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Le maintien au pouvoir, réseau communautaire et familial

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 108-112)

Les recherches occidentales sur les régimes arabes du Moyen-Orient accordent une place centrale au facteur communautaire et confessionnel dans l’analyse du pouvoir politique392. Bertrand Badie considère que la genèse des Etats arabes ne leur permet pas de se constituer en nations, à l’inverse selon lui de l’Occident où « l’intervention de l’Etat est allée de pair avec l’élaboration de l’idée de communauté politique et de territorialisation de l’espace politique. Dans le monde musulman, la pratique nationaliste se heurte à la résistance des solidarités communautaires, du clientélisme, à l’irréductibilité de la culture islamique, à l’idée de territorialisation du politique 393». De ce point de vue, la Syrie serait

« sous l’emprise à la fois communautaire et minoritaire 394», où le clientélisme alaouite reflète « un désir communautaire et une volonté de contrôler la société395 ». Selon cette hypothèse, le régime syrien de Hafez al-Asad serait un régime contrôlé par une communauté alaouite homogène tirant sa force d’al-ʻaṣabīyya. Il faut dire que dans un premier temps, les liens de solidarité au sein des régimes baathistes n’étaient pas exclusivement communautaires. D’autres critères comme l’orientation idéologique, l’appartenance à une classe sociale « rurale » ou l’intérêt personnel pouvaient constituer ces solidarités, même si les liens de la communauté restent toujours présents.

Cependant la solidarité, dont le but est au départ de s’emparer du pouvoir, devient de plus en plus « limitée à certains de ses segments, les clans et/ou les lignages comme les appelleraient les anthropologues 396». Le régime baathiste de Hafez al-Asad illustre parfaitement ce phénomène, où le clientélisme politique du pouvoir a pris de l’ampleur et

392 Voir notamment Alain Chouet, loc. cit., p. 93-120.

393 Bertrand Badie, Les deux Etats, Paris, Fayard, 1987, p. 186.

394 Alain Chouet, loc. cit., p. 94.

395 Ibid., p. 105.

396 Riccardo Bocco, « ʻAsabiyât tribales et Etats au Moyen-Orient : confrontations et connivences », in Monde arabe Maghreb-Machrek, Tribus, tribalismes et Etats au Moyen-Orient, sous la direction de Riccardo Bocco et Christian Velud, Paris, La Documentation Française, janvier-mars 1995 n° 147, p. 5.

108 est devenu beaucoup plus visible en revêtant un caractère nettement communautaire voire familial. En résulte une surreprésentation des alaouites notamment dans les fonctions militaires et sécuritaires. C’est ainsi qu’entre 1970, date d’arrivée de Hafez al-Asad au pouvoir, et 1997, 61,3% des chefs des services de sécurité et des commandants des forces armées sont issus de la communauté alaouite contre 35,5 % de sunnites397. Ceux qui étaient en charge de ces fonctions favorisaient l’ascension politique et sociale de leurs alliés et des membres de leurs communautés, par le biais de l’armée, des services de sécurité, de l’administration et de l’économie398.

Les solidarités communautaires, bien quelles viennent contredire le discours panarabe et laïque sur lequel s’appuie le régime, sont nécessaires à son maintien. Un pouvoir minoritaire est en quête permanente de légitimité399. Si la ʻaṣabīyya joue un rôle important dans la construction et la protection du régime et de la personnalité du président, elle n’est pas pour autant le seul facteur. Le régime s’accommode en fonction des pressions intérieures et/ou extérieures, modulant l’intensité de l’autoritarisme en opérant des tentatives d’ouverture politique et économique répondant souvent aux impératifs qui assurent sa survie et sa légitimation. Ainsi, pour rassurer la bourgeoisie sunnite, gravement touchée par les réformes agraires et la politique de nationalisation entamée par les néo-baathistes radicaux de Ṣlāḥ Ğdīd, Hafez al-Asad, à l’inverse de ses prédécesseurs doctrinaires, se veut modéré sur le plan idéologique, et pragmatique sur la plan politique.

Le régime baathiste instauré par Hafez al-Asad est basé sur des rapports clientélistes avec tous les groupes sociaux et communautaires qui se lient directement ou indirectement avec le centre politique, des rapports clientélistes qui ne se limitent pas aux alaouites. Dans le but d’élargir l’assise du pouvoir, on observe une participation des autres communautés et plus particulièrement de la communauté majoritaire. Des sunnites qui

397 « En 1973, deux des cinq divisions syriennes étaient dirigées par des généraux alaouites ; en 1985 six sur neuf, et en 1992 sept sur neuf (une par un général ismaélien et la dernière par un Sunnite) ». Hanna Batatu, Syria Peasantry, the Descendant of Its Lesser Rural Notables, and Theirs Politics, Princeton, Princeton University Press, 1999, p. 219, cité dans Fabrice Balanche, Les Alaouites, l’espace et le pouvoir dans la région côtière syrienne : une intégration nationale ambigüe, Thèse de Doctorat en Géographie, Université François Rabelais, Faculté de Droit, d’Economie et des Sciences Sociales, Département de Géographie, Tours, 2000, p. 457.

398 Alain Chouet, loc. cit., p. 93-120.

399 Burhan Ghalioun, Islam et politique : La modernité trahie, op. cit., p. 29.

109 n’auraient pas le dernier mot en matière de décision mais leurs adjoints alaouites selon Eberhard Kienle400. Cela explique la pérennisation du régime et l’existence d’appuis en dehors de sa très minoritaire communauté d’origine401. Ainsi les liens de solidarité communautaire entre les alaouites ne peuvent pas à eux seuls expliquer la pérennisation du pouvoir baathiste. Et comme le remarque Philippe Droz-Vincent ces réseaux alaouites « ont montré leur instabilité et leur fonctionnement en ne faisant pas corps aussi facilement que le voudraient ces explications derrières un leader unique qui serait perçu comme naturel 402».

