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Laïcité baathiste entre chrétiens et juifs

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 168-174)

Bien que l’islam, religion de la majorité, ait toujours été défini dans les différentes Constitutions syriennes promulguées depuis l’indépendance, comme « la religion du président de la République » et le fiqh comme « une source principale de la législation »622, le droit des communautés religieuses de célébrer et de pratiquer leurs religions respectives a toujours été garanti.

Si le modèle laïque du Baath consiste à combattre les divisions communautaires et les particularismes confessionnels au sein des sociétés arabes, aucun régime baathiste ne remet en cause l’application des lois communautaires notamment en matière de statut personnel qui concernent les chrétiens, les juifs et les druzes. Cet acquis, qui remonte aux origines de l’islam, est considéré comme un symbole fort et un droit fondamental des communautés religieuses. Celles-ci jouissent de l’indépendance de leurs tribunaux en

620 Dominique Tabutin et Bruno Schoumaker, loc. cit., p. 634.

621 Mouna Liliane Saman, « La situation démographique de la Syrie », loc. cit., p. 1271.

622 Article 3 de la Constitution permanente de la République arabe syrienne adoptée par référendum le 13 mars 1973.

168 matière de mariage, de divorce, le droit de garde et de succession623. Le régime de Hafez al-Asad pratique une ouverture à l’égard de toutes les communautés et malgré l’absence de quota il s’efforce d’en garder une représentation dans l’Etat et dans l’armée. Les chrétiens jouissent de la « liberté de la pratique religieuse sous toutes ses formes, à l’intérieur des lieux de culte comme dans les enceintes de ces lieux. Les manifestations, sur les voies et les places publiques sont tolérées dans la mesure où elles ne revêtent pas un caractère de défi pour les autres 624». Cette liberté s’étend à la construction d’églises et de sanctuaires dont le terrain est offert par l’Etat, à l’exemption pour les lieux de culte d’impôts et de taxes sur l’eau et l’électricité, à la dispense pour les serviteurs du culte du service militaire.

Dans le domaine des statuts personnels, les différentes Eglises jouissent du droit d’appliquer leurs propres lois, et de l’indépendance de leurs tribunaux en matière de mariage625. Les Eglises disposent de publications religieuses qui exigent une autorisation préalable qui est généralement accordée, à condition de ne pas s’écarter du discours religieux et d’éviter tout ce qui suscite le fanatisme. Quant à la catéchèse, elle est organisée librement dans les églises et dans les centres paroissiaux. « L’Eglise Catholique en Syrie dispose de 160 centres de catéchèse, servis par environ 2.000 jeunes gens et jeunes filles […] Ce travail se fait sans entraves, en toute liberté 626». Ainsi c’est à Damas que siègent les Patriarcats de l’Église grecque-melkite catholique, de l’Église orthodoxe syrienne d’Antioche et de tout l’Orient (chalcédonienne)627. La conception baathiste de la laïcité n’est pas en contradiction avec la pluralité religieuse et confessionnelle de la nation arabe.

La communauté chrétienne ne cesse de diminuer, en dépit de ce que la confrontation avec

623 Depuis 2004, les chrétiens peuvent appliquer leurs propres lois relatives à la succession et à la tutelle.La loi n° 31 de mai 2006, permet à toutes les églises catholiques orientales et latines de légiférer en matière de mariage, famille, fiançailles, légitimité des enfants, adoption, autorité parentale, garde des enfants en cas de séparation, testaments. Mgr Grégoire III, Patriarche grec-catholique à Damas, « La situation des chrétiens dans les pays majoritairement musulmans notamment en Syrie », actes du colloque Europe-Orient, dialogue avec l’islam, tenu le 12 juillet 2007 sous le haut patronage de Christian Poncelet, Président du Sénat, Paris.

URL : http://www.senat.fr/colloques/europe_orient/europe_orient3.html. Consulté le 10 novembre 2010.

624 Mgr Ibrāhīm Niʻmeh, op. cit.

625 La loi n° 31 de mai 2006, permet à toutes les églises catholiques orientales et latines de légiférer en matière de mariage, famille, fiançailles, légitimité des enfants, adoption, autorité parentale, garde des enfants en cas de séparation, testaments.Mgr Grégoire III, op. cit.

626 Mgr Ibrāhīm Niʻmeh, op. cit.

627 L’Eglise orthodoxe syrienne d’Antioche et de tout l’Orient fait partie de l’Eglise ortodoxe orientale (trois Eglises : copte, arménienne et syrienne). Son chef depuis 1980 est le Patriarche Ignace Zakka Ier Iwas.

169 les Frères musulmans et le risque d’un régime islamiste donnent la préférence à un régime dominé par une minorité alaouite, qui « défendra mieux les statuts des autres minorités au même titre que la sienne, qu’un régime majoritaire, en l’occurrence sunnite, dans le cas d’un effondrement du régime actuel, la seule opposition ou alternative capable de constituer un embryon de pouvoir étant le mouvement des Frères musulmans 628». A l’arrivée de Hafez al-Asad en 1970, le nombre de chrétiens est estimé à 15% et le chiffre avancé en 2006 est de 4,7 %629. Pour certains les causes résident dans l’absence « d’une vraie égalité entre les chrétiens et les musulmans 630», pour le père Adīb Ḫūrī, du monastère Saint Moïse l’Ethiopien dans la région de Damas, les raisons économiques sont les causes principales de l’immigration des chrétiens.

