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3 L’INTEGRATION LINGUISTIQUE ET SCOLAIRE

3.1 Le français enseigné

A la question « Quel français enseignez vous ? », les réponses des enseignants de CLA interrogés ont été le plus souvent en partie similaires. Tous ont déclaré enseigner le FLE et le FLS. Selon les dispositifs, certains ont également précisé qu’ils enseignaient le FLM ou le français d’alphabétisation. Il est donc maintenant temps d’expliciter toutes ces notions.

Le Français Langue Etrangère (FLE) est une didactique du français en usage à l’étranger pour enseigner la langue et la culture françaises. Il est d’usage en France auprès d’un public allophone de débutants complets en français puisque le premier objectif visé est de permettre aux élèves de communiquer. Les méthodes de FLE sont les plus valables pour enseigner aux élèves un français dit de communication afin de leur permettre de s’exprimer

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Le Français Langue Seconde, Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP), Collège repères, publication du Ministère de l’Education Nationale, p.8.

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BOYZON-FRADET Danielle et CHISS Jean-Louis (Dirs.), Enseigner le français en classes hétérogènes :

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dans la classe et en dehors de celle-ci, dans leur vie quotidienne en France. Ainsi, les enseignants mis face à des élèves ne parlant pas le français peuvent exploiter les méthodes de FLE en usage dans les pays étrangers jusqu’à un certain point, raison pour laquelle certains d’entre eux ont précisé utiliser ces méthodes avec un public de non francophones ou de débutants absolus. La brochure éditée par le MEN en 2000 sur le français langue seconde préconise l’emploi de manuels de FLE mais précise ce qui doit être ajouté ou omis pour rendre l’enseignement plus adéquat au public ciblé105.

Le Français Langue Maternelle (FLM) renvoie au français tel qu’il est enseigné traditionnellement en France. Il s’est en quelque sorte défini par contrecoup à partir des années 1970. Depuis l’influence de la sociolinguistique, il s’intéresse aux registres et aux niveaux de langue. Les capacités expressives à l’oral et à l’écrit sont évoquées mais on raisonne souvent en terme d’écart par rapport à une norme. Il s’appuie beaucoup sur les pratiques spontanées de l’élève et constitue essentiellement un travail sur le code même si les pratiques évoluent. Les supports d’apprentissage sont généralement écrits et littéraires. Les dominantes telles que la lecture, le vocabulaire, la grammaire et l’orthographe doivent être étudiées dans des séquences pédagogiques qui laissent paraître un fil conducteur de manière à donner du sens à l’enseignement. Une grande place est accordée à l’étude des formes de discours et des genres littéraires.

Le Français Langue Seconde (FLS) est une notion beaucoup plus problématique à définir. Il n’est pas « une discipline distincte du français telle qu’elle est définie dans les programmes officiels du collège, mais une modalité d’accès à cette discipline pour les élèves arrivés de l’étranger en France en cours de scolarisation. Il s’agit d’un enseignement intensif du français à destination d’élèves qui doivent acquérir le français comme langue de scolarisation et comme langue de communication avec leur environnement106. » Il est précisé également que c’est un « domaine pédagogique de transition107 », une passerelle amenée à disparaître lorsque l’élève se retrouve dans une classe du cursus ordinaire, et que le rythme d’apprentissage est plus rapide qu’en FLE car les besoins de formation sont beaucoup plus importants que lorsque l’on apprend une langue étrangère uniquement pour communiquer. C’est une méthode d’apprentissage qui a pour objectif principal de parer à « l’urgence ». Pour résumer, on peut dire que le FLS se place sur un continuum entre FLE et FLM. « [Il] part [en effet] des apprentissages initiaux organisés selon une démarche caractéristique du FLE pour

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Le Français Langue Seconde, Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP), Collège repères, publication du Ministère de l’Education Nationale, p.16.

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Op. Cit. p.5.

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évoluer progressivement vers une approche et un traitement des contenus relevant du FLM108 »

Il est également utile de préciser que l’enseignement en contexte FLS - c'est-à-dire auprès d’un public donc la langue d’apprentissage n’est pas la langue première mais une langue possédant un statut important et dominant dans le lieu de vie de l’apprenant - a un impact fort sur le développement cognitif et psychologique des élèves. La langue enseignée est seconde sur le plan psycholinguistique puisqu’elle intervient après la langue première mais, dans la mesure où « on ne peut pas apprendre une langue comme simple instrument sans qu’elle soit aussi un lieu de construction de l’identité109 » elle exerce un rôle essentiel sur le sujet. Ainsi, l’élève va se trouver dans une position ambiguë : il va apprendre à conceptualiser sa pensée et à développer son esprit d’analyse dans une langue qui n’est pas originellement la sienne. Cela va être difficile à gérer notamment si sa langue première est dépréciée. Dans le cas des ENA, la LS va devenir une langue première sur le plan sociolinguistique puisque les élèves doivent utiliser cette nouvelle langue pour s’insérer dans la sphère sociale et professionnelle de leur nouvel environnement.

