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Le salaire minimum au Canada : outil de redistribution?

ARTICLE 1 : Efficacité fiscale du salaire minimum : politique de bien-être collectif ou

1.3 Le salaire minimum au Canada : outil de redistribution?

L’analyse du salaire minimum est l’un des sujets ayant le plus retenu l’attention des chercheurs en économie dans les dernières décennies21. Malgré cela, les économistes ne s’entendent toujours pas sur son impact sur la pauvreté et l’emploi. Cette section décrit la distribution du salaire minimum dans la population canadienne et montre que son impact sur la redistribution des revenus est limité.

S’agissant de son impact sur la pauvreté, il ressort de la plupart des travaux qu’il est ambigu. D’abord, lorsqu’on considère les ménages pauvres, on remarque que plusieurs reçoivent un salaire qui est souvent supérieur au salaire minimum, ou alors que certains membres du ménage ne reçoivent aucun salaire, ou même encore, travaillent uniquement à

21 Schmitt, J., 2013, “Why Does the Minimum Wage Have no Discernible Effect on Employment,” Center for Economic and Policy Research, archivé à https://perma.cc/Q7W4-3CNW (page consultée le 20 janvier 2015).

37 temps partiel. Ensuite, une proportion importante des personnes travaillant au salaire minimum ne sont pas pauvres : soit parce qu’il s’agit de jeunes vivant sous le toit de leurs parents, soit parce que l’emploi payé au salaire minimum est simplement un travail d’appoint ou un emploi occupé à titre occasionnel, le temps d’opérer une transition vers un autre emploi mieux rémunéré22.

En 2014, le Comité consultatif sur l’établissement du salaire minimum en Ontario soulignait que :

« Seulement environ 12,5 % des travailleurs rémunérés au salaire minimum faisaient partie de ménages pauvres en 2011, selon la mesure de faible revenu (MFR) de Statistique Canada. L'immense majorité (87,5 %) des travailleurs faisaient partie de ménages dont les revenus étaient supérieurs à la MFR. »23

Au Québec, Cousineau (2010) a mené une étude analysant l’effet du salaire minimum sur les taux de pauvreté. Il arrive à la conclusion :

« (…) que le salaire minimum ne contribue pas à réduire la pauvreté́ dans l’ensemble des familles et dans la population en général. Cela peut s’avérer compréhensible parce que la plupart des personnes et des familles qui souffrent de la pauvreté́ sont sans emploi, qu’une portion significative des personnes au salaire minimum ne fait pas partie des familles à faible revenu et qu’une hausse du salaire

22 Voir les études suivantes :

Pour les Etats-Unis, Burkhauser, R. V. et T. A. Finegan, 1989, « The minimum wage and the poor: The end

of a relationship ». Journal of Policy Analysis and Management, Vol. 8, No. 1, pp. 53-71.; Card et Kruger, 1995; Neumark, D. et W. Wascher, 2002, « Do minimum wages fight poverty? » Economic Inquiry, Vol. 40, No. 3, pp. 315-333; Neumark, D., M. Schweitzer et W. Wascher, 2005, « The effects of minimum wages on the distribution of family incomes: A non-parametric analysis ». Journal of Human Resources, Vol. 40, pp. 867-894; Burkhauser, R. V. et J. Sabia, 2004, « Why raising the minimum wage is a poor way to help the working poor: An analysis of Senators Kerry and Kennedy's minimum wage proposal ». Washington : Employment Policies Institute.

Pour le Canada, Shannon, M. T. et C. M. Beach, 1995, « Distributional employment effects of Ontario

minimum-wage proposals: A microdata approach ». Analyse de politiques, Vol. 21, No. 3, pp. 284-303.; Goldberg, M. A. et D. Green, 1999, « Raising the floor: The social and economic benefit of minimum wage in Canada ». Centre canadien des politiques alternatives; Campolieti, M., M. Gunderson et B. Lee, 2012, « The (Non)impact of minimum wage on poverty ».Journal of Labor Research, Vol. 33, No. 3, pp. 287-302.. 23 Comité consultatif sur l’établissement du salaire minimum, 2014, Rapport et recommandations au ministre

38 minimum peut conduire à une baisse des heures travaillées ou à des pertes d’emploi pour certaines catégories de main-d’œuvre. »24

S’agissant de l’impact du salaire minimum sur l’emploi, la théorie économique de base soutient que la fixation d’un salaire minimum, si ce dernier est au-dessus du salaire d’équilibre sur un marché concurrentiel, entraîne une baisse de la demande de travail pour les employés à bas salaires. En effet, le coût du travail étant devenu plus cher pour cette catégorie d’employés, les entreprises diminuent leur production ou alors cherchent des substituts moins coûteux pour remplacer le travail (Benjamin et al., 2012). Quelques économistes soulignent cependant que l’effet sur l’emploi ne sera pas forcément négatif. Spécifiquement, en présence de monopsone (une seule entreprise demande la main-d’œuvre face à une multitude de travailleurs), ils anticipent que le salaire minimum aura un impact positif sur l’emploi25.

