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PARTIE I : Cadre théorique

1.2 Les langues vivantes étrangères en France

1.2.1 Les étapes d’enseignement des langues étrangères selon les méthodologies

Le premier texte qui fait allusion aux LVE date de 1838, mais l’intégration des LVE ne se fait réellement qu’en 1852 avec une épreuve obligatoire au baccalauréat de sciences, et 1863 pour celui de lettres. Toutefois, il faut attendre 1880 pour que l’enseignement d’une LVE devienne obligatoire de la sixième à la Terminale (voir Escudé, 2013d : 59-60).

a) Début du XXe siècle : méthodologie directe

Selon Puren (1988 : 94), la méthodologie directe est une méthodologie officiellement imposée dans l’enseignement secondaire français par les instructions de 1901 (circulaire du 15 novembre relative à l’enseignement des langues vivantes et instructions annexes), 1902 (arrêté du 31 mai concernant dans les lycées et collèges de garçons) et décembre 1908 (cette dernière n’a jamais été publiée). Puren (1988 : 95) précise également que cette méthodologie directe ne doit pas s’entendre comme une immersion totale. En ce sens, l’apprentissage de la nouvelle langue passe par l’intermédiaire du français ou bien l’apprentissage de l’oral par l’écrit. Cet auteur nous donne également comme grands principes de cette méthodologie (Puren, 1988 : 112) :

25 - les méthodes directes et intuitives avec l’accès au sens par la mise en relation des sons avec les objets, les gestes et les expressions ;

- la méthode orale qui considère l’audio-orale comme « seule réalité linguistique » ; - la méthode active qui consiste à « apprendre à parler en parlant » ;

- la méthode imitative sur le principe « d’apprendre en imitant les sons » ;

- la méthode répétitive axée sur l’audition et le réemploi permanents et intensifs.

Malheureusement, cette méthodologie qui s’impose en ce début de XXe siècle va rapidement être abandonnée – notamment à cause de la Première Guerre mondiale qui entraine, entre autres, une dégradation des conditions de travail des professeurs de LVE – laissant place à la méthodologie active (voir Puren, 1988 : 218).

b) 1925-1969 : méthodologie active45

Ainsi l’évolution du contexte économique et social (échanges économiques ou encore développement du tourisme) donne lieu à de nouveaux besoins linguistiques dits « pratiques ». On passe alors de l’enseignement des LVE comme « instrument de culture littéraire ou de gymnastique intellectuelle » (Puren, 1988 : 97) à un « outil » ou « instrument de communication » (Puren 1988 : 97 et 98).

C’est dans ce contexte que les premières tentatives d’introduction d’une LVE relèvent d’un projet politique de « meilleure compréhension entre les peuples » (Ottavi, 2010 : 2), et dans cette perspective on voit naitre les premiers projets de bilinguisme précoce français- anglais en 1951 (voir Ottavi, 2010 : 2-3). Toutefois, ces projets font face à de vives critiques qui dénoncent notamment « la mainmise de l’anglais et la surcharge cognitive supposée pour des élèves suivant des programmes considérés comme déjà lourds » (Ottavi, 2010 : 3).

On relèvera aussi que, dans les années 1950, l’analyse contrastive est au centre des recherches sur l’apprentissage et l’enseignement des langues, juste avant la période où l’on situe généralement la naissance du domaine « linguistique de l’acquisition ». Ainsi, Matthey (2003 : 15) rappelle que cette analyse contrastive se développe dans le « béhaviorisme ambiant, théorie dominante des processus d’apprentissage de cette époque ». Il continue en soulignant le « rôle de la langue source dans l’appropriation de la langue cible » et postule que cette appropriation est avant tout un « transfert des habitudes prises dans la première. » On note ici une volonté de rapprocher les langues entre elles, de les comparer et peut-être les prémisses de la didactique intégrée des langues46.

Par ailleurs, c’est également à cette période que Gougenheim et Rivenc – entre autres – élaborent « à partir d’une analyse de la langue parlée une gradation lexicale et grammaticale méthodique qui puisse favoriser la diffusion du français en facilitant son apprentissage » (Puren, 1988 : 309). Concrètement, on leur demande de réduire le vocabulaire français à une liste de « français fondamental ». Les résultats de cette étude lexicale ont ensuite été publiés en deux listes (un Français fondamental Premier degré de 1475 mots en 1954, puis un

45 Méthodologie préconisée par les instructions officielles des 2 septembre 1925, 30 septembre 1938 et 1er décembre 1950, et d’usage général dans l’enseignement scolaire français des LVE depuis les années 1920 jusqu’aux années 1960 (voir Puren, 1988 : 212).

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Français fondamental Second degré de 1609 mots)47 qui, elles-mêmes, ont été utilisées par les concepteurs de nombreux cours, et notamment dans l’élaboration du premier cours audiovisuel de Français Langue Étrangère (FLE). Ce dernier ayant également servi de modèle à d’autres cours, tant en enseignement du FLE qu’en enseignement des LVE en France (voir Puren, 1988 : 309). De là naissent les méthodes audiovisuelles.

c) 1963-1973 : méthodes audiovisuelles

Puren (1988 : 284) définit les méthodes audiovisuelles (ou la méthodologie audiovisuelle48) comme la « méthodologie dominante en France dans les années 1960 et 1970, et dont la cohérence est construite autour de l’utilisation conjointe de l’image et du son ».

