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Le parcours du combattant vu par les recruteurs

Avec le concours de Jean-Sébastien Barbeau et de Marie-Eva Lesaunier doctorants au Carism, et des étudiants de master 2 « Médias, publics et cultures

VIII. Les conditions d’insertion dans la profession

4. Le parcours du combattant vu par les recruteurs

Face à la raréfaction des postes à durée indéterminée, le secteur de la gestion des recrutements traverse une période de transformation et de réorganisation profondes. Selon le groupe témoin de recruteurs interviewés, la crise économique qui règne sur le marché médiatique s’ajoute à la concurrence de plus en plus importante entre les jeunes « surdiplômés ». Ceci prolonge significativement la durée du « parcours du combattant » avant la première « vraie » embauche : « Le degré d’exigence s’est élevé puisque le tamis, le filtre, le filet est de plus en plus étroit » (entretien avec le secrétaire général de la rédaction d’un titre de la presse quotidienne régionale).

Dans un contexte économique fortement dégradé, où le recrutement à long terme est soumis à une forte contrainte budgétaire, internaliser de plus en plus les stratégies de recrutement semble prédominer. Les recruteurs interviewés l’affirment : avant d’être titularisé sur un poste dans une entreprise médiatique, un passage par une précarité professionnelle d’une durée de plus en plus importante s’impose :

« On ne recrute jamais les CDI de l’extérieur. On utilise le système de l’appel interne. C’est-à-dire, quand on ouvre un poste, on l’ouvre en interne et les CDD qui sont au sein de notre structure candidatent naturellement sur le poste. On reçoit les candidatures au fil de l’eau, et en fonction des profils, après les entretiens, on les intègre dans un vivier... ou pas. » (responsable du recrutement et de la formation en presse quotidienne régionale).

Après avoir connu une concurrence importante lors des concours aux formations en journalisme, les jeunes diplômés doivent s’apprêter à rentrer dans une phase de primo- recrutement, marquée également par la concurrence et l’incertitude. Celle-ci fait partie de ce

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« parcours du combattant » où la démultiplication des statuts précaires devient, d’après les recruteurs, de plus en plus la règle en début de carrière journalistique.

Pour les enquêtés, ce recrutement reste en grande partie informel et fonctionne rarement par la publication d’offres d’emploi auprès de Pôle Emploi ou des organismes paritaires. Le « réseau de confrères » est un moyen privilégié pour trouver rapidement des candidats pour des missions souvent courtes : « On travaille aussi beaucoup avec des confrères, Ouest France, Télégramme, Sud-Ouest, etc., ça nous permet toujours d’avoir un lot de candidatures intéressantes et de confiance » (responsable du recrutement et de la formation en presse quotidienne régionale).

La sélection des nouvelles candidatures se déroule souvent dans un contexte d’urgence, afin de répondre aux besoins d’une mission immédiate et à court terme :

« En fonction des besoins, par exemple, quand à un moment […] je commence à galérer pour trouver des pigistes dans un certain métier, je me dis que ça veut dire que j’en ai plus assez. Donc il faut que j’en recrute d’autres. Donc là, voilà, je recrute trois, quatre nouveaux et ça me tient jusqu’à la galère suivante » (entretien avec le responsable du recrutement dans une chaine télévisée privée d’information continue). Le mode de recrutement flexible qui fonctionne à travers ce « vivier » de pigistes offre des opportunités professionnelles intéressantes mais prolonge de surcroit la période de précarité des candidats potentiels à l’embauche.

La problématique de l’emploi stable se place, entre autres, au croisement des discours subjectifs sur sa propre expérience et des exigences réelles et actuelles d’un marché en récession. Un nombre important de recruteurs interviewés admet que la sélection des candidats à l’embauche se durcit progressivement d’une génération des journalistes à l’autre. Le passage par une formation reconnue devient un critère décisif pour les recruteurs qui, de manière générale, n’ont pas eu à faire face à ce type d’épreuves au début de leur propre carrière : « On pouvait se permettre d’être plus naïf que maintenant, on avait plus droit à l’erreur » (entretien avec le secrétaire général de la rédaction d’un titre de la presse quotidienne régionale).

D’après les recruteurs interviewés, afin de pouvoir entrer dans ce « lot » de pigistes, les étudiants se trouvent dans l’obligation de faire la preuve d’un capital scolaire de plus en plus important et sont conscients d’une certaine méfiance de la part des recruteurs vis-à-vis des formations non reconnues, et, surtout, des formations privées comparées à des « boîtes à fric » :

« Il s’est ouvert un nombre d’écoles de journalisme non reconnues, dites boîtes à fric, qui prennent des gens dès le bac et ces gens se retrouvent avec des diplômes qui ne valent pas grand-chose au bout de trois ans » (entretien avec le responsable du recrutement dans une chaine télévisée privée d’information continue).

Hormis la validation d’un diplôme d’une formation reconnue, les recruteurs valorisent l’expérience professionnelle, de préférence au sein de leur entreprise. Ce critère de sélection est spécifique aux grands groupes médiatiques, surtout s’il s’agit d’un recrutement à long terme. Si les candidats ont été sélectionnés par l’école, alors ils sont jugés « suffisamment bons pour effectuer des courtes missions ». Mais il ne s’agit ici que d’un premier tri. Aux yeux des interviewés, les candidats à l’embauche sont censés accumuler les expériences au cours desquelles ils pourront démontrer leur motivation et leur savoir-faire. Ce passage par les « sas » à l’entrée représente un quasi passage obligé pour espérer une embauche :

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« Le cursus qu’on propose, c’est commencer après la sortie de l’école par un stage d’un mois dans une de nos locales. Ensuite les jeunes rentrent dans une espèce de cycle de piges qu’on appelle des piges ‘‘garanties’’ pendant un an. A la suite de ce cursus d’une année, on invite les pigistes à passer ce qu’on appelle les examens- planning qui consistent à sélectionner une dizaine ou une douzaine de candidatures pour intégrer le planning. Le planning, c’est un ensemble de journalistes qui détiennent des CDD et qui sont amenés à faire des remplacements dans toutes nos rédactions. Quand on recrute, généralement, pour 90 % de cas, on recrute de cette manière-là… » (secrétaire général de la rédaction dans un titre de la presse sportive). Quant à l’obtention d’un CDI, les compétences techniques deviennent de plus en plus stratégiques et viennent compléter la valeur du diplôme et l’expérience des candidats. Par ailleurs, les difficultés économiques ainsi que les innovations technologiques amènent les recruteurs à valoriser davantage la flexibilité et la polyvalence des candidats à la titularisation :

« Même si on fait de la radio, on s’intéresse de plus en plus aux gens qui font de la télé et à ceux qui peuvent travailler dans nos éditions numériques » (DRH d’une radio nationale publique).

A commencer par la maîtrise des langages informatiques, de l’édition web et de l’écriture multimédia. Ces compétences techniques sont devenues stratégiques, à la faveur de la « révolution numérique» et de la mutation des modes de production et de consommation de l’information qui en découle. D’ailleurs, le recrutement comme la formation se concentrent notamment sur les compétences en matière d’editing, de développement web et de bi-média.

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