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Présentation des données et analyse

7 Perceptions face au handicap

7.4 Le handicap perçu comme un défi à relever

Nous avons vu que la souffrance accompagne les situations de notre corpus. Percevoir la survenue du handicap comme un défi à relever n’apparaît pas chez tous les frères ou sœurs qui nous ont raconté leur expérience.

Nous avons relevé cet aspect pour certains puînés et pour des fratries dont les parents sont engagés dans une foi et manifestant leurs convictions. Enfin, des frères et sœur aînés, comparant le handicap de leur frère à d’autres enfants de la même institution, que celle fréquentée par leur frère, qui selon leur perception paraissaient plus handicapés.

7.4.1 Le courage des parents

C’est Steve (E. 5) qui exprime le premier cela. Il met en lumière un paradoxe « concevoir la malchance de sa sœur, comme un cadeau pour les autres ». Il relie cet aspect très fortement à l’attitude parentale, ce qui est confirmé par sa sœur Fanny (E. 4).

Steve (E. 5) a d’abord raconté ce que cette expérience lui a apporté, nous y reviendrons dans la partie consacrée aux conséquences de l’expérience, et par la suite, nous posons la question, de savoir si des personnes extérieures à la famille ont pu jouer un rôle dans leur expérience.

S. Personnellement non. Des personnes à l’extérieur pas beaucoup. Ce travail là c’est nos parents qui l’ont fait, en ne nous surchargeant pas du fait de cette situation. Et j’ai pensé par moi-même et en parlant avec F. et les parents.

F. Peut-être il y a des personnes à l’extérieur qui nous ont dit : «Tes parents sont vraiment bien, ils ont la force et tout ça » seulement ça. Et je trouve que nos parents ont fait beaucoup pour créer cette belle cohérence dans notre famille.

Fanny (E. 4) comme Steve (E. 5), sont fiers de leur famille et sont également reconnaissants d’avoir eu des parents qui ont eu le courage de risquer d’avoir d’autres enfants malgré l’aînée en situation de handicap.

Ils l’expriment tous les deux :

F. Oui, moi je crois que pour nous ça a été une grande force, un grand cadeau que ma sœur et mes parents m’ont donné. C’est sûr si ma sœur arrivait dans une autre famille qui ne savait pas donner cette cohérence, cette force, certaines valeurs, nous aussi on était différent.

S. Oui, un cadeau c’est paradoxal à dire. Ils ont eu de la malchance d’un côté mais nous on reçoit aussi quelque chose de ma sœur.

Pour beaucoup de gens, c’est étonnant quand on a un enfant handicapé, il y a toujours ce risque d’avoir un deuxième enfant handicapé. C’est ce qu’on a dit à maman, oui il faut du courage de se dire je veux encore un autre enfant. C’est ce que je me dis aussi par rapport à maman, elle a eu beaucoup de courage pour vouloir un autre enfant.

Hélène (E. 26) reconnaît la gravité du handicap, et relève tout de même qu’elle et sa famille arrivent à vivre « avec ». Ici, le « on » englobe ses parents et elle-même.

C’est quand même un handicap grave, n’empêche qu’on arrive à vivre avec.

C’est avec une satisfaction non dissimulée, qu’Hélène (E. 26) exprime cette réussite de « vivre avec ».

Danielle (E. 11) lorsqu’elle réfléchit au pourquoi du choix de ses parents d’accepter l’adoption d’un enfant handicapé, utilise le « on » dans lequel elle s’inclut.

J’ai des copines qui ont des frères et sœurs handicapés et elles me disent qu’il y a des jours elles n’en peuvent plus, et moi je trouve qu’on a au moins laissé une chance à un enfant.

Laisser une chance à un enfant, c’est en quelque sorte relever un défi.

7.4.2 L’attitude engagée de la maman

Isabelle (E. 19) et Victor (E. 20) relèvent également le défi accepté par la maman en cohérence avec un engagement personnel de foi. Cette attitude parentale, permet au frère et à la sœur d’avoir un autre regard sur la situation. C’est particulièrement vrai pour Isabelle dans ce qu’elle raconte, lors de la visite à l’hôpital. Le « choc » d’Isabelle avait été renforcé par le fait de voir son papa pleurer, alors qu’elle revenait d’un séjour de vacances pour venir voir son petit frère à l’hôpital. La représentation qu’elle s’était forgée de l’événement, ne correspondait pas à ce qu’elle découvrit en arrivant chez elle.

(…) j’étais en vacances comme ça. Je ne pensais pas que ma maman allait accoucher pendant que j’étais partie. Elle avait deux semaines d’avance. Mais je me souviens ce qui m’a frappé, j’avais peur de voir ma maman à l’hôpital, alors que quand je l’ai vue elle était heureuse… elle s’est dit, il est comme ça et voilà. Ce ne sera pas facile, mais c’est comme ça, c’est tout. Dans la famille on est très croyants, et puis, mes parents en tout cas. De toute façon ils se sont dits il est venu comme ça et c’est comme ça.

La réaction de la maman permet à Isabelle de dédramatiser et d’adopter une attitude en se conformant à celle de la maman.

Voici comment Isabelle (E. 19) raconte son premier contact avec son petit frère trisomique : En fait je suis arrivée à l’hôpital, puis maman pleurait mais de joie d’avoir un petit garçon. Alors ça m’a un peu réconfortée, parce que les autres avaient presque exagéré, (…) Et je me souviens de la première fois où je l’ai pris dans les bras et je me suis dit voilà c’est mon petit frère, c’est mon seul petit frère, et que tu sois n’importe comment, tu seras toujours mon petit frère. Je mettrai tout en

Victor l’aîné complète :

Par exemple, maman n’aurait jamais voulu faire une amniocentèse pour voir s’il allait être handicapé ou pas. Elle disait justement, de toute façon elle le garderait, elle est absolument contre l’IVG, même si cela avait été un handicap plus difficile, elle n’aurait pas voulu.