Si le pluralisme religieux, un des aspects de la laïcité baathiste, est un facteur fondamental dans l’intégration des communautés non musulmanes et en particulier des chrétiens, l’intégration de la communauté juive631 se heurte au facteur politique, caractérisé par le conflit israélo-arabe632. Les chrétiens ont été les premiers à adhérer aux thèses du nationalisme arabe, les juifs étaient affiliés au communisme, souvent aligné sur la politique de l’URSS et premier à reconnaitre l’Etat d’Israël. Le développement du sionisme, l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la résolution 181633 votée le 29 novembre 1947 relative au partage de la Palestine et la proclamation de l’établissement de l’Etat d’Israël le 14 août 1948 sont autant d’événements qui radicalisent la perception de la population et des gouvernements envers les juifs de Syrie. Ainsi, depuis l’indépendance de la Syrie et dans l’objectif d’empêcher un déséquilibre démographique en Palestine au profit

628 Barah Mikaïl, « Les chrétiens de Syrie : un statut enviable ou une sérénité simulée ? », loc. cit., p. 55.

629 Salam Kawakibi, « L’immigration des chrétiens de Syrie », in CARIM, Consortium pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales, Institut Universitaire Européen, Robert Schuman Centre For Advanced Studies, février 2008.

630 Ibid.

631 Le nombre de juifs syriens en 1943 serait de 30.000, et en 1946 de 18.000. Jean Chaudouet, op. cit., p.

154.

632 Sous le mandat français, la Constitution de 1930 appliquait le système des quotas communautaires dans la représentation. Ainsi Yūsuf Līnādū est élu député juif de Damas au Parlement de 1932 et Waḥīd Mizrāḥī au Parlement de 1947. Samīr ʻAbdū, al-Yahūd al-sūrīyyūn (Les Juifs syriens), Damas, Dār Ḥassān al-Malaṣ, 2003, p. 33.

633 La Palestine est partagé en : Etat juif : 14 000 kilomètres carrés, avec 558 000 juifs et 405 000 Arabes ; Etat palestinien : 11 500 kilomètres carrés, avec 804 000 Arabes et 10 000 juifs ; une zone international qui comprend les Lieux saints, Jérusalem et Bethléem : 106 000 Arabes et 100 000 Juifs.

170 d’une population juive, les gouvernements nationalistes successifs syriens interdisent toute émigration des juifs de Syrie vers la Palestine. Le gouvernement cesse de leur délivrer des passeports, interdit le transfert des biens immobiliers, des terres et immeubles appartenant à des juifs de Syrie634. Des attaques contre les synagogues et les biens de la communauté israélite ont été enregistrées à Alep en 1947. Bien que les juifs de Syrie aient exprimé leur protestation contre le sionisme lors d’une manifestation organisée par la communauté juive à Alep en 1954635, ils ont été perçus avec méfiance. L’hostilité au sionisme et l’importance de la cause palestinienne s’accompagne d’une certaine instrumentalisation des juifs, renforcée par la défaite dans la guerre des Six jours de 1967 et la perte du Golan ; l’attitude à l’égard de la communauté juive dépend ainsi du contexte politique.

L’arrivée de Hafez al-Asad en 1970 et le soutien de la communauté juive du régime avec leur grand Rabin Ibrāhīm Ḥamra contribue à l’amélioration progressive de leur situation, en particulier concernant la question de l’interdiction de voyager à l’étranger. Ils seraient 4.574 en 1970 dont 2.894 à Damas, 1.266 à Alep et 414 à al-Qamichli en Haute Jazira636. Au début des années 1970, pour des raisons de santé ou professionnelles, certains ont reçu une autorisation individuelle pour quitter le pays pendant une durée limitée.

Depuis 1977, de jeunes femmes en particulier, ont été autorisées à quitter la Syrie pour épouser des membres de leur communauté vivant aux Etats-Unis. Depuis 1992, tous les juifs de Syrie sont autorisés à émigrer, à condition de ne pas se rendre directement en Israël. Aujourd’hui, le nombre de juifs restés en Syrie s’élève à cent, vivant à Damas, à Alep et à al-Qamichli637.

Si la mesure discriminatoire a été enlevée, les mesures laïques baathistes ne seront pas appliquées aux juifs. La mention de la religion mūsawī « juif » figure sur les cartes d’identité des juifs et ils sont dispensés de service militaire. Si le régime syrien récuse l’accusation par certains pays occidentaux d’antisémitisme, on trouve facilement dans les librairies des livres tels que le protocole des Sages de Sion, ou mein Kampf. Le livre de

634 Mitchell G. Bard, Mythes et Réalités des conflits du Proche-Orient, Paris, Edition Raphaël, 2003, p. 401.

635 Michel Seurat, « Les populations, l’Etat et la société », in André Raymond (éd.), La Syrie d’aujourd’hui, op. cit., p. 106.

