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Le régime des soins transfrontaliers programmés: l’autorisation préalable

III. La voie traditionnelle d’accès aux soins transfrontaliers: l’art. 22 du règlement 1408/71

2. Le régime des soins transfrontaliers programmés: l’autorisation préalable

les autorités administratives nationales sont toujours aussi strictes en la matière. Les intéressés déboutés devront, que ce soit avec la carte d’assurance maladie ou avec l’art. 20 nouveau152, recourir contre la décision de l’administration nationale.

2. Le régime des soins transfrontaliers programmés: l’autorisation préalable153 Anne-Claire Simon décrit le régime des soins programmés comme « un partage de responsabilités strict entre l’Etat d’affiliation et l’Etat d’accueil »154.

2.1. Le rapport entre l’art. 22 §1 du règlement et la libre prestation des services 2.2. Situation du patient autorisé

En vertu de l’art. 22 § 1 lit. b et c du règlement 1408/71, l’autorisation préalable demandée à l’institution compétente ne pourra pas être refusée si ces soins figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’Etat de résidence et si ces patients ne peuvent pas recevoir, dans leur pays d’origine, les soins nécessaires du point de vue médical dans un délai raisonnable, compte tenu de leur état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie155. Cette disposition fait l’objet de nombreuses critiques dans les arrêts de la Cour. Les Etats membres ont souvent abusivement utilisé cette disposition (art. 22 § 1 lit. c) conduisant ainsi à une atteinte à la liberté de choix des patients156. Cette pratique repose sur une interprétation très stricte du paragraphe 2, deuxième alinéa du même article. Ce régime restrictif concernant l’accès aux soins a découragé bon nombre de personnes désireuses de se faire soigner à l’étranger. Il suffit, en effet, à ces organismes d’indiquer que le traitement pourra être dispensé dans le pays pour refuser l’autorisation, décourageant ainsi le patient qui n’obtiendra, dans cette situation, aucun remboursement. Le système, tel qu’il est conçu, est discriminatoire dans la mesure où il favorise les médecins et les hôpitaux établis dans l’Etat d’affiliation au détriment de ceux établis ailleurs157. La Cour s’est interrogée sur la compatibilité de cette restriction avec le principe de libre circulation des personnes et des services158. Cependant, des mesures entravant la libre prestation des services peuvent être admises si elles sont justifiées au regard de l’intérêt général et à condition qu’elles soient proportionnelles au but visé. Les activités médicales sont assimilées à un service pour la Cour au sens de l’art. 57 TFUE (ancien art. 50 TCE).

L’ensemble du secteur de la santé publique, en tant que secteur économique est soumis au principe de libre circulation consacrée à l’art. 56 TFUE (ancien art. 49 TCE) 159et du principe de l’art. 34 TFUE (ancien art. 28 TCE).

                                                                                                               

152 Voir l’art. 34 du règlement 574/72.

153 Voir l’Annexe III, le tableau synoptique.

154 Anne-Claire Simon, L’arrêt Keller de la Cour de justice: un nouveau pas vers la suppression des frontières pour les patients en Europe ?, p. 218.

155 CJCE aff. C-372/04 Watts, Rec. 2006, I-4325 point 57.

156 Jean-Louis Clergerie/Chrysoula Karathanasi, La mobilité des patients et le remboursement des dépenses médicales dans l’Union européenne, p. 467 ; Dans le même sens George Georges, Le citoyen européen peut-il se faire soigner dans l’Etat membre de l’UE de son choix ?, p. 83.

157 Mavridis Prodromos, Libéralisation des soins de santé en Europe: un premier diagnostic, p. 154-155.

158 CJCE aff. C-157/99 Smits et Peerbooms, Rec. 2001, I-5473 point 69 ; CJCE aff.C-158/96 Kohll, Rec. I-1931 point 35; CJCE aff. C-120/95 Decker, Rec. 1998, I-1831 point17; Dans le même sens Prodromos Mavridis, Le citoyen européen peut-il se faire soigner dans l’Etat de son choix ?, p. 1092.

159 CJCE aff.C-158/96 Kohll, Rec. I-1931 point 29; CJCE aff. C-372/04 Watts, Rec. 2006, I-4325 points 86 à 91 et 123; CJCE aff. C-157/99 Smits et Peerbooms, Rec. 2001, I-5473 point 53; CJCE aff. C- 368/98 Vanbrakel, Rec.

2001, I-5363, point 41.

