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Le modèle variationnel de Francfort et Marigo

à l’extrémité de la fracture. De ce résultat naissent deux critères, le Gmax et le KII, qui proposent que le chemin emprunté par la fracture maximise une certaine grandeur liée aux coefficients de la singularité. Cependant, A. Chambolle, G. Francfort et J.-J. Marigo[CFM09]

montrent que ces deux critères impliquent que, dans un matériau homogène et isotrope, le chemin de la fracture ne peut être courbé.

Ces défauts peuvent se voir comme une inadéquation de l’outil mathématique utilisé. En effet, le critère formulé par Griffith suppose que la variable σ(t) est suffisamment régulière pour être dérivée. Cette régularité induit l’impossibilité de courbure du chemin de fracture

[CFM09], ainsi que l’incapacité du critère de Griffith à expliquer la nucléation de fractures, puisque la nucléation introduit une forme de singularité (voir l’analyse dans[Mar10]).

1.3 Le modèle variationnel de Francfort et Marigo

Le modèle variationnel de G. A. Francfort et J.-J. Marigo est publié en 1998 dans[FM98], et une présentation complète de ces travaux ainsi qu’une comparaison avec le modèle de Griffith est disponible dans [BFM08]. Les deux auteurs proposent un modèle de la théorie de la fracture, similaire au modèle de Griffith. En effet, il se base sur une compétition entre énergie de fracture et énergie élastique.

Cependant, il est formulé dans un cadre variationnel, plus adapté aux mathématiques du XXI siècle. De nombreux résultats théoriques, ainsi que de nombreuses méthodes numériques démocratisent l’utilisation des méthodes variationnelles en mathématiques appliquées. Ainsi, cet article de Francfort et Marigo suit un résultat théorique fort, dû aux mathématiciens E. De Giorgi, M. Carriero et A. Leaci dans un domaine à priori fort distinct. Ils prouvent en 1989, dans [DCL89], un théorème d’existence de minimum pour une certaine fonctionnelle – la fonctionnelle de Mumford-Shah – qui intervient dans la détection des contours d’une image.

On commencera cette section par un bref aperçu du domaine du traitement des images. On montrera les similarités entre ce domaine et le domaine de la mécanique de la fracture. On y exposera également les grandes lignes des idées de De Giorgi, Carriero, et Leacci. Dans une seconde partie, on présentera le modèle de fracture de Francfort et Marigo. On montrera que, sous une hypothèse physique particulière – le cas d’un mouvement antiplan –, le modèle de Francfort et Marigo est quasiment identique au modèle de De Giorgi, Carriero et Leacci pour le traitement d’image. On remarquera également que ce modèle répond aux insuffisances du modèle de Griffith classique.

1.3.1 Une excursion dans le domaine du traitement d’images

En 1989, D. Mumford et J. Shah proposent dans [MS89] une méthode pour la détection de contours d’une image, qui permet de séparer par exemple une personne d’un arrière plan. Nous exposons cette méthode ici.

On note Ω ⊂ R2 une image, et on suppose Ω ouvert et connexe. Soit g : Ω → [0 , 1] la fonction de contraste de l’image, qui vaut 0 lorsque l’image est noire et 1 lorsqu’elle est blanche. Mumford et Shah introduisent le problème de minimum suivant.

Modèle 1.3.1 (Mumford-Shah). Trouver une courbe σ ⊂ Ω qui soit C (Ω, R ) par mor-ceaux, et une fonction u tel que le couple (u, σ) soit le minimum, sur un certain ensemble, de la fonctionnelle d’énergie G définie par :

G(u, σ) = Z

|u − g|2 dx +Z

Ω\σ|∇u|2 dx + H1(σ),

où H1(·) est la mesure de Hausdorff de dimension 1, qui peut être comprise comme la longueur du contour.

Analysons les différents termes de cette fonctionnelle d’énergie : 1. Le premier terme :

Z

|u − g|2 dx force la fonction cible u à approcher l’image g.

2. Le second terme : Z

Ω\σ|∇u|2 dx

demande à ce que u – et par conséquent la fonction de contraste g qu’elle approche – ne varie pas beaucoup sur chaque composante connexe de Ω \ σ.

3. Le troisième terme :

H1(σ)

force l’ensemble σ qui partitionne Ω à être le plus court possible (et, en particulier, à être de dimension de Hausdorff plus petite que 1).

On notera que si un seul des membres de la fonctionnelle est absent, la fonctionnelle admet un minimum trivial.

Ce problème de minimisation est difficile, et cette difficulté est en grande partie due à l’inconnue σ qui est dure à manipuler. Si on met de côté les questions de régularité, on cherche un ensemble σ fermé, de dimension 1, qui minimise la fonctionnelle G. Notons F(Ω) l’ensemble des fermés de Ω. On peut le munir de la distance de Hausdorff :

∀X, Y ∈ F(Ω), d(X, Y ) = max  sup x∈X d(x, Y ),sup y∈Y d(y, X)  .

