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I. L’herméneutique cannibale : rêve, folie, violence

3. Le détour heideggérien ou la secondarisation de l’affectivité

Conformément à ce qui vient d’être développé, c’est à la conception heideggérienne de l’éthique que nous nous intéresserons ici en tant que, pensons-nous, elle nous permettra d’éclairer différemment le projet éthique sartrien en cernant de manière plus aiguë les lacunes qu’il semble receler. Loin de condamner l’éthique, Heidegger entendait lui redonner un sens qu’il pensait originel, celui de « séjour de l’homme »208

dans la vérité de l’être. Cette définition et

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Martin Heidegger, Questions III & IV, traduit par J. Beauffret, F. Fédier, J. Hervier, J. Lauxerois, R. Munier, A. Préau et C. Roëls, Paris, Gallimard, « Tel », 1990, p. 119.

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les termes qui la composent demeurent interpellants. Qu’entend-il exactement par « séjour » ? Et quelle est cette « vérité de l’être » ?209 Peut-être nos interrogations se dissiperont-elles quelque peu si nous considérons en parallèle certaines formulations adjacentes de la problématique éthique que Heidegger nous soumet210.

A. Redéfinition de l’éthique

a. Inauthenticité et authenticité

1) Lorsque le Dasein découvre et s’approprie proprement le monde, lorsqu’il s’ouvre à lui-même son être authentique, alors cette découverte du « monde » et cette ouverture du Dasein s’accomplit toujours en tant qu’évacuation des recouvrements et des obscurcissements, et que rupture des dissimulations par lesquelles le Dasein se verrouille l’accès à lui-même.211

L’éthique s’accompagne ici d’un mouvement « destructeur » (ou « purgatif ») battant en brèche nos représentations. Ces dernières, considérées comme autant d’obscurcissements de notre ouverture à l’être, sont à la fois le vecteur et le produit du langage et de la métaphysique qu’il charrie à son insu. Reçues d’autrui, elles incarnent l’emprise qu’autrui a sur nous et la dépendance dans laquelle nous nous mettons par rapport à lui afin de nous décharger du poids de notre responsabilité. Le « séjour » que doit effectuer l’homme prend donc ici la forme d’une rupture, d’un élargissement et d’un éclaircissement dissipant un certain mode du penser dominé par la publicité du « On ». Tout comme pour la réflexion pure, le mouvement éthique ne peut s’accomplir, en tout cas au début, dans les sphères langagière et conceptuelle.

2) Cette transformation éthique – il s’agit bien, en effet, d’une modification d’un mode d’être-au-monde caractérisé par une certaine façon de penser (le Vorstellen) pour un autre mode d’être-au-monde que Heidegger finira par appeler « pensée tautologique » – s’accompagne d’un passage menant de l’inauthenticité (Uneigentlichkeit) à l’authenticité (Eigentlichkeit) (ou : de l’« impropriété » à la « propriété »). Toutefois, cette dernière ne consiste nullement en

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D’une certaine façon, le seul terme que nous n’interrogeons pas (i.e. « homme ») est peut-être le plus important. Nous ne nous aventurerons pas sur les sentiers battus, mais néanmoins escarpés, de la « querelle sur l’humanisme ». Simplement ferons-nous remarquer qu’il conviendrait de relier de manière serrée les discussions autour du « uns menschen wenigstens » de Kant à la connaissance pragmatique développée par ce dernier dans son Anthropologie.

210

Le statut de « détour » que nous donnons à ce passage sur un aspect de la pensée de Heidegger est stratégique. Si nous accordions à chaque point abordé les développements qu’il mérite, nous désamorcerions cette volonté stratégique. Que l’on ne se méprenne donc pas sur l’apparente désinvolture avec laquelle nous traitons le texte heideggérien ainsi que sur la quasi-absence des discussions présentes dans l’abondante littérature secondaire.