   

2.3. L’interprétation des conditions d’octroi de l’autorisation

Le critère de l’efficacité du traitement est retenu pour interpréter l’art. 22 § 1 lit. c. Dès le moment où des soins médicaux s’avèrent nécessaires et efficaces160 pour traiter la maladie dont l’intéressé est atteint, tout refus d’autorisation est d’emblée exclu. Deux interprétations distinctes s’affrontent en matière de soins programmés. Il y a, d’une part, celle de la Cour qui assimile le fait de recevoir des soins adéquats à une liberté fondamentale et d’autre part, l’interprétation étroite des Etats membres.

Ceux-ci redoutent un effondrement du système de santé tant au niveau de la planification et du financement qu’auprès des professionnels, si les bénéficiaires de soins se voient accorder un remboursement pour les traitements prodigués dans un autre Etat membre161. Concernant les infrastructures hospitalières qui nécessitent une planification des besoins, l’Avocat général M. G.

Tessauro relève que « si de nombreux assurés choisissaient de recourir à d’autres infrastructures présentes dans un autre Etat membre, les infrastructures nationales resteraient partiellement inusitées causant ainsi une perte financière aussi importante tant en personnel qu’en équipement de soins, qu’en période d’exploitation optimale »162.

Ce sont les termes « soins appropriés à son état » de l’art. 22 § 1 lit. c, qui sont au centre de la controverse163. Le sens a été précisé dans deux arrêts de la Cour: les arrêts « Pierik I et Pierik II » 164. Dès l’octroi de l’autorisation, les prestations en nature165 dont la personne doit bénéficier s’étendent à

« tous soins susceptibles d’assurer un traitement efficace de la maladie ou de l’affection »166. Il importe donc peu de savoir si la prestation peut être prodiguée sur le territoire de l’Etat de séjour, le seul critère déterminant est que le traitement apparaisse le plus approprié et le plus efficace au regard de l’état de santé de l’intéressé. La Cour reconnaît ainsi la possibilité pour le travailleur, de bénéficier de prestations non prévues par la législation de l’Etat compétent aux conditions prescrites par l’art.

22. Le pouvoir discrétionnaire des institutions n’est pas sans limite. En effet, aussitôt qu’un traitement paraît efficient, toute personne est assurée de pouvoir bénéficier de soins dans tout Etat membre et ce, quels que soient le lieu de sa résidence et de l’institution sociale à laquelle elle est affiliée167. Par ailleurs, le refus d’autorisation est interdit dans deux situations à savoir soit lorsqu’il n’est pas possible pour l’intéressé d’obtenir des soins efficaces dans son Etat de résidence soit lorsque les soins fournis dans l’Etat de résidence sont moins adéquats que ceux dont il pourrait profiter dans un autre Etat168. Le second arrêt Pierik permet à la Cour de réaffirmer sa position.

Suite à ces arrêts, les Etats membres ont poussé le législateur européen à modifier l’article 22 § 2 du règlement afin de restreindre les conditions d’octroi de l’autorisation préalable, renforçant ainsi le pouvoir d’appréciation des institutions compétentes. L’interprétation stricte de cette disposition peut avoir des conséquences dramatiques pour un intéressé. Mavridis Promodros illustre cette

                                                                                                               

160 Bettina Kahil-Wolff, Die Weiterentwicklung des europäischen Koordinierungsrechts (VO 883/2004) als Herausforderung für die Schweiz, p. 239.

161 Elias Mossialos et Willy Palm, La Cour de justice européenne et la libre circulation des patients, p. 14 ; Voir dans le même sens, Mavridis Prodromos, Le citoyen européen peut-il se faire soigner dans l’Etat de son choix ?, p. 1092-1093.

162 Les conclusions de l’avocat général M. Tessauro cité par Sean Van Raepenbusch, La sécurité sociale des travailleurs européens, § 75, p. 123 ; Dans le même sens Yves Jorens, Impact de la jurisprudence la plus récente de la Cour européenne de justice sur l’influence des règles relatives au marché intérieur sur les systèmes nationaux de santé, p. 385.

