• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5: Le réseau en amont du site

5.3. Le réseau commercial de Dunlop et sa logique

Maintenant que nous avons vu l’origine et la nature des transactions de certains produits échangés par Dunlop, nous pouvons établir la nature, les dynamiques et la logique soutenant son réseau commercial. Le point focal se retrouve à Montréal dans le Bas-Canada. Face à ce constat, il est pertinent de se demander pourquoi un marchand comme Dunlop a choisi de s’établir dans une colonie alors économiquement marginale plutôt que dans les Antilles par exemple. Or, si les colonies antillaises sont très riches, elles demeurent périphériques. Leur économie est limitée à l’exploitation de quelques produits rentables comme le sucre et le coton, sans possibilité d’expansion ou de diversification. Pour un marchand ambitieux, percer dans des colonies où le marché est déjà saturé et contrôlé n’offre que peu de perspectives. Le Bas-Canada, en revanche, est une colonie semi-périphérique où l’industrie primaire, la traite des fourrures, cède sa part face au marché croissant de divers produits comme le bois et le blé. Par sa taille, sa faible population et sa richesse en ressources, le Bas-Canada apparaît comme une terre vierge pleine d’opportunités pour qui sait les prendre. Cette capacité à saisir

l’initiative dans des domaines économiques encore émergents de la colonie est l’un des traits les plus caractéristiques de Dunlop. Son choix d’établir ses affaires à Montréal plutôt qu’à Québec suit cette logique, Montréal étant plus proche des ressources qu’il convoitait comme la potasse, le blé et le bois. Il était d’ailleurs connu pour passer la plus grande partie de son temps à arpenter le pays en quête de nouvelles sources plus rentables.

Si l’envoi de matières premières vers la métropole est l’activité que l’on s’attend à voir dans un modèle impérial mercantiliste, le réseau transatlantique de Dunlop possède aussi des caractéristiques particulières. Le plus flagrant est son choix de diriger ses affaires à partir de la colonie plutôt que de la métropole. Ainsi, dans un contexte où le commerce transatlantique est dominé par les marchands de la métropole avec des représentants dans les colonies, Dunlop fait le contraire, étant un marchand colonial avec des représentants dans la métropole. Ce positionnement lui permet de réagir rapidement dans ses affaires coloniales pour saisir les

meilleures occasions. S’il s’agit toujours de nourrir la métropole en ressources, Dunlop se met en position de monopoliser le commerce de Montréal à Glasgow plutôt que de se subordonner à la concurrence des négociants établis à Londres et à Liverpool.

Son principal lien avec la métropole est la ville de Glasgow, qui lui sert de point d’ancrage. Lui-même originaire de la ville, il peut compter sur des partenaires de longue date pour gérer ses affaires sur les lieux, notamment la firme Allan, Kerr & Company de Greenock, ses frères Alexandre et Robert, et son beau-frère Andrew McNair. Il leur confie la réception du bois, de la potasse et du blé canadiens, qu’ils revendent à des clients à l’intérieur du Royaume-Uni. Dans le cadre des guerres napoléoniennes et du développement industriel britannique, ces ressources sont d’une grande valeur. Le bois répond à un besoin croissant dans la construction navale, la potasse sert dans l’importante industrie textile et le blé nourrit la main-d’œuvre citadine en contexte de guerre. Inversement, ses agents de Glasgow acquièrent les produits manufacturés destinés au marché colonial. Les industries de Glasgow ravitaillent la colonie en divers produits, tandis que d’autres marchandises sont tirées du reste du Royaume-Uni,

notamment des ports de la côte ouest comme Liverpool. Les produits obtenus en Orient comme le thé et les épices sont obtenus de marchands londoniens ou de leurs intermédiaires tandis que les produits d’Europe continentale s’obtiennent en grande partie via la contrebande. Enfin, les agents de Dunlop à Glasgow acquièrent en grande quantité du rhum jamaïcain qui transite par la ville.

Les produits manufacturés importés par Dunlop et vendue dans la colonie sont peu rentables. Cependant, ces produits servent souvent de monnaie d’échange avec les fournisseurs de potasse, de bois et de céréales (MacMillan et Richardson 1983). L’inverse se produit aussi avec la potasse, qui sert aussi de monnaie d’échange pour obtenir de l’alcool ou des produits manufacturés en Écosse. Ainsi, l’une des stratégies commerciales de Dunlop est de tenter si possible d’acheter des produits avec ses propres marchandises plutôt que monétairement.

En plus de ses connexions avec la métropole, Dunlop est aussi un acteur du marché

intercolonial, ce qui se conforme à sa volonté de saisir l’initiative en contexte colonial plutôt que de se subordonner aux impératifs de la métropole. Il transige à la fois des produits manufacturés et des matières premières. Avec ses propres navires, il commerce directement

avec la Jamaïque à partir du Canada, envoyant du bois et du blé en échange de sucre, de rhum et de bois tropical. Il s’investit aussi dans le commerce avec le Haut-Canada et la Nouvelle- Écosse, qu’il approvisionne avec une large gamme d’items nécessaires au développement colonial, particulièrement dans le cas du Haut-Canada.

Au final, le succès des affaires de Dunlop relève d’une bonne connaissance des besoins en ressources de la Grande-Bretagne. Contrairement aux marchands de fourrures, qui répondent à une demande limitée, Dunlop choisit ses produits en sachant que la demande est élevée et ira en augmentant. Son produit phare, la potasse, révèle une fine compréhension du

développement industriel britannique. La potasse est en effet un élément important dans la création de savon et de teinture pour les textiles, la principale industrie britannique, alors en pleine expansion. La guerre avec la France, puis les États-Unis, oriente aussi ses choix vers la construction navale et l’approvisionnement de la métropole en denrées alimentaires. En assumant pleinement une perspective montréalaise sur l’Empire britannique, il commerce directement avec les autres colonies britanniques plutôt que de passer par la métropole. Ceci l’amène d’ailleurs à établir sa propre flotte marchande pour arriver à cet objectif.

Néanmoins, si Dunlop garde un attachement à sa ville natale, le choix de Glasgow comme point d’ancrage de ses échanges au Royaume-Uni n’est pas motivé par une forme de favoritisme. Il s’agit plutôt d’une conséquence de son choix de gérer ses affaires à partir de Montréal plutôt que de la métropole. N’étant pas présent, il doit recourir à des agents de confiance pour gérer ses affaires en Grande-Bretagne. Son réseau de contacts étant centré sur Glasgow, il est normal que la ville devienne le centre de ses affaires dans la métropole. Ce faisant, lorsque ses partenaires glasvégiens achètent des produits pour la colonie, ils les acquièrent surtout localement, expliquant la dominance des produits écossais.

5.4. Le site de fondation de Montréal dans le réseau de Dunlop

Documents relatifs