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l’éradication du « On », mais constitue bien plutôt une manière de le désinvestir pour le réinvestir d’une façon différente : « L’être-Soi-même authentique ne repose pas sur un état d’exception du sujet dégagé du On, mais il est une modification existentielle du On comme existential essentiel »212. Autrement dit, la rupture que nous avions identifiée comme caractéristique du séjour de l’homme n’est pas une annihilation, elle est un désengagement provisoire offrant la possibilité d’un engagement autre dans le régime du « On ». Ce nouvel engagement entre en tension avec la tendance à l’inertie que possède l’être-au-monde quotidien dont Heidegger nous dit qu’il est à la fois tentateur, rassurant et aliénant213

. Nous retrouvons encore, dans cette deuxième phase, un trait souligné également par Sartre : la réflexion pure ne coïncide pas avec une suppression de l’action mais est une suspension de l’attitude quotidienne au sein de l’action. Cette modification fait que l’action ne poursuit plus à présent la causa sui mais répond aux exigences, qu’elle aura spontanément découvertes, de la situation.

3) En plus d’une modification de notre rapport au monde (Besorgen) par un décrochage par rapport à nos représentations, l’éthique implique un changement dans notre rapport à autrui. La sollicitude authentique (Fürsorge) se laisserait décrire comme une sorte d’interpellation rendant autrui capable de « se problématiser ». Nous entendons par là qu’autrui, arraché au monde de l’évidence, devient à lui-même son propre souci. L’envers inauthentique de cette sollicitude consiste donc à rendre autrui incapable de se reprendre et de s’interroger en le déchargeant de ses responsabilités. C’est là une caractéristique que nous n’avions pas relevée auparavant mais qui n’entre nullement en contradiction avec le fait qu’autrui devienne pleinement, pour Sartre, un agent qui m’enrichit et que je dois donc valoriser en tant qu’autrui.

Ces détours sont brefs, mais ils nous permettent néanmoins de tenter une première, et encore approximative, reformulation de l’éthique, reformulation sous forme d’équivalence : l’éthique est un mouvement qui nous arrache à une pensée dépendante du régime langagier et métaphysique dominé par autrui, mouvement accompagnant une forme nouvelle d’investissement dans l’existence, c’est-à-dire une forme authentique de souci (Sorge, dans sa double dimension de préoccupation et de sollicitude) dans laquelle le Dasein ne se détermine plus ni à partir des choses ni à partir d’autrui. Demeure cependant une question : les deux pôles de cette équivalence s’étagent-ils dans le temps ou restent-ils solidaires en chaque unité

212

ET, p. 110.

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temporelle ? Autrement dit, doit-on considérer qu’il faille d’abord lever les obscurcissements de notre propre ouverture à l’être et à nous-mêmes pour ensuite revenir et exister différemment, ou bien ces deux mouvements n’en sont-ils qu’un ? Il semblerait, en une première approche, que la première solution, celle d’une différentiation temporelle, soit la plus plausible214

. En effet, comment imaginer qu’un tel saut hors du langage et du monde quotidien, qui perdent dès lors toute signification (« saut », ou « retrait », que Heidegger identifiera à la mise en place d’une pensée méditante215), puisse s’accompagner sans difficulté d’une forme de souci de soi, de souci du monde et de souci d’autrui ? Il est trop tôt toutefois pour tirer des conclusions, et nous aurons à revenir sur cette question lorsque nous aurons éclairci la deuxième partie de la définition dont nous sommes partis, celle de la « vérité de l’être ».

b. Deux analytiques existentiales ?

Considérée sous cet angle, l’éthique offre la possibilité d’un redoublement de l’analytique existentiale dans lequel nous trouvons, d’une part, une description de la structure de l’ouverture qu’est le Dasein – affection (Befindlichkeit) et compréhension (Verstehen) avec comme racine commune le « parler » (Sprache) – et, d’autre part, cette même structure mais polarisée par l’opposition entre « authenticité » et « inauthenticité » (ou « propriété » et « impropriété »). Dans cette seconde perspective, à chaque élément structurel de l’ouverture qu’est le Dasein « de prime abord et le plus souvent » (zunächst und zumeist) correspond un élément qui n’est autre que lui- même mais traversé et transformé par le mouvement éthique. Ou : il est lui-même mais sur le mode de l’authenticité. Par exemple, le bavardage constitue la modalité inauthentique du parler tandis que le faire-silence en est la modalité authentique.