Les économistes montrent également que, même si l’emploi lui-même ne baisse pas en réponse à une augmentation du salaire minimum, certaines de ses composantes sont souvent modifiées. Les entreprises limitent l’embauche de nouveaux travailleurs et le roulement de personnel baisse. La flexibilité du marché du travail est réduite, augmentant ainsi la vulnérabilité aux chocs asymétriques. Les employeurs peuvent également décider, pour compenser la hausse de salaire, d’agir sur les coûts de main-d'œuvre non liés au salaire, en réduisant les avantages sociaux, en coupant dans les programmes de formation ou en réduisant les heures travaillées (Schmitt, 2013).

Selon des auteurs (Dolado et al. (2000); Rizov et Croucher (2011); Reich (2012)), l’augmentation du salaire minimum peut entraîner également l’augmentation de la productivité, sous la pression des employeurs (qui apportent des changements dans le mode de gestion ou dans l’organisation de l’entreprise), ou alors sous l’initiative personnelle des

24 Cousineau, J.-M., 2010, « L’effet du salaire minimum sur les taux de pauvreté́ au Québec: une étude économétrique », Regards sur le travail, Vol. 7, No. 1. Automne.

25 Dolado, J., F. Kramarz, S. Machin, A. Manning, D. Margolis and C. Teulings, 1996, « The economic impact of minimum wages in Europe », Economic Policy, Vol. 23, pp. 317-372.

Green, D. A., 2014, « What Is a Minimum Wage For? Empirical Results and Theories of Justice ». Canadian

39 employés qui, bénéficiant d’un salaire plus élevé, décident d’augmenter leur productivité. Cet effet est compatible avec la théorie du salaire d’efficience qui soutient qu’il peut être dans l’intérêt des employeurs de verser des salaires élevés aux employés dans le but d’augmenter leur efficacité.

Dans les études portant sur le Canada, les chercheurs trouvent généralement que l'augmentation du salaire minimum a un impact négatif sur l'emploi, en particulier chez les jeunes travailleurs. L’effet semble avoir empiré avec le temps, du moins pour une catégorie de travailleurs. En effet, les études réalisées dans les années 1980 montraient qu’une augmentation de 10% du salaire minimum conduisait à une baisse de 1 à 3% de l’emploi26. Des études menées plus récemment tendent à montrer que l’emploi chez les jeunes et les adolescents diminue de 3 à 6 % lorsque le salaire minimum augmente de 10 %27.

Les jeunes et les adolescents souffriraient davantage de l’effet négatif du salaire minimum sur l’emploi essentiellement parce que, lorsque le coût du travail augmente du fait de l’augmentation du salaire minimum, les employeurs deviennent plus attentifs à des qualités additionnelles comme le sérieux, l’expérience, ou même la stabilité. Ces qualités sont relativement plus présentes chez des travailleurs plus âgés. Fang et Gunderson (2009) remarquent à cet effet que les hausses du salaire minimum au Canada avaient des effets favorables sur l'emploi des travailleurs plus âgés.

26 Swidinsky, R.,1980, « Minimum wages and teenage unemployment ». Revue canadienne d'économique, 13(1), p. 158 à 171; Schaafsma, J. et W. D. Walsh, 1983, « Employment and labour supply effects of the minimum wage: some pooled time-series estimates form Canadian provincial data ». Revue canadienne

d'économique, Vol. 16, No. 1, pp. 86-97.

27 Baker, B. et al., 1999, « The highs and lows of the minimum wage effect: a time-series cross-section study of the Canadian law ». Journal of Labor Economics, Vol. 17, pp. 318-350; Yeun, T., 2003, « The effect of minimum wages on youth employment in Canada: A panel study ». Journal of Human Resources, Vol. 38, pp. 647-672; Baker, 2005, « Minimum wages and human capital investments of young workers: work related training and school enrolment ». Initiative de recherche sur les compétences de RHDCC-IC-CRSH, B-04, 2005; Campolieti, Fang et Gunderson, 2005, « How minimum wages affect schooling employment outcomes in Canada, 1993-1999 ». Journal of Labor Research, Vol. 26, No. 3, pp. 533-545; Campolieti, Gunderson et Riddell, 2006; « Minimum wage impacts from a pre-specified research design: Canada 1981-97 », Industrial

Relations, Vol. 45, pp. 195-216 ; Sen, Rybczynski et Van De Waal, 2011, « Teen employment, poverty, and

40 Le tableau ci-dessous résume les résultats de différentes études portant sur l’impact du salaire minimum sur l’emploi au Canada.

