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10.1 Introduction

Dans ce chapitre nous allons examiner ce qui dans les discours relève des conséquences de l’expérience faite par les frères et sœurs. Dans un premier paragraphe, nous relevons les conséquences considérées comme négatives pour les personnes, dans un deuxième, paragraphe les conséquences considérées comme positives. Dans le troisième paragraphe, nous retiendrons les répercussions qui ont été mentionnées ni comme positives, ni comme négatives, mais qui sont présentes dans le corpus.

10.2 Conséquences négatives

Nous avons relevé les mots clefs qui revenaient dans les discours dans le tableau 14 suivant. Du côté gauche nous avons relevé les verbes choisis pour parler de ce qui fut négatif, à droite nous avons noté ce qui relève d’un malaise évoqué. Dans la colonne du milieu, les prénoms fictifs des personnes concernées et le numéro de la retranscription.

Tableau 14 : Récapitulatif des conséquences négatives

Verbes choisis Prénom fictif Malaise évoqué

Faire des concessions, Abdiquer Mireille (E. 1) Ne pas savoir où se situer Découvrir ce qui est enfoui Se mettre de côté

Peur d’être oubliée

Pauline (E. 2) Garder sa peine, ne pas se mettre en face des problèmes, s’auto flageller, s’épuiser

Etre séparé Jacques (E. 3)

Un père qui ne veut pas parler Steve (E. 5) Fanny (E. 4)

Ça fait peur

Ne pas supporter Véronique (E. 6) Cauchemar, culpabilité

Avoir des roubles alimentaires Solange (E. 7) Avoir besoin qu’on s’occupe de moi, Etre seule, Avoir été adulte trop tôt

Etre Enervé, Agacé Josiane (E. 8) Ne pas pouvoir jouer tranquillement

Eviter les autres Stéphane (E.10) Avoir des questions auxquelles on ne peut répondre

Réexpliquer Danielle (E. 11) C’est dur

Réussir pour les autres Jean (E. 12) Sentir la pression

Plus de place pour moi Céline (E. 14) Ne pas avoir eu d’enfance en tant qu’enfant Apprendre à avoir honte Juliette (E. 28) La croyance de la punition divine.

10.3 Conséquences positives

Comme précédemment nous allons relever les termes choisis pour parler du positif dans la colonne de gauche, et les gains évoqués dans la colonne de droite. Dans la colonne du milieu, les prénoms fictifs des personnes concernées accompagnés du numéro correspondant à la retranscription en annexe.

Tableau 15 : Récapitulatif des conséquences positives

Verbes ou mots choisis Prénom fictif Gain évoqué

De la tolérance Mireille (E.1) Ce n’est pas si grave que ça de ne pas pouvoir faire ce qu’on veut. De la force dans la résistance Pauline (E. 2) J’ai eu de la chance quand même de rencontrer certaines

personnes à certains moments, et d’être là où je suis. Le respect des autres et des

différences

Jacques (E. 3) Ça ne me gênerait pas de causer avec un trisomique. Etre positive

et contente

Fanny (E. 4) Je me pose moins de problème quand il y a un ennui. Je me sens plus sûre, je me sens bien quand je parle avec les autres. Je n’ai pas peur.

La sensibilité Steve (E. 5) Cette capacité à accepter les choses

Avoir un coin à moi Véronique (E. 6) Une bonne leçon de vie. Je pense aussi que c’est ce qui m’a amené vers la physiothérapie.

Trouver des solutions Solange (E. 7) J’étais aussi fière de ça, parce que j’ai toujours été valorisée par tout le monde.

Les handicapés te serrent dans leurs bras

Josiane (E. 8) Je pouvais faire un stand, j’ai pu aider à la fête. Ça m’a aidé à savoir

comment faire.

Stéphane (E.10) Les copains ont compris que ça ne servait à rien d’avoir des craintes. Ils pouvaient de nouveau jouer avec moi.