Une certaine asymétrie semble toutefois frapper cette présentation lorsque l’on aborde l’affection. L’affection est l’ouverture, sous une certaine tonalité affective et au sein d’un projet compréhensif, à l’étant en totalité. Cette ouverture peut se réaliser tant sous la forme d’une obstruction (« de prime abord et le plus souvent ») – lorsqu’elle se rabat sur ce qui est ouvert et

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C’est également l’opinion de Jeanson, pour lequel ce dégagement n’est à effectuer qu’« en vue d’éclairer l’engagement même qui caractérise notre existence, et sans lequel il n’eût pas été concevable » (Le problème de la

morale dans la philosophie de Sartre, Paris, Myrte, 1963, p. 106). À vrai dire, Jeanson parle de Sartre mais il

souligne dans ce même passage, comme nous l’avons également fait auparavant, la proximité de ce dernier à Heidegger sur cette question.

215 Méditer signifie ici méditer sur l’essence de la métaphysique en tant que cela permettrait de s’approprier les

préjugés qui la soutiennent et donc de s’en libérer. Cette libération offrirait en outre l’occasion d’une sortie hors de l’histoire de la métaphysique, c’est-à-dire hors de l’histoire occidentale.

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voile ainsi le fait d’ouvrir proprement dit – que d’une désobstruction dans laquelle l’ouvrir s’apparaît en et à lui-même. Ne serait-il pas tentant, par analogie avec la symétrie structurelle que nous venons de proposer, de voir dans la peur un mode impropre de l’affection dont le pendant authentique serait l’angoisse ? Une telle proposition s’avère toutefois problématique. En effet, si la curiosité ou l’équivoque sont les modalités ontologiques de la compréhension dans l’échéance (Verfallen), la peur n’est, elle, qu’une tonalité affective ontique… tout comme l’angoisse (et cela même si cette dernière nous dévoile le fond ontologique du Dasein). Par ailleurs, l’asymétrie s’accentue lorsque l’on prend en compte la fonction que Heidegger assigne à l’angoisse : elle est l’opérateur offrant la possibilité d’un passage de l’inauthenticité vers l’authenticité. Cette asymétrie n’est pas insignifiante : il semblerait que l’affection, cette structure de l’être-au-monde que l’Occident a, selon Heidegger, négligée depuis Aristote, revête une importance considérable pour l’éthique que nous essayons de cerner. Aussi nous faut-il mieux comprendre son fonctionnement.

B. L’affection

a. La secondarisation de l’affection

Au paragraphe 29 de Sein und Zeit, Heidegger s’attelle à cerner la structure de l’affection en tant qu’existential fondamental. D’entrée de jeu, il relève certaines caractéristiques de l’« être- intoné » (Gestimmtsein) : ce « fait d’être toujours déjà disposé » est bien connu, c’est en quelque sorte la chose la mieux partagée du monde, et pourtant le « pourquoi » de cela ne peut être réellement connu puisque « les possibilités d’ouverture du connaître portent bien trop court par rapport à l’ouvrir originaire »216

. En outre, ces tonalités affectives (Stimmungen) d’ouverture au monde font preuve d’une certaine versatilité. Se dégagent progressivement les contours d’une sorte d’« inertie » du Dasein, lequel semble voué à se laisser balloter au gré des fluctuations des tonalités sans avoir de prise réelle dessus217. Cette structure qui, en un sens, « précède » le Dasein, qu’il a à assumer et de laquelle il lui est intrinsèquement impossible de prendre connaissance, Heidegger la nomme également « facticité » ou « être-jeté ». De surcroît, si l’affection découvre, en le recouvrant le plus souvent, l’être-jeté, elle découvre d’un même

216

ET, p. 113.

