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Le monde et l’univers vu comme des Processus

4.4 Une justification théorique pour le dualisme ontologique

4.4.1 Le monde et l’univers vu comme des Processus

Tout d’abord, il importe de commencer par le commencement. Avant de s’aventurer à réfléchir sur la nature humaine, Popper et Eccles prennent comme point de départ la nature du monde et de l’univers dans son ensemble. Inspirés de la science du vingtième siècle, et particulièrement de la physique quantique, qui s’intéresse à l’infiniment petit, les deux auteurs expliquent que la matière n’est pas ce qu’on peut appeler une ‘substance’, puisqu’elle ne peut être éternellement conservée : elle peut être détruite, et elle peut être créée. En effet, ils appuient cette

319 Ibid

320 Karl R. Popper & John C. Eccles, The Self and its Brain, Springer International, 1977, p.VIII 321 Ibid, p.IX

86 observation avec l’exemple des nucléons, la plus stable des particules, qui peuvent eux-mêmes être détruits par collision avec leurs antiparticules, lorsque leur énergie est transformée en lumière.322 Or, Popper et Eccles indiquent que la matière n’est rien d’autre que de l’énergie densément empaquetée pouvant être transformée en d’autres formes d’énergie. Par conséquent, affirment-t-ils, la matière, constituée d’énergie en son plus petit dénominateur, a une nature qui ressemble à quelque chose comme un processus, puisqu’elle peut être transformée en d’autres processus comme celui de la lumière, du mouvement ou encore, de la chaleur.323 Aux yeux des auteurs, cela signifie, comme l’avait soutenu A. N. Whitehead, que l’univers apparait aux êtres humains désormais moins comme une collection de choses, mais plutôt comme une interaction constante d’une série d’évènements ou encore de processus.324 On peut également facilement faire le lien avec la théorie des processus généraux (GPT) que nous venons de voir à travers les travaux de Johanna Seibt. D’autre part, Eccles et Popper ajoutent que les étoiles sont d’excellents exemples permettant d’illustrer la règle générale que les choses ne sont que des processus, que des structures dynamiques, puisque leur stabilité dépend de l’équilibrium dynamique qui règne entre la pression gravitationnelle, causée par leur masse, et les forces répulsives causées par les particules élémentaires qui y sont étroitement entassées.325 En effet, si ces forces répulsives sont excessives, l’étoile explose, et si elles sont plus petites que la pression gravitationnelle, alors l’étoile disparait dans un ‘trou noir’. C’est donc pourquoi une étoile est un exemple parfait permettant d’illustrer le principe d’équilibre dynamique, symbolisant tout processus, qui existe partout dans l’univers, et pourquoi Popper et Eccles défendent l’idée, comme l’avait anticipé Héraclite, que la notion de ‘substance’ doit être remplacée ou expliquée par la notion de ‘processus.326

Ensuite, après s’être intéressé à la nature du monde et de l’univers, et démontré qu’au fondement de ceux-ci ce n’est pas le concept de substance qui prévaut, mais plutôt celui de processus, les auteurs poursuivent leur cheminement philosophique en se penchant du côté de l’être humain, leur sujet de prédilection, ainsi qu’à l’élément qui en fait un être unique : son esprit. En effet, ils s’émerveillent devant le fait que la matière s’est elle-même transcendée pour produire l’esprit, l’intention, ainsi qu’un monde complet provenant des produits de l’esprit humain. Ils 322 Ibid, p.7 323 Ibid 324 Ibid 325 Ibid, p.20 326 Ibid, p.146

87 évaluent que l’un des premiers produits de l’esprit humain est le langage, et Popper est même prêt à spéculer qu’il fût son tout premier produit, et que par la suite le cerveau et l’esprit humain ont évolués en interaction avec le langage.327 De plus, le langage est central à l’émergence de la personne, car le ‘soi’, expliquent-ils, émerge grâce à l’interaction avec les autres personnes, ainsi que les artefacts et autres objets de son environnement. Or, ce processus d’émergence est profondément affecté et influencé par l’acquisition du langage et des capacités discursives, surtout lorsqu’un jeune être humain, soit un enfant, devient conscient de son nom et apprend à utiliser des pronoms personnels.328 En effet, Popper et Eccles sont d’avis que le développement d’un être humain dépend d’un processus de maturation dans lequel l’acquisition de la parole et du langage jouent un rôle majeur, puisque quelqu’un n’apprend pas seulement qu’à percevoir, ni à comprendre ses interprétations, mais apprend également à être une personne et un soi.329 Selon Popper, le fait de constater que nous ne sommes pas nés en tant que personne, mais que nous devons comprendre que nous sommes des ‘soi’, ou plutôt que nous devons apprendre à être un ‘soi’, lui semble être d’une importance des plus considérable.330

Bref, pour résumer le point de vue initial des deux auteurs quant à la nature du concept de ‘personne’, il faut saisir que le soi est en partie le résultat d’une exploration active de son environnement, qui s’effectue largement à l’aide du langage, et que temporellement parlant, le corps précède l’esprit, puisque l’esprit est un accomplissement ultérieur de celui-ci. Ainsi, il est clair que l’identité et l’intégrité du soi et de la personne ont une base physique, fondation qui semble être logée dans le cerveau humain,331 et c’est pourquoi ils ont développé une théorie de la nature humaine ontologiquement dualiste qui s’appuie sur l’interactionnisme psychophysique.