636 Ibid., p. 105-106.

637 Samīr ʻAbdū, al-Yahūd al-sūrīyyūn (Les Juifs syriens), op. cit., p. 66.

171 l’ancien Ministre de la défense syrien Muṣṭafā Ṭlās Faṭīr Ṣahīyūn « Le Azyme de Sion », traduit en plusieurs langues, reprend l’accusation de meurtre rituel et d’utilisation du sang pour la fabrication du pain azyme et relate l’assassinat du Père capucin Thomas et de son serviteur chrétien Ibrahim Amarat en 1840 dans le quartier juif de Damas. L’objectif de ce livre, dit son auteur, « ne vise pas non plus les juifs en tant que peuple qui, comme tous les autres, regroupe les bons et les mauvais, mais il s’attaque à tous ceux qui ont déformé la Parole et falsifié la Bible, ainsi qu’à toutes les mauvaises pratiques qui contredisent à la fois les dix commandements et l’essence même du judaïsme et dont les instigateurs ne sont autres que les anciens et les actuels chefs de Tel Aviv 638» ; des propos qui contribuent à accroitre un certain antisémitisme en lien avec le conflit israélo arabe et la politique israélienne.

638 Muṣṭafā Ṭlās, faṭīr ṣahīyūn (Le Azyme de Sion), Damas, Dār Ṭlās, 1987, p. 6.

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II I I. . L Le es s K Ku ur rd de es s, , a as ss si im mi il la at t io i on n o ou u ma m ar rg gi in na al li is sa at t io i on n

La conception baathiste de la laïcité, à travers la consécration de l’arabisme comme culture et identité nationales, intègre plus facilement les différentes composantes confessionnelles de la société, étant donné que celles-ci, à l’exception des Arméniens, sont arabes, alors que l’adhésion des communautés ethniques non arabes (Kurdes, Turcomanes, Tcherkesses, Arméniennes) au modèle laïque baathiste s’avère plus problématique. Malgré une majorité arabe, définir la laïcité à travers la seule conception de l’arabisme639 suppose la « marginalisation » des communautés non arabes à moins qu’elles ne s’assimilent.

Si la Constitution permanente de la République arabe syrienne de 1973 respecte

« toutes les religions, garantit la célébration de tous les cultes pourvu que cela ne trouble pas l’ordre public 640», elle ne mentionne à aucun moment des dispositions concernant les droits nationaux ou culturels des minorités ethniques. La conception baathiste de la laïcité fondée sur l’arabisme ne regarde pas de la même façon les communautés ethniques et les communautés confessionnelles en matière de droit et de reconnaissance. Officiellement, le Baath ne mentionne aucun autre groupe ethnique que les Arabes, mais reconnait la présence de ces communautés ethniques ; en effet, l’unité nationale ne peut être garantie que lorsque les particularismes ethniques et confessionnels existant au sein de la nation arabe se fondent dans le creuset d’une seule nation dont l’harmonie est garantie par le lien national, en l’occurrence arabe641. Bien que les régimes baathistes tolèrent plus au moins l’observation de certaines manifestations culturelles des communautés ethniques non arabes (la communauté arménienne de Syrie, une minorité à la fois ethnique et confessionnelle, peut s’organiser en clubs et associations culturelles et disposer de ses écoles pour apprendre l’Arménien642), ils ne leur reconnaissent officiellement aucuns droits

639 Selon l’article 10 de la Constitution du Baath « Est Arabe quiconque dont la langue est l’arabe et vit sur le sol arabe ou aspire à y vivre et est convaincu de son appartennance à la nation arabe ». L’article 11 « Doit quitter le territoire arabe quiconque fait de la propagnade en faveur d’un groupement raciste anti arabe ou y adhère et quiconque y a émigré dans un but colonialiste ».

640 Article 35 de la Constitution syrienne de 1973.

641 Article 10 de la Constitution du parti Baath.

642 Nicola Migliorino, « Kulna Suriyyin ? The Armenian community and the State in contemporary Syria », in Sylvia Chiffoleau (dir.), in Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, La Syrie au quotidien : Cultures et pratiques du changement, sous la direction de Sylvia Chiffoleau, Aix-en-Provence, Edisud, 2006, n° 115-116, p. 111.

173 nationaux. Ainsi si l’assimilation des Arméniens ou même des Turkmènes et des Tcherkesses, faibles numériquement et ne témoignant pas d’aspiration nationaliste, ne pose guère de problème aux régimes baathistes, en revanche l’assimilation des Kurdes à l’idéal national tel qu’il est défini par le Baath s’avère plus délicate et cela en dépit de leur appartenance au sunnisme, religion de la majorité. De ce point de vue, « la question kurde » en Syrie constitue le plus grand défi au modèle laïque du Baath.

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