).

Ces évolutions sont également en lien avec le CECRL qui a permis de changer les modalités d’enseignement et notamment et d’uniformiser l’enseignement des langues avec des éléments communs (de types descripteurs, compétences ou bien activités langagières) à toutes les langues. D’autre part, les nouveaux programmes accordent une place plus importante au « plurilinguisme ». Ainsi, on passe « d’acquérir la maitrise d’une, deux, voire même trois langues, chacune de son côté, avec le locuteur natif idéal comme ultime modèle » à « développer un répertoire langagier dans lequel toutes les capacités linguistiques trouvent leur place » (d’après le CECRL, 2001 : 11).

1.2.3.2 Les nouveaux problèmes de l’enseignement des langues étrangères

On admettra que « plus les langues enseignées sont nombreuses plus la connaissance du monde s’élargit » (d’après Camilleri Grima & al, 2003 : 24). Toutefois, notre système éducatif actuel se limite bien souvent à l’EA d’un nombre restreint de langues dites « dominantes » (telles que l’anglais ou l’espagnol). Cette limitation peut facilement engendrer

54 La nouvelle réforme de 2015 établit l’introduction de la première langue dès le CP et de la deuxième langue à partir de la 5e (nous développerons plus longuement cette réforme dans le chapitre 6).

55 Cette diversité est relative étant donné que l’Institution impose souvent les langues proposées aux élèves. Toutefois, on considère que l’offre linguistique s’est diversifiée dans le temps : on passe de l’EA d’une langue (souvent l’anglais) au début du XXe siècle, pour ensuite s’étendre à deux langues (anglais-allemand ou anglais- espagnol) à partir du milieu du XXe siècle, et actuellement cette offre est bien plus large (avec par exemple l’italien, le portugais, le chinois et l’arabe).

31 une dépréciation des langues les moins enseignées puisque comme le soulignent Camilleri Grima, Candelier et Fitzpatrick (2003 : 24) « chacun est enclin à penser que si ces langues sont absentes des cursus, c’est qu’elles-mêmes et la culture qu’elles portent ne justifient pas qu’on les y intègre ». Ainsi, l’offre linguistique peu diversifiée laisse apparaitre des disparités selon les langues, donnant à certaines d’entre elle un statut de quasi-monopole. Cette situation s’expliquerait notamment pour des raisons économiques puisque les pouvoirs publics financent l’EA de deux LV uniquement (« si l’individu veut en apprendre davantage, on renvoie aux cours proposés par “le marché” » selon Camilleri Grima & al, 2003 : 50).

Par ailleurs, une recherche menée à l’INRP56 (Audin, 2004 : 65 et 69) sur l’introduction d’une LVE en cycle 3 a mis en lumière certains facteurs négatifs qui pèsent sur ce type d’apprentissage tel que la durée limitée de l’exposition à la LVE, le manque d’implication des apprenants, ou encore un développement de compétences linguistiques réduit à des juxtapositions et des répétitions. Les apprenants ont recours à des mots (noms, adjectifs), qui peuvent être regroupés par rubriques (telles que les couleurs, les animaux ou la nourriture)57, et qu’ils ont appris dans le cadre de situations de classes ritualisées (donner son âge, sa nationalité). En somme les élèves apprennent des énoncés fixes propres à une situation de communication précise (voir Audin, 2004 : 69) et ne s’approprient donc que partiellement la nouvelle langue.

a) Le tout anglais-langue-de-communication58

Si l’anglais est aujourd’hui présent de manière dominante dans notre système éducatif, cela s’explique notamment par :

- une limitation de l’offre linguistique à deux ou trois langues dominantes ; - des politiques linguistiques en faveur de l’anglais et de l’allemand ; - une volonté de continuité entre enseignement primaire et secondaire ; - une forte pression de la demande parentale59.