L’ensemble des sous-ensembles fermés de Ω muni de la distance de Hausdorff, (F(Ω), d) est compact, selon un résultat classique du à Blaschke [RKW79]. Cependant, la mesure de Hausdorff H1(·) n’est pas semi-continue inférieurement pour cette topologie, ce qui rend délicat l’utilisation des méthodes classiques de calcul des variations.

La même année, De Giorgi, Carriero et Leacci prouvent l’existence d’un minimum pour la fonctionnelle de Mumford-Shah. Ils choisissent de se débarrasser de l’inconnue σ, difficile à maîtriser par des techniques variationnelles classiques, et de la remplacer par l’ensemble des sauts de u, noté Su. Pour ce faire, ils changent d’espace variationnel, et remplacent l’espace

Paragraphe 1.3. Le modèle variationnel de Francfort et Marigo 37

de Sobolev par l’espace SBV (Ω) des fonctions spéciales à variations bornées sur Ω, introduit dans le paragraphe suivant.

Nous résumons ici très brièvement le contexte des résultats de De Giorgi, Carriero et Leacci. Le lecteur intéressé est invité à se reporter à [AFP00]pour un exposé détaillé. Rap-pelons qu’une fonction u: Ω → R est à variation bornée lorsque u ∈ L1(Ω) et sa dérivée distributionnelle Du est une mesure à variation totale bornée. On note u ∈ BV (Ω). Un théorème dû à De Giorgi [AFP00]donne alors une représentation de Du :

Du=∇audx + (u+− u)ν(x)H1|Su+ Cu,

où ∇au est la partie de Du qui est continue par rapport à la mesure de Lebesgue, H1|Su est la restriction de la mesure de Hausdorff à l’ensemble des sauts de u, noté Su, qui est un ensemble mesurable et composé d’une union dénombrable d’ensembles rectifiables, ν(x) est la normale à Su et u+ et u sont les traces de u de part et d’autres de Su. Enfin Cu est la partie de Cantor de Du, qui est une mesure qui est singulière par rapport à dx et par rapport à H1.

L’espace des fonctions spéciales à variations bornées, noté SBV (Ω), est le sous ensemble de BV (Ω) tel que la partie de cantor Cu de u ∈ SBV (Ω) soit nulle. L’espace SBV (Ω) possède de bonnes propriétés de compacité. Grâce à cela, on prouve rapidement le théorème suivant, et on renvoi encore à [AFP00]pour une preuve.

Théorème 1.3.1. La fonctionnelle d’énergie faible Gf définie par :

Gf(u) = Z

|u − g|2 dx +Z

|∇au|2 dx + H1(Su),

admet un minimum sur SBV (Ω).

Le théorème suivant, très technique, conclut la preuve.

Théorème 1.3.2(De Giorgi, Carriero, Leacci (89)). Soit u un minimiseur de la fonctionnelle

faible Gf. Le couple u, Su

 est un minimiseur de la fonctionnelle :

G(u, σ) = Z

Ω\σ|∇au|2 dx +Z

|u − g|2 +H1(σ)

de Mumford-Shah.

1.3.2 Une formulation variationnelle de la théorie de la fracture

fragile

Quelques années après le résultat de De Giorgi, Carriero, et Leacci, Francfort et Marigo publient dans [FM98]leur formulation variationnelle du problème de fracture fragile.

Commençons par préciser les données du problème. Soit Ω ⊂ RN un ouvert connexe, dont la frontière ∂Ω est suffisamment lisse. Pour les applications pratiques, on pourra se restreindre aux cas 1 ≤ N ≤ 3. On partitionne sa frontière :

ou ∂ΩD et ∂ΩN sont les bords ou l’on applique respectivement des conditions de Dirichlet et de Neumann. Sur la partie Dirichlet, on applique un déplacement du bord noté UD, tandis que l’on laisse libre la partie de Neumann. On suppose également que le matériau est soumis à un champ de force volumique fv. On suppose que Ω est un matériau hyper-élastique, dont la densité d’énergie est notée W . Ainsi, lorsque le matériau Ω subit – sans fracture – une déformation ϕ = u + Id suffisamment lisse, son énergie élastique vaut :

Eel(u) = Z

W(x, e(u))dx,

où l’on a noté u le champ de déplacement du matériau, et e(u) son gradient symétrisé. On notera l’énergie élastique du matériau qui présente une fracture σ :

Eel(σ) = inf u∈VUD,σ

Z

Ω\σ

W(x, e(u))dx, où l’on a défini l’espace fonctionnel VUD par :

VUD,σ =u ∈ H1(Ω\ σ, RN) u= UD sur ∂ΩD . Francfort et Marigo proposent l’énergie de fracture suivante :

Efrac(σ) = Z

σ

k(x)dHN−1,

où le champ scalaire k(x) traduit la ténacité du matériau, et est supposée strictement positive sur tout le matériau.