C’est dans cette perspective de changement de l’environnement culturel que s’inscrivent les instructions officielles de 1972 qui, contrairement à celles de 1923 et de 1938, se focalisent davantage sur l’aspect oral et communicationnel de la langue française en rappelant que « l’un des objectifs premiers de l’enseignement du français à l’école élémentaire est d’aider les élèves à se rendre progressivement capables de former et d’exprimer oralement une pensée qui s’affirme et s’affine ». Par ailleurs, ces instructions mettent également l’accent sur les méthodes audiovisuelles puisqu’elles mentionnent la « fascination qu’exercent sur lui [l’écolier d’aujourd’hui] cinéma, radio, télévision, disque, publicité, bandes dessinées » en préconisant le recours à « ces moyens de communication », tout en rappelant de prévenir les élèves sur les potentielles « agressions auxquelles ces nouveaux moyens les exposent ». Ainsi il semblerait que ces nouvelles méthodes suscitent l’intérêt jusqu’au niveau national, toutefois, leur caractère innovant fait peur, notamment dans les dérives qu’elles pourraient occasionner.

Au cours de cette même période, au niveau gouvernemental, René Haby, alors responsable administratif au ministère de l’Éducation, décide en 1964 de lancer une expérience présecondaire de l’anglais dans les classes primaires, à l’échelon national. En 1965, près de 25 000 élèves du primaire bénéficient d’un enseignement précoce de LVE d’anglais ou d’allemand notamment et, en 1973, ils seront plus de 75 000 (voir Escudé, 2013d : 64). Pourtant, une circulaire en date du 11 mai 1973 met fin à ce qui est considéré comme « une forme non maitrisée et anarchique du développement de l’enseignement précoce, en particulier en matière de bilinguisme franco-allemand » (Ottavi, 2010 : 2-3).

d) 1975 : Publication de la première spécification du « Threshold Level »

Dans les années 1970, on ressent la volonté de créer un système européen commun concernant les langues dans l’éducation des adultes. De cette volonté nait un modèle de

47 Ces deux listes visaient d’une part l’enseignement scolaire (pratique et culturel), d’autre part la diffusion, dans de jeunes états indépendants, d’une langue donnée choisie comme langue nationale ou langue étrangère privilégiée, et enfin les besoins du voyageur, du touriste, du stagiaire étranger, de l’étranger venu travailler dans un autre pays (d’après Gougenheim & al., 1967).

48 Puren rappelle que la différence terminologique entre « méthode » et « méthodologie » reste sujette à controverse parmi les experts. Ainsi, tout comme cet auteur, nous avons décidé de ne pas prendre parti à ce débat et d’utiliser de manière indifférenciée ces deux termes.

27 spécification des objectifs qui a servi de base pour l’anglais dans The Threshold Level, et qui décrit ce qu’un apprenant doit être capable de faire de façon autonome (connaissances et compétences) lorsqu’il utilise une LVE. La spécification initiale du Threshold Level pour l’anglais et celle qui a été élaborée pour le français (un Niveau Seuil) ont servi de modèles de base, pour ensuite être adaptés à une trentaine de langues et se caractérisent par un changement d’objectif : on privilégie désormais les compétences de communication par rapport aux compétences linguistiques (voir Maurer, 2011 : 12-13).

Notons toutefois que cette approche cloisonne encore et toujours les disciplines ; bien que comme le mentionne Roulet (1980 : 18) ce cloisonnement est « artificiel », compte tenu du fait que les disciplines linguistiques sont apparentées « ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’apprentissage de langue »49. D’autant plus que comme le rappelle Bally (1930), « c’est en cultivant à fond les ressources et les ressorts de la langue maternelle qu’on pourrait le mieux préparer l’apprentissage des autres idiomes ; ceux-ci devraient bénéficier des notions générales que l’idiome natal permet seul d’approfondir ». Précurseur pour son époque, Bally semblait déjà envisager d’utiliser le répertoire linguistique (ici le français LM) des élèves afin de favoriser les apprentissages en général.

Presque un siècle plus tard, et compte tenu du contexte plurilingue et pluriculturel de notre société contemporaine, on étend ce patrimoine linguistique à toutes les langues que possèdent les élèves dans leur répertoire, et ce dans une perspective de didactisation du contact des langues50. Bien entendu, le système éducatif est passé (et passe encore actuellement) par plusieurs étapes afin de s’affranchir du modèle monolingue, toujours fortement ancré dans les pratiques enseignantes51. On commence à noter ce passage du paradigme monolingue à plurilingue dans les années 198052.

e) 1980-1990 : apprentissage-enseignement des langues vivantes à des fins de communication

Dans les années 1980 voit le jour la réforme des curricula, des méthodes d’enseignement et d’évaluation, et encadrée par la recommandation du CECRL (2001 : 10) ainsi rédigée :

« Le riche patrimoine que représente la diversité linguistique et culturelle en Europe constitue une ressource commune précieuse qu’il convient de sauvegarder et de développer et que des efforts considérables s’imposent dans le domaine de l’éducation afin que cette diversité, au lieu d’être un obstacle à la communication, devienne une source d’enrichissement et de compréhension réciproques. » L’un des objectifs institutionnels était d’assurer l’enseignement des LVE par les professeurs des écoles comme tous les autres enseignements, favorisant ainsi les décloisonnements disciplinaires (voir Ducancel & Simon, 2004 : 5).