Ainsi sur les 99,7 % d’élèves du secondaire qui apprennent une LV1, l’anglais est choisi par 95 % des élèves, suivi par l’allemand (6,8 %), l’espagnol (2 %), l’italien (0,3 %). En 2010, 78,4 % des élèves du secondaire apprennent une LV2 et les langues les plus choisies sont : l’espagnol (70,2 %), l’allemand (14,8 %), l’anglais (7,8 %), l’italien (6 %) (selon les données d’Escudé, 2013d : 75).

b) Le plurilinguisme contre le tout anglais-langue-de-communication

Une solution envisageable contre les dérives associées au tout-anglais-langue-de- communication et en adéquation avec la tendance actuelle serait le plurilinguisme. Ce concept est défini par le CECRL (2001 : 11) de la manière suivante :

56 INRP : Institut National de Recherche Pédagogique.

57 On notera notamment ces rubriques dans les pratiques déclarées des élèves de notre étude de cas.

58 Expression empruntée à Pierre Escudé (2013d : 48) dans « Quelles orientations de politique des langues ? Regards historiques et textes officiels ».

32 « On distingue le “plurilinguisme” du “multilinguisme” qui est la connaissance d’un certain nombre de langues ou la coexistence de langues différentes dans une société donnée. On peut arriver au multilinguisme simplement en diversifiant l’offre de langues dans une école ou un système éducatif donné, ou en encourageant les élèves à étudier plus d’une langue étrangère, ou en réduisant la place dominante de l’anglais dans la communication internationale. Bien au-delà, l’approche plurilingue met l’accent sur le fait que, au fur et à mesure que l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel s’étend de la langue familiale à celle du groupe social puis à celle d’autres groupes (que ce soit par apprentissage scolaire ou sur le tas), il/elle ne classe pas ces langues et ces cultures dans des compartiments séparés, mais construit plutôt une compétence communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent. Dans des situations différentes, un locuteur peut faire appel avec souplesse aux différentes parties de cette compétence pour entrer efficacement en communication avec un interlocuteur donné. Des partenaires peuvent, par exemple, passer d’une langue ou d’un dialecte à l’autre, chacun exploitant la capacité de l’un et de l’autre pour s’exprimer dans une langue et comprendre l’autre. D’aucun peut faire appel à sa connaissance de différentes langues pour comprendre un texte écrit, voire oral, dans une langue a priori “inconnue”, en reconnaissant des mots déguisés mais appartenant à un stock international commun. Ceux qui ont une connaissance, même faible, peuvent aider ceux qui n’en ont aucune à communiquer par la médiation entre individus qui n’ont aucune langue en commun. En l’absence d’un médiateur, ces personnes peuvent toutefois parvenir à un certain niveau de communication en mettant en jeu tout leur outillage langagier, en essayant des expressions possibles en différents dialectes ou langues, en exploitant le paralinguistique (mimique, geste, mime) et en simplifiant radicalement leur usage de la langue. »

En somme, le CECRL encourage le développement du plurilinguisme en promouvant davantage de langues ou en réduisant la part de l’anglais.

Par ailleurs, selon Escudé et Janin (2010 : 11) : « Le plurilinguisme constitue le répertoire de langues utilisées par un individu (…) Ce répertorie englobe la variété de langue considérée comme “langue maternelle” ou “langue première”60, ainsi que toute langue ou variété de langue, dont le nombre peut être illimité. »

Pour notre part, on envisage le plurilinguisme comme la compétence à gérer plusieurs langues. Ainsi les individus plurilingues possèdent un répertoire linguistique varié et peuvent solliciter une ou plusieurs langues selon leurs besoins de communication. Bien entendu, le développement de cette compétence plurilingue nécessiterait des moyens spécifiques mis à sa

60 De Pietro (2001 : 6-8) différencie la langue maternelle de la langue première en rappelant que la LM correspond à la langue « dans laquelle (…) [l’enfant] a établi ses premiers liens affectifs, dans laquelle il a construit ses premières expériences du monde environnant ». C’est également la « langue de la mère et de la première socialisation, langue de la vie familiale, langue acquise naturellement et — pour ce qui est de l’oral — dont on présuppose la maitrise au moment des apprentissages scolaires, langue territoriale (…), langue de l’enseignement ». Toutefois, cet auteur préfère la dénomination « langue première » qui désignerait davantage « la langue de scolarisation, quelles que soient les pratiques familiales ou extrascolaires » malgré « qu’elle n’exprime guère (…) les liens affectifs que les locuteurs vivant en milieu francophone peuvent entretenir avec leur langue ». Au-delà, De Pietro mentionne l’avantage de la notion « langue première » à ne comporter que peu de connotations. Dans le cadre de ce travail, nous avons choisi d’employer les concepts de « langue maternelle » et de « langue première » de manière indifférenciée. De fait, l’objet de notre étude n’est pas d’analyser les conditions (contexte d’apprentissage des langues, ordre d’apprentissage des langues ou encore le niveau de compétences linguistiques) dans lesquelles les élèves ont développé leur répertoire linguistique or domaine

