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PARTIE 3 : ESPACES DE L’ÉCRITURE : LITTÉRATURE, CRÉATION ET

A. De l’écriture à l’Écriture

A.1 Le personnage écrivain

La trilogie des dieux se construit donc comme une vaste mise en abyme où des histoires imbriquées les unes dans les autres se reflètent, se répercutent sur plusieurs niveaux. Dans cet entremêlement, un type de personnage est en surpopulation : l’écrivain. Le cycle présente un nombre incalculable de personnages écrivant et d’auteurs à part entière. Nous l’avons vu, Edmond Wells écrit son Encyclopédie, suppléé par Michael et Mata Hari, Freddy Meyer tient un recueil d’histoires drôles qui sera repris par Raoul Razorback. Le père de ce dernier, Francis Razorback, a écrit sur terre l’ouvrage La Mort, cette inconnue et sur Aeden il poursuit son œuvre en rédigeant une Mythologie. Eun Bi, la coréenne dont Michael suit le parcours depuis sa télévision en Aeden écrit une série concernant les dauphins, elle exprime sa créativité également par le dessin. Michael, quant à lui, a une chambre remplie de livres vides aux pages blanches :

« Des livres sans texte. Un crime sans enquête. À droite de la bibliothèque, un fauteuil et un bureau aux multiples tiroirs. Sur le dessus, une plume d’oiseau trempe dans un encrier. Suis-je supposé remplir de mon écriture ces livres vides ? »204

Et quand il se met à écrire, c’est l’incipit des Thanatonautes, premier tome du Cycle des anges. Dans le Souffle des dieux, la muse Thalie lui inspire une pièce de théâtre, il s’essaie alors à l’écriture dramatique. Des chapitres 31 à 51 du Mystère des dieux, notre élève dieu est puni et envoyé sur Terre 18. Il s’incarne à ce moment-là dans la peau d’un écrivain populaire. En tant que Dieu déchu, il a une conscience beaucoup plus évoluée que les humains qui l’entourent. Il souffre de détenir un savoir qu’il ne peut partager avec ses congénères (sous peine de passer pour un illuminé), alors il se met à écrire et livre sous la forme de romans ses souvenirs du monde des dieux. Hegel dans Esthétiques statue que l’art est le propre de l’homme et la prédisposition artistique est une conséquence du fait que l’homme soit doué de conscience.

72 L’homme en tant qu’être pensant se dédouble, se représente lui-même. L’œuvre d’art est alors une extériorisation de ce que l’humain est. On voit ici clairement le parallèle que l’on peut dresser entre notre personnage écrivain et cette théorie. Il écrit pour extérioriser ce qu’il est, et le roman devient une sorte de prothèse remplaçant la vie qu’il a perdue. C’est donc un romancier populaire, on assiste à plusieurs scènes où il passe sur des plateaux télévisés pour présenter ses dernières parutions etc. Adulé par un lectorat plutôt jeune et ouvert d’esprit, les critiques littéraires ne lui font pourtant pas de cadeau et le taxent d’écrivain pour enfant au style simpliste et aux histoires farfelues. Décrié par les membres de l’académie qui baignent dans les textes classiques, Gabriel Askolein défend une écriture nouvelle, qui pousse les lecteurs à réfléchir à leur condition et au sens de leur vie sans tomber dans le piège religieux. C’est ce qu’il tente d’accomplir en transcrivant ses aventures de dieu sur Aeden. Ce renversement de situation permet d’observer l’histoire de Terre 18 de l’intérieur et non plus du dessus. Le changement de point de vue est l’occasion d’un retour réflexif de Michael quant à son expérience, qui est cristallisée par la Bible dauphine : ce livre contient le récit de la partie d’Y de Michael, racontée et interprétée par les pièces du jeu.

De manière générale, les écrits produits au sein de la trilogie sont tous tournés vers le savoir et la réflexion : encyclopédies, anthologies concernant la mythologie etc. L’écrivain se fait pédagogue et on ne peut s’empêcher de voir une ressemblance entre l’expérience d’écriture de Werber et les différentes figures de l’auteur qu’il propose. Eun Bi qui a du mal à terminer son cycle sur les dauphins rappelle le jeune Werber qui réécrivait sans cesse son cycle sur les fourmis avant d’être publié. Les ambitions encyclopédistes de Wells, Razorback et Meyer ont été concrétisées par l’auteur à travers l’ESRA et le Rire du Cyclope (qui est doté d’histoire drôles entre chaque chapitre). Enfin Gabriel qui écrit sur l’école des dieux n’est pas sans rappeler, grâce au jeu des mises en abyme, l’auteur lui-même qui rédige ce récit. Son but avoué est d’ouvrir les esprits : « la science-fiction est plus forte que la religion. Car elle ouvre les esprits alors que vous les fermez. »205 justifie Gabriel Askolein. Ses écrits ne sont pas religieux, ils ont néanmoins une part de spiritualité puisqu’il y livre son savoir sur le monde des dieux. L’écriture elle-même est une activité sacrée. On pense au dieu égyptien Thot qui tire les caractères d’écriture du portait des dieux : « l’écriture apparaît de ce fait à l’image de Dieu, d’une origine sacrée, et s’identifie à l’homme »206. Le livre, Bible ou roman, s’érige alors comme objet privilégié de communication entre les hommes et les dieux. Cet échange est à double sens puisque Zeus dans son palais lit les livres écrits par les terriens, qu’ils soient publiés ou non.

205 Voir Le Mystère des dieux, p. 145.

73 Michael-Gabriel tente donc d’écrire, de façon romancée, ses aventures en Olympie. Cependant, quand il essaie de modifier l’histoire réelle (en faisant perdre la partie d’Y à Raoul par exemple), le scénario ne fonctionne plus. Delphine, qui relit ses épreuves sans connaitre son passé divin, trouve la trame non crédible quand elle s’éloigne de ce qui a vraiment été.

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