Certains auteurs utilisent également la notion de « langue d’intégration scolaire » ou de Français Langue de Scolarisation (FLSco) qui a l’intérêt d’être moins polysémique que le FLS, utilisé pour évoquer d’autres réalités. C’est le cas de Michèle Verdelhan-Bourgade qui définit le Français Langue de Scolarisation dans l’ouvrage portant précisément ce titre110. Selon ses propos, Le FLSco est à la fois la langue enseignée à l’élève et la langue d’enseignement. C’est d’ailleurs ce qui fait sa particularité. C’est une langue qui a un triple rôle. Elle est une matière d’enseignement, elle permet d’aborder les différentes disciplines enseignées et elle est également la langue de la communication scolaire. C’est une langue normalisée, plus complexe que la langue utilisée quotidiennement dans la mesure où l’écrit y a un rôle très important et aussi parce qu’elle permet d’aborder les types de discours scolaires, les vocabulaires disciplinaires et les pratiques langagières complexes de l’école. D’après Jean Pierre Cuq, elle joue un rôle fondamental dans « le développement psychologique, cognitif et informatif111 » des apprenants. Elle permet en effet à l’élève d’apprendre son « métier d’élève » et les compétences à acquérir ; c'est-à-dire les savoirs déclaratifs, les savoirs faire et

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Op. Cit. p.20.

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DAVIN-CHNANE Fatima, Didactique du français langue seconde en France, le cas de la discipline

« français » enseignée au collège, Thèse Aix-Marseille octobre 2005, p.121.

110

VERDELHAN-BOURGADE Michèle, Le Français de scolarisation, pour une didactique réaliste, Ed. PUF, Paris, 2002.

111

CUQ Jean-Pierre (dir.), Dictionnaire de Didactique de Français Langue Etrangère et Seconde, Ed. Clé Internationale, Paris, 2003, p.139.

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les savoirs être. Grâce à elle, l’élève accumulera des connaissances sur le monde et sur la langue, il accèdera à l’écrit et saura mettre en pratique des apprentissages. Il parviendra à raisonner, à acquérir de la méthode et à adopter un comportement favorisant la relation au savoir.

Le français d’alphabétisation ne concerne pas seulement les migrants. Il est en usage auprès d’un public « âgé » qui n’a pas été alphabétisé, ou très peu. Les progressions généralement mises en place par les méthodes s’adaptent à un public pour lequel l’apprentissage doit faire immédiatement sens en étant en lien avec les expériences de la vie quotidienne. Un recours à une pédagogie différenciée est quasi-incontournable car les besoins et les centres d’intérêt des uns et des autres diffèrent. Les méthodes d’alphabétisation sont souvent utilisées avec des adultes en milieu associatif mais elles permettent aussi d’engager un apprentissage avec des élèves adolescents non ou peu scolarisés antérieurement (NSA et PSA). Actuellement, il n’existe aucune méthode d’alphabétisation spécifique pour adolescents. Tout se passe un peu comme si les jeunes migrants peu ou pas scolarisés étaient ignorés alors que ce sont eux qui ont le plus de besoins.

L’enseignant en poste dans un dispositif accueillant des migrants doit avoir conscience de toutes ces distinctions pour tenter de mener à bien sa tâche en choisissant une didactique adaptée au public enseigné. Je tiens à préciser ici que les professeurs rencontrés étaient pour la plupart expérimentés et formés en didactique du FLE-FLS. Sur vingt et un enseignants sondés, dix-sept ont au minimum une mention ou un DU de FLE. Quinze ont passé la certification FLS en vigueur depuis 2005112. Quatorze ont suivi ou suivent régulièrement des formations sur le FLS dans le cadre du plan académique de formation (PAF) et parmi eux sept ont pu suivre un stage BELC sur le FLS au CIEP. La plupart des enseignants sont titularisés de l’Education Nationale et ont une bonne connaissance des programmes et des directives officielles. Quatorze ont une formation en lettres modernes, quatre en langues vivantes (anglais), une en lettres/anglais au LP et deux sont formés en linguistique. L’expérience en classe d’accueil est variable: elle va de un an à dix-sept ans. Les moins expérimentés ne rechignent pas à se former. Certains ont des parcours professionnels singuliers et une expérience de l’enseignement du français à l’étranger. Il me semble donc que la critique récurrente des chercheurs sur le manque de formation des enseignants n’est plus d’actualité ou

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La certification FLS a été mise en place à titre expérimental en 2002-2003. Son application effective a eu lieu en 2005. Pour plus de renseignements, consulter le BO n°39 du 28 octobre 2004.

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exagérée, en tout cas, elle est en inadéquation avec ce que j’ai pu constater sur mon terrain d’étude113.