scolaire. Ce qui ne nous empêchera pas de dresser la liste des langues appartenant à leur bagage linguistique,

tout en gardant comme fil d’Ariane nos préoccupations sur le contact de ces langues dans la classe, ce qu’il occasionne et/ou comment le didactiser.

33 disposition. Dans cette perspective, et dans le cadre de notre recherche, on considère que la didactisation du contact des langues pourrait être un élément favorisant le développement de cette compétence plurilingue.

Toutefois, il faudra au préalable déterminer quel type de plurilinguisme est en jeu. Ainsi Boyer (1997 : 13) prend en compte des paramètres tels que le nombre de langues en présence, l’espace de communication propre, le fonctionnement social ou bien le statut officiel qui donne au plurilinguisme des dimensions particulières. Selon Lüdi et Py (2003 : 5), on peut répartir le plurilinguisme en trois types :

- le plurilinguisme territorial61 où au moins deux langues sont parlées sur « un seul et même territoire, caractérisé par une certaine unité politico-géographique » ;

- le plurilinguisme individuel où « un seul et même individu » maitrise au moins deux langues ;

- le plurilinguisme institutionnel où l’administration (d’une ville, d’un département ou encore d’une région) offre ses services dans au moins deux langues. Ainsi, Boyer (1997 : 13) souligne que l’institutionnalisation du plurilinguisme entraine une répartition des langues entre « langue(s) officielle(s) » et « langue(s) nationale(s) ». Ces langues institutionnalisées font bien entendu partie du paysage scolaire et l’on parle alors d’école plurilingue. En ce sens, une école plurilingue ne limiterait pas uniquement à une école où l’on apprend les langues, mais s’étendrait plutôt à une école où l’EA passerait par les langues. Dans cette perspective, Leralu (2006 : 94) nous parle d’une école fondée sur les langues : « celles qu’elle a choisies, celles des familles, celles de l’environnement social ». Cet auteur précise également qu’une telle école « organise ses espaces et non son temps en fonction des langues dont la place, ni accessoire ni prioritaire, est tout simplement le ciment de la vie scolaire » (Leralu, 2006 : 94).

En ce sens Gajo (2013 : 59) admet que :

« L’existence d’une telle école fait éclater les normes, les conventions et les modalités d’enseignement classiques ; celles-ci doivent être repensées pour favoriser le plurilinguisme. On envisage alors la didactique du plurilinguisme du point de vue de l’apprentissage, d’une part, et l’enseignement, de l’autre :

- dans cette perspective, apprendre des langues reviendrait non pas à acquérir un répertoire stable dans une deuxième langue, mais à construire un répertoire plurilingue et développer des ressources en lien avec cette construction ;

- enseigner des langues, pour sa part, signifierait non pas viser l’enseignement isolé d’une seule langue, mais stimuler la construction du plurilinguisme et s’appuyer sur les ressources plurilingues en construction. »

On s’entendra alors sur le fait que la didactique du plurilinguisme nécessite une réflexion complexe et des outils spécifiques afin de la mettre en œuvre. Cette réflexion a, entre autres, mené au projet de Cadre de Référence pour les Approches Plurielles des Langues et des Cultures (CARAP) et aux quatre approches plurielles.

61 Remarquons que l’expression « plurilinguisme territorial » a de nombreuses significations puisqu’elle peut désigner d’une part une situation où chaque langue est parlée dans une zone géographique bien délimitée, par exemple le français (en France métropolitaine) et le corse (collectivité territoriale française) ; d’autre part une situation où au moins deux langues sont parlées dans une seule et même zone géographique par des groupes de « locuteurs qui peuvent partiellement se chevaucher » (Lüdi & Py, 2003 : 3) : c’est notamment le cas du français et de l’occitan dans l’académie de Toulouse.

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