Hafez al-Asad n’a pas hésité à faire le ménage jusqu’au sein de sa famille et parmi les sunnites occupant certains des postes les plus élevés de l’État, y compris dans son environnement immédiat. Certes les postes les plus sensibles du pouvoir sont tenus par des alaouites, mais l’élargissement à d’autres éléments loyaux n’est pas exclu. C’est une pratique tout à fait contraire à la laïcité, mais elle s’avère essentielle dans un régime

« autoritaire » ; elle ne se définit pas par la volonté de favoriser un groupe social au détriment d’un autre, mais plutôt par la volonté de se préserver et d’assurer son maintien au pouvoir. Son appui sur les alaouites ne se justifie que par la nécessité de garantir la stabilité et la pérennité du régime. Il ne s’agit pas de négliger le rôle évident que la solidarité communautaire a joué dans l’histoire politique de la Syrie. A l’instar de ses voisins, la solidarité de ses membres est en partie déterminée, en partie seulement, par la confession religieuse et/ou l’appartenance ethnique.

En effet les pays de la région fournissent de nombreux exemples de dirigeants qui favorisent leur région d’origine ou leur communauté, un système renforcé par les régimes autoritaires. En Syrie, les recrutements politiques obéissent davantage à des critères de solidarité fondés sur l’intérêt et surtout sur la loyauté, plutôt qu’à des critères confessionnels ou communautaires. Les alaouites qui occupent des postes de responsabilité

400 Eberhard Kienle, « Entre jamaʻa et classe : le pouvoir politique en Syrie contemporaine », loc. cit., p. 215.

401 Fabrice Balanche, « Clientélisme, communautarisme et fragmentation territoriale en Syrie », in A Contrario, Territoires de pouvoirs et espaces de croyances au Machrek, BSN Press, janvier, 2009, n° 11, p.

130.

402 Philippe Droz-Vincent, Moyen-Orient : pouvoirs autoritaires, sociétés bloquées, op. cit., p. 170.

110 élevée n’appartiennent pas tous au même clan qu’Hafez al-Asad403. Des sunnites occupent des postes importants dans le pouvoir et se trouvent dans le cercle de confiance du Président : Abdū-l-Ḥalīm Ḫaddām404, Muṣṭafa Ṭlāṣ405, Ḥikmāt al-Šihābī406. Il semble qu’on puisse dire que le recrutement au sein du régime de Hafez al-Asad est basé sur la loyauté, les liens d’intérêt et le clientélisme politique.

Le facteur communautaire et la ʻaṣabīyya existent bel et bien mais à condition de s’assurer de la loyauté : « Répéter que le régime de Hafez al-Asad est obsédé par le devenir de sa communauté au point de ne raisonner qu’en termes confessionnels est totalement absurde 407». Hafez al-Asad s’est ainsi débarrassé de Ṣalḥā Ğdīd, alaouite, et il a même éloigné son frère Rifʻāt, alors « chef des brigades de défense » depuis 1984 quand celui-ci menaçait le pouvoir du président. En aoutre les opposants islamistes n’étaient pas les seuls prisonniers politiques du régime, des alaouites baathistes marxisants, des communistes et nassériens constituent également une partie importante des prisonniers politiques408.

403 Hafez al-Asad appartient au clan Karahil de la confédération Kalbieh.

404 Vice-président de la République arabe syrienne entre 1985 et 2005.

405 Ministre de la Défense de 1970 à 2000 et vieil ami du président Hafez al-Asad.

406 Chef d’Etat-major de l’armée entre 1974 et 1998.

407 Daniel Le Gac, op. cit., p. 80.

408 « Syria Unmashed. The Suppression of Human Rights by Asad Regime », in Middel East Watch, New Haven/ Londres, Yale University Press, 1991, p. 67 ; cité dans Stéphane Valter, op. cit., p. 59.

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II I I. . H Ha af fe ez z a al l- - As A sa ad d, , r ég gi im me e m mi in no or ri i ta t ai ir re e e en n q qu êt t e e d de e l l ég é gi it t im i mi it t é é

Tout pouvoir politique cherche à se donner pour assise un fondement solide. De ce point de vue, la question de la légitimité comporte une importance vitale pour tout régime politique. La laïcité par référence aux idées nationalistes et marxisantes et la religion par référence à un héritage islamique de la Syrie, constituent les deux facteurs les plus importants dans la question de la légitimité politique des régimes baathistes syriens. Si durant les années 1960, la référence aux vocabulaires nationalistes et socialistes constitue l’essentiel du discours de légitimation du pouvoir baathiste409, avec le régime de Hafez al-Asad, ce discours prend un autre aspect. Certes la référence à l’arabisme et au nationalisme continue à figurer dans le discours officiel du régime, mais une importance particulière est accordée aux référence religieuses et à l’identité et à l’héritage islamique de la nation arabe410. Issu d’une communauté minoritaire longtemps considérée par les conservateurs sunnites comme hérétique voire non musulmane, le président Hafez al-Asad, au pouvoir depuis 1970, est contraint de chercher à assurer la légitimité de son régime politique. La démarche de légitimité s’opère sur deux niveaux. Celui de la communauté, dont l’intégration religieuse, politique et économique est essentielle pour se faire accepter par une majorité longtemps réfractaire, et celui du régime et plus particulièrement la personne du président, Hafez al-Asad, qui doit se montrer comme le vrai rassembleur et le défendeur de la religion et de l’islam.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 108-112)