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5. CADRE THEORIQUE

5.2 LE PROCESSUS DE DECISION

Si la notion de décision a acquis son statut d’objet au sein des sciences sociales dans les années 50, celle-ci a rapidement été critiquée et bien qu’elle ait gardé une certaine légitimité jusqu’à la fin des années 70, la pertinence de son étude en tant qu’objet sociologique ainsi que le concept même de décision sont aujourd’hui questionnés. Dans une évolution qu’Urfalino nomme « autodestructrice » (Urfalino, 2004), la sociologie de la décision a fait face à un mouvement critique qui peut être divisé en trois étapes distinctes que sont : la critique de la rationalité, l’abandon de cette dernière et enfin la contestation de la pertinence de la notion de décision.

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Nous retiendrons de ces trois étapes plusieurs choses. Premièrement, les décisions des acteurs ne peuvent être complètement rationnelles du fait qu’il est impossible pour ces derniers de connaître l’ensemble des possibilités qui s’offrent à eux. Ainsi, l’acteur choisit la première possibilité qui lui semble satisfaire au minimum les critères qu’il avait préalablement définis. Sa rationalité est alors « limitée » comme le constata Hebert Simon en 1947 (Simon, 1947). Par la suite, Cohen, March et Olsen poursuivront cette réflexion plus en profondeur et proposeront le « modèle de la poubelle » qui conçoit le choix « comme la résultante de la rencontre contingente entre un flux de problèmes, un flux de solutions, un flux de participants et un flux d’occasions de choisir » (Urfalino, 2004 :4). Dans ce contexte, la rationalité de l’acteur est alors quasiment écartée et la décision est décrite comme un phénomène contingent et multifactoriel.

De plus, comme le souligne également Urfalino, une décision est rarement le fait d’un seul acteur mais doit être abordée en tenant compte de l’ensemble des conditions et des acteurs participants à son élaboration. Ainsi, concernant l’aide au retour, nous avons pu constater la multiplicité des acteurs jouant un rôle dans l’élaboration et la perception de l’aide au retour, ce qui jouera un rôle non négligeable sur les pratiques administratives de nos interlocuteurs.

Enfin, la décision doit être comprise comme un processus non pas défini dans le temps ou dans l’espace mais comme un ensemble de séquences « avec des différentes phases pendant lesquelles le problème que l’on tente de traiter peut être interprété différemment » (Urfalino, 2004 : 4). Comme nous le verrons, chaque étape du processus de décision d’octroi de l’aide au retour va faire l’objet d’interprétations diverses et variées qui vont diriger la décision finale dans un sens ou dans un autre. Ainsi, bien que ce processus peut être connu a priori, cela ne sera pas forcément le cas du résultat, c’est-à-dire de la décision finale prise par l’acteur, les divergences d’interprétations ainsi que l’implication de certains acteurs extérieurs étant difficilement prévisibles. Ainsi, Urfalino critique « le souci d’identifier une décision et le processus qui l’a engendré » ce qui « l’isole artificiellement d’un entrelacs d’événements et d’actions » (idem : 7). Nous tenterons donc ici de tenir compte de cet « entrelacs d’événements et d’actions » qui a engendré la décision afin de pouvoir donner du sens aux comportements et aux dires de nos interlocuteurs.

Enfin, nous retiendrons ici l’idée que l’acteur n’est pas un être rationnel dans le sens que ses actions sont toujours mises en place pour atteindre un but visé mais plutôt

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que celui-ci va restreindre l’étendue des possibles en fonction de la satisfaction que va lui apporter une action, et cela par la mise en place de stratégies cohérentes et plus ou moins conscientes et découlant notamment des normes sociales en vigueur dans l’institution.

En effet, selon le courant de l’anthropologie des institutions, « les choix que l’individu fait dépendent des possibilités et des contraintes qu’offre le contexte social dans lequel il agit » (Calvez, 2006 : 7). Il est donc important d’également tenir compte de ce contexte social dans nos recherches et plus particulièrement ici, du contexte institutionnel de la prise de décision. Ainsi, comme le soulignait Mary Douglas, « les institutions sont définies comme des manières d’être et de faire plus ou moins stabilisées par l’usage et reconnues comme légitimes au sein du groupe social. » (Calvez, 2006 : 5). Ainsi, « elles fournissent aux individus des principes qui leur permettent d’agir avec les autres d’une façon qui puisse être comprise et acceptée par eux et qui les conduisent à revendiquer des autres conduites au nom du mode de vie dont l’institution est porteuse » (ibid.).

En conséquence, il ne s’agira pas uniquement de tenir compte de la marge de manœuvre des acteurs tout au long du processus de décision mais également de prendre en compte le contexte institutionnel spécifique à notre terrain que sont le domaine de l’asile ainsi que le contexte cantonal.

Dans ce travail, nous traiterons donc de la décision non pas comme un acte isolé, individuel et rationnel pouvant être localisé dans le temps et dans l’espace mais comme un processus multifactoriel pris par une configuration d’acteurs divers dans des temps et des espaces variés. Cette approche de la « décision en action » nous permettra de ne pas nous focaliser sur des séquences particulières du processus de décision d’octroi de l’aide au retour mais de l’envisager dans sa globalité et en lien avec d’autres facteurs en s’intéressant à la manière dont la décision est construite et légitimée par les différents acteurs.

Ainsi, nous rejetons avec Phélippeau « l’idée que la décision, summum du travail politique et de l’administratif, est synonyme d’action et expression d’un choix libre et rationnel » (2009 :1). Ainsi, « le rôle de la « street-level bureaucracy » a été réévalué et les « exécutants » font désormais figure d’acteurs en capacité de se réapproprier les décisions qu’ils sont censés faire appliquer tant pour asseoir leur pouvoir face à leurs supérieurs que pour s’opposer aux administrés » (Phélippeau, 2009: 44).

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Maintenant que nous avons pu clarifier la manière dont la notion de décision va être appréhendée dans ce travail, il est à présent temps de nous pencher sur la manière dont les pratiques administratives ont été étudiées.