Voir qu’il est content et tout le temps joyeux

Danielle (E. 11) A m’accepter comme je suis ça donne le courage. Responsabilisé

Débrouillard

Jean (E. 12) J’avais de la chance, car j’étais le seul à pouvoir faire quelque chose de « bien »

Ça va mieux. Aude (E. 13) Il (le frère) a fait des progrès en allant à B2

Responsable Céline (E. 14) Ça ma appris à prendre la différence comme elle est Il faut l’aider Yann (E. 18) Quand je croise une personne handicapée, il ne faut pas se

moquer d’elle. On apprécie tous les progrès

faits

Isabelle (E. 19) Finalement, il met tellement de bonheur dans la famille, c’est quand même incroyable.

10.4 Répercussions mitigées exprimées

Certaines répercussions n’ont pas été mentionnées comme positives ou négatives, c’est pourquoi, nous les nommons « mitigées ». Elles ne figurent pas dans les tableaux précédents, mais nous les relevons en les classant dans trois domaines. Nous allons le faire à l’aide de mots clefs repris dans les éléments catégorisés comme : conséquences sur la vie. En examinant, ces retranscriptions nous avons dégagé trois orientations :

 Les conséquences sur les compétences sociales

 Les conséquences sur l’avenir ou un choix professionnel

 Les conséquences sur la personne et son caractère ou ses attitudes  Les conséquences sur les compétences sociales

Protéger ou défendre le faible (C’est ce qui est revenu le plus souvent) Surveiller l’autre, faire attention

La compagne ou le compagnon doit accepter mon frère ou ma sœur Généreux, bénévole, engagé, Prendre soin

Etre sensibilisé au monde du handicap (institutions, écoles spéciales, copains du frère ou de la sœur). Respecter l’autre, Participer à la stimulation, Comprendre, Interdire.

 Les conséquences qui peuvent avoir une incidence sur le choix professionnel  Ce que les personnes ont appris

Vouloir donner une chance, Avoir envie de comprendre, (Mireille, 1)

Travailler avec des personnes qui ont besoin d’aide (Envie d’aider), Besoin d’aider (Juliette, 26) Tolérance, Compréhension, Ecoute (Véronique, 6)

 Métiers choisis ou activités nommées

Assistante sociale (Solange, 7), Physiothérapeute (Véronique, 6), Pompier ou Pilote de canadair (Stéphane, 10), Enseignant-e (Victor 20, Rose 24), Enseignante spécialisée (Mireille 1), Carrière militaire (Jean, 12), Tuteur-trice (Juliette, 28), ne pas travailler dans le secteur du handicap (Steve, 5 ; Hélène, 26) Educatrice (Céline, 14)

Il ne semble pas ressortir des éléments nouveaux, de ce qui est déjà connu dans la littérature. Scelles (1997) avait déjà relevé que le choix professionnel n’était pas dissocié de l’expérience faite d’être proche d’un pair déficient.

Des recherches ont montré qu’ils choisissent une carrière médico-sociale dans une plus grande proportion que dans la population « tout venant ». Scelles (1993, p.153)

 Les conséquences sur la personne et son caractère ou ses attitudes

Dans ce tableau, nous faisons apparaître ce qui habituellement est reconnu comme une qualité chez les personnes dans la colonne de gauche. A droite, nous mentionnons ce qui de notre point de vue pourrait constituer une expression masquée de la souffrance, qui peut ne pas avoir été reconnue.

Tableau 16 : Récapitulatif de répercussions mitigées exprimées

Eléments considérés comme des qualités relevés

Prénom fictif Expressions pouvant masquer une souffrance pas forcément reconnue Plus de maturité (C’est ce qui revient le plus) Pauline (2)

Céline (14) ; Jacques (3) ; Fanny (4)

Etre parfaite, fille modèle, ne pas causer d’ennuis

Accepter la différence Nina – François (29-30)

Responsabilisé Solange (7) ; Jean (12) ;

Eliette (17)

Ne pas subir, ne pas se laisser culpabiliser

Devenir l’aîné Jean (12) ; Céline (14)

Valorisé, être le meilleur, aller plus loin, Jean (12) Obligation de réussir

Avoir plus de liberté Jean (12) Livré à moi-même

Avoir plus de sensibilité Stéphane (10) Steve (5) Eliette (17)

Avoir pleuré

Etre gentil Véronique (6) La haine

Patience, souplesse, tendresse Danielle (11) Isabelle (19)