49 On pourrait également étendre ce cloisonnement artificiel à n’importe quel enseignement scolaire, si l'on prend en considération les dimensions linguistiques présentes dans toutes les matières.

50 Cela sera d’autant plus vrai dans notre étude de cas qui laissera apparaitre un nombre considérable de langues présentes dans le répertoire des élèves.

51 Ce constat se vérifiera notamment dans notre étude de cas.

28 La décade 1980-1990 permet aussi une innovation très importante qualitativement avec, à la suite des « sections internationales » (1981, du primaire au lycée) l’ouverture de nombreuses « sections européennes » (1992) qui permettent une méthodologie de l’intégration des langues et des disciplines scolaires (notamment l’histoire et la géographie). Cette méthodologie de l’EMILE53 rassemble près de 5 % du nombre total des élèves de second cycle. Enfin, notons que les « sections européennes et régionales » sont plus répandues que les « sections internationales » : en 2008, respectivement 94 % et 6 % des sections « linguistiques » de l’Éducation nationale (voir Escudé, 2013d : 61-62).

f) 1989-1997 : Participation de nouveaux États membres aux projets

intergouvernementaux

Cette période se caractérise par une augmentation rapide du nombre d’États membres du Conseil de l’Europe – notamment des États de l’Europe centrale et orientale. La participation de ces nouveaux États enrichit alors les projets intergouvernementaux tels que les technologies de l’information et de la communication, l’enseignement bilingue ou encore les modèles de spécification d’objectifs.

g) 1997-2001 : politiques linguistiques pour une Europe multilingue et multiculturelle

La ratification par la France en 1999 de la Charte des langues minoritaires a eu pour conséquence la décision du ministre Jack Lang de lancer, en 2001, le Plan langues vivantes qui prévoit la généralisation de l’enseignement précoce de celles-ci. Il prévoit notamment la promotion de l’enseignement bilingue français-langue régionale, tout comme il regroupe sous l’appellation « langues vivante » l’ensemble des langues – qu’elles soient régionales ou étrangères (voir Ottavi, 2010 : 21). Ce plan vise à promouvoir le plurilinguisme et le pluriculturalisme tout comme il sensibilise le public aux liens qu’entretiennent les langues l’identité européenne. Il s’est notamment concrétisé par la préparation de l’Année européenne des langues 2001, le lancement officiel du CECRL pour les langues et du Portfolio européen des langues. Malgré tout, et comme le rappelle, entre autres, Candelier (Candelier & al., 2012 : 6), « ces deux documents [CECRL et Portfolio] continuent de traiter la pluralité des langues comme une juxtaposition de langues et la compétence plurilingue comme la somme de compétences dans chacune des langues considérées ».

h) 2002 : officialisation des langues étrangères dans les programmes d’éducation primaire

L’année 2002 marque l’inscription officielle des LVER dans le cursus des programmes de l’école élémentaire (BO de l’Éducation nationale, hors-série n° 1, 14 février 2002). Ainsi, et comme le mentionne Simon (2006 : 11-12) :

29 « Cette officialisation rompt avec une longue période pendant laquelle les LVE étaient proposées selon le volontariat mais pas obligatoires (1989-1998) ou encore généralisées (à partir de 1998) sans que cette généralisation ne légitime les LV comme discipline ni n’assoie leur place au sein d’un ensemble de composantes du cursus à l’école primaire. »

Par ailleurs, on passe ici d’une vision des langues comme des objets d’apprentissage à celle de sujets : autrement dit, on apprend une langue et on apprend en langue par le biais des DdNL enseignées en langue cible.

i) La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013

Un autre changement est à souligner avec la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 qui prévoit désormais l’introduction d’une LVE dès le début de la scolarité obligatoire, et qui propose pour la première fois d’initier les élèves à la diversité linguistique, notamment par le biais des langues familiales (article L. 312-9-2).

En somme, les pouvoirs publics sont perpétuellement en train de changer les méthodes d’enseignement des LVE. Encore récemment une nouvelle réforme (2015) a vu le jour et a commencé à entrer en vigueur en septembre 2016. Cependant, notre recueil de données d’analyse ayant eu lieu en juin 2016, celle-ci n’est pas entrée en ligne de compte dans le contexte de l’étude de cas. C’est pourquoi nous ne la développerons pas avant la fin de cette recherche dans le cadre des pistes.

Par ailleurs, même si les politiques linguistiques changent très rapidement, il n’en va pas de même pour la formation des professeurs qui doivent s’adapter tant bien que mal.

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