Isabelle rajoute :

Moi je ferai la même chose. Si j’avais un accident, si j’étais enceinte, je ne peux pas non plus l’enlever. On a été élevé comme ça. Et moi je trouve absurde les gens qui vont enlever les enfants. Victor précise :

Surtout dans le cas d’enfants trisomiques. Moi aussi ça me choque, parce que je me dis que finalement, s’ils le font c’est par ignorance, parce que ils ne savent pas ce que c’est un enfant trisomique et ce n’est pas insurmontable.

Victor (E. 20) avait d’ailleurs très clairement évoqué le risque dont la famille était consciente au moment où la maman s’est retrouvée enceinte alors qu’elle avait déjà plus de 40 ans.

C’était assez inattendu. On ne s’attendait pas à avoir un petit frère supplémentaire une dizaine d’années après tous les autres.

Et puis c’est vrai qu’on savait aussi avant qu’il y avait certains risques, comme maman avait 43 ans, à ce moment là, on sait qu’il a plus de risques comme un enfant trisomique. (…)

Au fur et à mesure qu’il raconte, une dédramatisation a lieu.

Son handicap est finalement assez léger par rapport aux craintes qu’on a pu avoir. (…)

Enfin, comme pour sa sœur, la réaction de la mère est primordiale et son acceptation de la situation semble rassurer les enfants.

Maman était beaucoup plus…elle ne laissait pas passer beaucoup d’inquiétude, elle l’a accepté très rapidement, quoi, plus rapidement que papa.

7.4.3 Prendre du recul en comparant

C’est Nina et François (E. 29 - 30) qui parlent de «chance », en comparant la difficulté que pouvait éprouver des enfants handicapés qui fréquentent la même institution que leur frère.

N. On s’est quand même toujours dit qu’on avait de la chance. Même dans son école quand on y va, il y a des enfants qui sont autistes ou qui ont quelque chose d’autre. Et même leurs mamans à ces enfants, elles ont dit que c’était difficile, parce que ça ne se voyait pas physiquement. Donc les gens ne comprennent pas. Ils pensent que c’est un enfant normal, et quand ils font leurs crises, c’était toujours difficile à accepter. L. il pourrait être en chaise roulante, il pourrait ne jamais avoir été là, il pourrait...donc on a de la chance : il marche, il court, il parle, il rigole…

F. C’est clair il y en a qui sont beaucoup plus atteint. De ce côté-là L. ça va. On ne peut pas dire la chance dans la malchance mais…

François, souligne que le handicap de son frère est tout simplement une donnée de départ, qu’il n’y a rien à «discuter », il s’agit de vivre avec. Nina quant à elle précise que des explications ont été données, comprises par les aînés et que cela a permis d’accepter la situation telle qu’elle se présentait.

sorties, quand il était plus petit, des choses comme ça. Il y avait d’autres handicapés. Mais personne n’est venu de l’extérieur.

F. Justement du fait qu’on était petit quand il est né, on n’a pas eu à se poser la question, pourquoi il est comme ça… Y a pas à discuter. Il est comme ça, depuis le début. Y a pas à remettre en question ça.

Lorsque François parle ainsi, nous avons le sentiment qu’il adopte une attitude très proche de celle de son papa, qui lui aux dires de ses enfants, semble prêt à affronter le regard des autres contrairement à la maman au moment de la naissance.

7.4.4 Résumé des perceptions de défis

Nous aimerions souligner les similitudes relevées dans les situations où un défi à vivre une situation difficile est exprimé lors des entretiens évoqués.

La dimension d’une conviction personnelle liée à une foi a été particulièrement soulignée chez la mère de Victor et d’Isabelle, mais elle a aussi été évoquée chez Fanny et Steve ainsi que pour la maman d’Hélène, les parents de Danielle, la famille d’Eliette (E. 17) qui évoque la prière et Jean (E. 12). Cette conviction semble conférer une assurance, ressentie par les enfants comme rassurante et donnant du sens. En outre, pour Jean et Eliette, cette dimension apparaît comme une ressource personnelle.

La comparaison avec des situations jugées plus difficiles, comme l’évoque Nina et François (E. 29- 30), permet indéniablement de prendre du recul avec son propre vécu immédiat.

Enfin, Il se trouve que dans plusieurs de ces situations nous avons rencontré le frère et la sœur ensemble. Ce fut le cas de Fanny (E. 4) avec Steve (E. 5). Il en fut de même pour Isabelle (E. 19) et Victor (E. 20). Enfin, Nina et François (E. 29-30) ont également préféré nous rencontrer ensemble. Même pour Danielle (E. 11), l’entretien s’est effectué en présence du petit frère et en partie de la maman qui préparait son repas, dans l’espace de vie où tout est ouvert : cuisine, salon, salle à manger.

Se pourrait-il que lorsqu’on raconte à deux, ou en présence d’une autre personne, les participants soient enclins à souligner davantage, l’aspect « défi » à relever dans la vie familiale ?

Il n’y a qu’Hélène (E. 26) que nous avons rencontrée seule, mais sa maman était présente dans la maison et elles s’étaient entretenues ensemble au sujet de notre venue la veille.

Certains participants nous ont signalé que leur expérience d’avoir été un frère ou une sœur d’une personne en situation de handicap, constituait pour eux une situation perçue comme « normale »