163 George Georges, Le citoyen européen peut-il se faire soigner dans l’Etat membre de l’UE de son choix ?, p. 91.

164 CJCE aff. C-117/77 Pierik I, Rec. 1978, I-825 et CJCE aff. 182/78 Pierik II, Rec. 1979, I-1977.

165 Voir le point 3.1.1. ci-dessus.

166 CJCE aff. C-117/77 Pierik I, Rec. 1978, I-825 point 15.

167 CJCE aff. C-117/77 Pierik I, Rec. 1978, I-825 points 16 et 17.

168 CJCE aff. C-117/77 Pierik I, Rec. 1978, I-825 point 18 ; CJCE aff. C-372/04 Watts, Rec. 2006, I-4325 point 61;

CJCE aff. C-56/01 Inizan, Rec. 2003, I-12403, points 45 et 60.

   

problématique à l’aide d’un exemple hypothétique169. En effet, admettons que le malade se trouve dans une région ne possédant pas de service chirurgical spécialisé ; le patient est intransportable dans une autre région mais tout à fait transportable dans un service spécialisé plus proche situé dans un Etat voisin. L’interprétation stricte de la notion de « délai normalement nécessaire » de l’art. 22 § 2 peut avoir des conséquences dramatiques pour le patient demandant des soins programmés. En effet, qu’entend-on par la formulation « normalement nécessaire » ? Un délai d’un ou deux mois d’attente, pour une prise en charge, peut s’avérer fatal ou du moins entraîner de graves complications pour le patient.

L’interprétation faite par les arrêts Pierik garde, cependant, tout son sens au regard de l’art. 22 § 1 qui demeure inchangé. L’efficacité du traitement reste le critère déterminant pour l’obtention du formulaire E112.

2.4. Les modalités concrètes de prise en charge de frais de soins170

Conformément à l’art. 22 du règlement 1408/71, le principe est que l’intéressé qui bénéficie de soins inopinés ou programmés dans un Etat autre que celui d’affiliation, sera intégralement remboursé, dans un premier temps, par l’institution du lieu de séjour en application de sa législation et, dans un second temps, l’Etat membre dédommagera cette dernière aux conditions de l’art. 36 du règlement171. Le principe de libre circulation des patients est grandement favorisé par le fait que les conditions de prise en charge des coûts médicaux doivent être aussi favorables que celles dont profitent les assurés affiliés dans cet Etat. En matière de transfert médical où des soins sont dispensés dans un Etat tiers sur demande de l’Etat de séjour, comme ce fut le cas dans l’arrêt Keller172, les soins sont remboursés par la caisse du pays de séjour dans des conditions semblables à celles dont bénéficieraient les assurés sociaux de l’Etat de séjour. La compensation financière a lieu à l’interne, c’est-à-dire entre les institutions uniquement. Ce n’est que dans l’hypothèse où les soins ne seraient pas pris en charge intégralement par l’Etat de séjour en vertu de l’art. 36 du règlement 1408/71, que l’intéressé devra payer, avec ses deniers, la différence de montant auprès de l’institution qui a presté. Cependant, en vertu de la libre prestation des services, il pourra toujours se retourner contre sa caisse pour que celle-ci supporte le montant déjà versé. Pour ce faire, la législation de l’Etat compétent doit prévoir une prise en charge pour ce type de soins173. Dans tous les cas, indépendamment du fait que l’assuré ait avancé les frais ou non, il peut prétendre que lui soit appliqué le système de prise en charge le plus favorable relevant de l’Etat de séjour ou de l’Etat d’affiliation174. En revanche, l’assuré qui obtient un traitement à l’étranger sur la base de la libre prestation des services ne sera remboursé qu’à concurrence du tarif de l’Etat d’affiliation, quand bien même le tarif de l’Etat de séjour est meilleur175.

                                                                                                               

169 Mavridis Prodromos, Le citoyen européen peut-il se faire soigner dans l’Etat de son choix ?, p. 1094.

170 Voir l’Annexe II, les tableaux synoptiques.

171 CJCE aff. C-145/03 Keller, Rec. 2005, I-00000, point 66 ; Pour les modalités du remboursement voir aussi l’art. 93 du règlement d’application 574/72.

172 Voir l’Annexe I, l’arrêt Keller.

173 CJCE aff. C-368/98 Vanbraekel, Rec. 2001, I-5363 points 7, 43, 45 et 50 à 53 ; CJCE aff. C-372/04 Watts, Rec.

2006, I-4325 points 128 à 132 et 143.

174 Jean-Philippe Lhernould, Droit de la protection sociale: prise en charge des frais de soins prodigués dans un Etat tiers, p. 514-515.

175 Anne-Claire Simon, L’arrêt Keller de la Cour de justice: un nouveau pas vers la suppression des frontières pour les patients en Europe ?, p. 214.