TABLEAU 1.1

Récapitulatif des résultats des études sur l'impact de la hausse du salaire minimum sur l'emploi au Canada

Auteurs et date de

publication Région et période couverte Méthode utilisée Population cible Élasticité(3) et autres impacts Swidinsky (1980) Le Canada et 5 régions (1956-1976)

Moindres carrés ordinaires (MCO) -

données de panel 15 à 19 ans Élasticité emploi H

1: -0,1

Élasticité emploi F2: -0,27 Schaafsma et Walsh

(1983) Canada (1975-1979) MCO - séries chronologiques 20-24 ans 15-19 ans F: -0,28; -0,21 M: -0,17; -0,2

Mercier (1987) Québec et Canada (1966-1986) Données d’enquête Élasticité de -0,1

Grenier et Seguin

(1991) Cinq régions canadiennes (1956-1988) MCO - séries chronologiques 15 - 19 ans 1956-1975 (H: -0,13 F: -0,45) 1976-1988 (non significatif)

Shannon et Beach (1995) Ontario - Canada (1989) microdonnées ventes au détail & alimentation -0,12 à -0,15 Femmes, jeunes et travailleurs à temps partiel plus affectés

Baker, Benjamin et

Stanger (1999) Neuf provinces canadiennes (1975-1993) Séries chronologiques, données transversales

-0,25 pour données à faible fréquence Faible effet sur emploi ou pas d'effet pour données à haute fréq.

Goldberg et Green

(1999) C.-B., Alberta, Ontario et Québec (1968-1997)

15-19 ans 20-24 ans 25-54 ans H: -0,14 F: -0,16 H: -0,096 F: 0,02 H: -0,01 F: -0,09 Ministère des Finances du Québec

(2002) Québec (1981-2000) MCO - séries chronologiques

15-19 ans 20-24 ans 25-54 ans

H: -0,193 F: -0,275 H: -0,062 F: -0,05 H: non signif. F:non signif.

Yuen (2003) Canada (1988-1990) MCO - données de panel avec effet fixe 16-19 ans 20-24 ans

Hétérogénéité dans les données Adolescents -0,83 moins de chance d'être embauchés Ensemble des jeunes; pas d'effet

Baker (2005) Les provinces canadiennes (1983-2000)

MCO - nature longitudinale de

certaines enquêtes 15-19 ans 20-24 ans -0,57 avec tendance quadratique -0,17 avec tendance quadratique

Campolieti, Fang et

Gunderson (2005) Canada (1993-1999)

Méthode de probabilité pour pop. à risque - données

d'enquête 15 - 24 ans Élasticité emploi de -0,4 (éventail allant de -0,3 à -0,5)

Fand et Gunderson

(2009) Canada (1993-1999)

Méthode de probabilité pour pop. à risque - données

d'enquête 50 ans et plus Élasticité de 0,042

Brochu et Green

(2013) Canada (1999 à 2008) MCO - séries chronologiques

15-19 ans 20-24 ans 25-59 ans

En général, une augmentation du salaire minimum de 10% réduit les mises à pieds de 4,3%

(1) H étant pour Hommes. (2) F étant pour Femmes.

41 Les données de Statistique Canada montrent qu’entre 1997 et 2013, la proportion de travailleurs payés au salaire minimum est passée de 5,0 % à 6,7 %. Garlarneau et Fectau (2014) mettent en garde d’assimiler automatiquement cette augmentation à un accroissement de la proportion des emplois peu rémunérés. Une partie de l’augmentation s’expliquerait en effet par le fait que le salaire minimum a augmenté plus vite que certains salaires autrefois situés juste au-dessus du salaire minimum, si bien qu’il les aurait rattrapés. Si on représente la distribution de salaire sur un graphique, on observerait donc un pic au niveau du salaire minimum, étant donné la concentration de salariés dans cette zone.

Au Canada, le salaire horaire minimum en 2011 était en moyenne d’environ 9 dollars, le montant exact fluctuant d’une province à l’autre (contrairement aux États-Unis, il n’existe pas au Canada de salaire minimum fédéral). En utilisant les données de l’enquête sur la population active (EPA), qui est menée auprès de 52 000 individus dans les provinces et territoires, et en représentant un histogramme des salaires horaires versés, on constate effectivement que le pic de la distribution est au niveau du salaire minimum (nous prenons soin d’ajouter ici une ligne verticale en pointillés au niveau du salaire minimum).

42 GRAPHIQUE 1.2

Distribution des salaires au Canada en février 2011

Source : Enquête sur la population active (EPA) – février 2011

Le profil des personnes rémunérées au salaire minimum au Canada n’a pas beaucoup changé dans le temps. Les données de Statistique Canada entre 1997 et 2013 indiquent que les groupes de personnes ayant le plus de chance d’être rémunérées au salaire minimum sont restés les mêmes : les jeunes, les femmes et les personnes ayant un faible niveau de scolarité. En 2013, 50 % des employés âgés de 15 à 19 ans étaient rémunérés au salaire minimum, alors que ce taux était de 13 % pour les jeunes âgés de 20 à 24 ans. Pour ce qui est des femmes, ce taux était de 8 %, soit 2 points de pourcentage de plus que celui des hommes (6 %). Le taux pour les personnes faiblement scolarisées était 7 fois plus élevé que celui des personnes scolarisées (un taux de 20 % chez les personnes ne détenant pas de diplôme d’études secondaires, contre seulement 3 % chez celles possédant un diplôme universitaire).

43 Les employés occupant un emploi à temps partiel étaient également surreprésentés dans la population de personnes rémunérées au salaire minimum (22 %). Par ailleurs, le salaire minimum est concentré dans certains emplois : 17 % sont des emplois dans le secteur du commerce de détail et 27 % dans le secteur de l’hébergement et restauration.