Ainsi, l’énergie totale du matériau vaut :

Etot(σ) = Eel(σ) + Efrac(σ).

Les deux auteurs proposent, dans [FM98], le problème de minimisation suivant.

Modèle 1.3.2.Une solution du problème de fracture est un minimum de la fonctionnelle d’énergie : Etot(u, σ) = Z Ω\σ W(x, e(u))dx +Z σ k(x)dHN−1, où σ est une union dénombrable d’ensembles rectifiables.

On remarque de grandes similarités entre le modèle de fracture de Francfort et Marigo et le modèle de segmentation d’images de Mumford-Shah. La plus grande différence concerne le terme de contrainte. Dans le modèle de Mumford-Shah, on force l’inconnue u à être proche de l’image initiale g par le terme R|u − g|2 dx. Ici, Francfort et Marigo remplacent ce terme par une contrainte au bord du domaine, en restreignant l’ensemble des déplacements admissibles aux fonctions dont la trace vaut UD sur la partie ∂ΩD du bord.

Notons une seconde similarité entre les deux modèles. Le modèle de Mumford-Shah fait intervenir la norme L2 du gradient de u, alors que le modèle de fracture est plus général et fait intervenir le tenseur de déformation e(u), au moyen du potentiel W . Cependant, moyennant quelques hypothèses physiques, on peut se ramener à la norme L2 du gradient de u.

Paragraphe 1.3. Le modèle variationnel de Francfort et Marigo 39

Théorème 1.3.3 (Modèle de Francfort et Marigo – cas antiplan). Soit Ω ⊂ R3 un matériau

élastique connexe, homogène et isotrope, et qui subit de petits déplacements. On suppose de plus qu’il est soumis à un déplacement antiplan, c’est à dire que le champ de déplacement u est porté par un vecteur constant. Alors, l’énergie totale s’écrit :

Etot(u, σ) = Z

|∇u|2 dx + H2(σ).

Démonstration. On suppose que le matériau est homogène et isotrope, et on fait l’hypothèse

qu’il subit de petits déplacements. L’énergie élastique de Ω s’écrit donc : Eel(u) =

Z

Ae(u) : e(u)dx,

où A est le tenseur de lamé du matériau, de constantes de Lamé λ et µ.

Supposons de plus que l’on est dans un cas d’un mouvement dit antiplan, c’est à dire que le champ de déplacement u est porté par un vecteur constant. On peut écrire, à translation et rotation près : u(x) = u(x)ez, d’où e(u)(x) = 1 2 ∇uT +∇u = 1 2  

2∂xu(x) ∂yu(x) ∂zu(x)

yu(x) 0 0 ∂zu(x) 0 0  , et Ae(u) : e(u) = (λ + 2µ)(∂xu)2+ µ(∂yu)2+ µ(∂zu)2. Si on pose : ψ : (x, y, z) 7→ (p(λ + 2µ)x, √µy, √µz), on a :

|∇u ◦ ψ(x)|2 = Ae(u) : e(u)(x).

Pour résoudre notre problème de fracture, il nous suffit alors de minimiser sur C(UD, σ) la fonctionnelle :

Etot(u, σ) = Z

Ω\σ|∇u|2 dx + H2(σ).

Nous pouvons faire plusieurs remarques. Tout d’abord, ce modèle ne prend pas en compte les conditions classiques de contact au bord de la fracture, et ce pour des raisons de régularité (voir la discussion dans [FM98]). De plus, ce modèle ne prend pas en compte les conditions de traction au bord. En effet, l’ajout d’un terme de traction sur une partie du bord rend l’énergie élastique non bornée inférieurement (voir [FM98]).

Dans leur article, Francfort et Marigo proposent un modèle d’évolution de fracture dans un cadre quasi-statique.

Définition 1.3.1(Évolution discrète). Supposons la fracture initiale σ0 donnée, et (Ui)1≤i≤p une suite de chargements. Une solution (σi)1≤i≤p du problème d’évolution discret vérifie :

1. σi ⊂ σi+1 pour tout 1 ≤ i ≤ p − 1 ;

2. Etoti, Ui)≤ Etot(σ, Ui) pour toute fracture σi ⊂ σ.

Définition 1.3.2 (Évolution continue). Supposons la fracture initiale σ0 donnée, et UD(t) = tUDun chargement qui dépend du temps. Une solution σ(t) du problème d’évolution continue vérifie :

1. σ(0) = σ0;

2. σ(t) est une fonction croissante ;

3. Etot(σ(t), UD(t))≤ Etot(σ, UD(t))pour toute fracture Ss<tσ(s)⊂ σ ; 4. Etot(σ(t), UD(t))≤ Etot(σ(s), UD(s)) pour tout s < t.

1.4 Problèmes à frontière libre et méthodes numériques