Fierté Jean (12)

Solange (7) Hélène (26)

Une sorte de pression

Ne pas avoir peur Stéphane (10) ;

Rose (24) Juliette (28) Avoir conscience de la faiblesse Jean (12)

Etre conciliant Danielle (11)

Hélène (26)

10.5 Résumé et commentaires des conséquences

Dans le tableau ci-dessus nous pouvons constater l’émergence de tensions à travers les termes utilisés par les mêmes personnes, c’est pour cela que nous les mettons sur la même ligne. Dans un cas, avoir de la maturité apparaît en même temps qu’être parfaite ou être une fille modèle ou encore ne pas causer d’ennuis.

Cela corrobore ce que Scelles (1997) avait déjà mis en évidence :

Peu de frères et sœurs d’enfants handicapés se donnent le droit de demander à leurs parents de les consoler et d’alléger leur souffrance. Scelles (1997, p.72)

Tout se passe alors, comme s’il fallait montrer que tout va bien et se comporter de façon à apporter le moins de soucis aux parents.

De même pour les expressions : «Avoir plus de liberté et Etre livré à moi-même» Là encore Scelles (1997) explique :

Les enfants très jeunes sont extrêmement dépendants des adultes, et la défaillance de ces derniers met en danger leur équilibre psychique. Ils ne comprennent pas ce qui arrive, n’ont pas de mots pour dire leur détresse, ne savent pas quelles questions poser pour mettre fin à leurs incertitudes, ou n’osent pas le faire. Enfin, leurs sources d’information sont moins diversifiées que celles de leurs aînés. Scelles (1997, p.102)

C’est lorsqu’ils son plus âgés que la liberté est vécue comme un avantage.

Notre constat confirmerait ce que Lüscher (1997) avait remarqué. Elle avait relevé que pour les frères et sœurs bien- portants, ce n’est pas la souffrance qui est toujours mise en avant. Pour beaucoup, l’expérience est vécue comme positive. Ils éprouvent de la satisfaction à procurer une aide au frère ou la sœur malade ou en situation de handicap. Ils se réjouissaient dans leur enfance et se réjouissent toujours pour les grands ou petits progrès et considèrent comme un gain cette expérience qui leur a permis d’arriver à mieux comprendre les difficultés d’autres personnes. Ils sont souvent tolérants, sensibles, ouverts, capable d’autocritique envers eux-mêmes en tant qu’adultes reconnaissants pour leur santé et leur intelligence.

Toutefois, il faut souligner que nous n’avons eu accès qu’aux personnes qui étaient d’accord de raconter leur expérience et que nous n’avons pas choisi les participants. Or, il paraît assez évident, que les personnes manifestant leur accord pour raconter sont peut-être davantage celles qui éprouvent le vécu comme positif et non comme négatif. Cela diffère considérablement des

situations décrites chez Scelles (1997), qui dans un service de consultation psychologique sera davantage témoin du vécu de souffrances, exprimées.

Lüscher (1997) avait relevé aussi que pour le groupe qui considère que la présence d’un frère ou d’une sœur dans leur fratrie était plutôt dommageable, ils considèrent leur situation familiale avec rancune, au sujet du ressenti de négligence et des devoirs lourds et pesants à assumer. En même temps, subsistent des sentiments de culpabilité concernant leur propre colère contre les parents et l’enfant handicapé et les sentiments de devoirs à accomplir qui les oppressent et qu’ils refoulent. Pour eux les souvenirs restent liés à la restriction, aux exigences, aux renoncements et aux peurs, comme un nuage gris suspendu au-dessus de leur enfance.

Alors dans les expressions de notre corpus ne pourrait-on pas reconnaître aussi ce genre de vécu dans les conséquences sur les personnes qui s’expriment ainsi : « Ne pas avoir peur, Ne pas subir,

ne pas se laisser culpabiliser, Avoir pleuré, devoir être parfaite, fille modèle, ne pas causer d’ennuis. »

C’est peut-être en réaction à des affects éprouvés en lien avec un vécu de souffrance que ces personnes ne souhaitent plus revivre, même si cela n’a pas été désigné comme négatif.