217 Du moins tant que l’on considère qu’avoir prise sur quelque chose c’est le connaître. C’est bien le rapport entre

le vécu et le connaître qui est en jeu ici. Le connaître dépend d’un vécu qui le dépasse et dont il pense pourtant pouvoir faire le tour.

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mouvement la totalité de l’étant et offre ainsi la possibilité à un étant intramondain de faire encontre. Sans affection point de sensibilité ; sans elle nos sens n’auraient aucun sens. Et Heidegger d’insister à nouveau sur le caractère fluctuant des tonalités qui implique une inconsistance et une impermanence de la mondanéité de l’à-portée-de-la-main (Zuhandenheit). Bien qu’à ce caractère fluant de l’affection ouvrante il oppose la visée théorétique du pur-sous- la-main (Vorhandenheit), il note que « même la theoria la plus pure n’a pas laissé toute tonalité derrière elle »218. En effet, la cognition du pur-sous-la-main ne se laisse-t-elle entreprendre que « dans le séjour calme auprès de… ». On ne saurait trop insister sur l’importance de cette liaison entre une vision théorétique et une tonalité subjective puisqu’elle semble suggérer qu’effectuer une observation de moi-même (comme, on s’en souvient, le proposait Kant) exige avant tout d’être calme. Confirmée, cette proposition fournirait un outil effectif dans la production et la maîtrise de l’observation.

Mais si l’affection détermine tant la manière dont nous sommes au monde que la manière dont le monde nous apparaît ainsi que la façon dont nous nous livrons à lui, la tâche la plus urgente ne serait-elle pas celle de rechercher des moyens permettant, sinon de maîtriser, du moins d’avoir un impact sur ces tonalités affectives219

? Heidegger imprime d’ailleurs une direction à ces recherches qu’il n’entreprendra pas lui-même. Nous savons en effet que le connaître et le vouloir, s’ils sont ontiquement d’une utilité certaine, ne constituent pas des voies d’accès efficaces à la maîtrise de la tonalité puisque cette dernière est « le mode d’être originaire du Dasein où celui-ci est ouvert à lui-même avant tout connaître et tout vouloir et au-delà de leur portée d’ouverture »220. Et l’auteur de suggérer que « nous ne nous rendons jamais maître de la

tonalité sans tonalité, mais toujours à partir d’une contre-tonalité »221

. Cette proposition restera cependant lettre morte. Il apparaît effectivement bien vite que c’est le comprendre qui sera privilégié par Heidegger. Compréhension et affection sont certes co-originaires – nul comprendre

218

ET, p. 115.

219 Selon Heidegger, hormis Pascal, Augustin et, plus récemment, la phénoménologie, les philosophes ne se sont

guère intéressés à ce problème depuis Aristote et le stoïcisme.

220

ET, p. 114.

221 ET, p. 114. La tournure de cette phrase n’est évidemment pas sans rappeler, ce qu’avait déjà relevé D.

Giovannangeli dans son enseignement, la proposition 7 du livre IV de l’Éthique : « Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment contraire et plus fort que le sentiment à contrarier » (Spinoza,

L’Éthique, traduit par R. Caillois, in Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1954, p. 496). Cette

agonistique des affects est présente tant au niveau individuel et infra-psychique qu’au niveau collectif (ce qui justifie le retour fracassant de Spinoza dans les sciences humaines).

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qui ne soit toujours déjà intoné, nulle affection hors d’un projet compréhensif222

– mais la primauté que Heidegger confère au comprendre est patente ; elle coïncide avec le mouvement de retour vers l’existence que nous avons isolé plus haut. C’est bien dans la dimension du projet que Heidegger place la possibilité d’une existence authentique, et ceci n’est évidemment pas sans lien avec la primauté de l’ek-stase future sur les autres. Cette absence de prise en compte sérieuse de ce qui a été dégagé dans l’analyse de l’affection est d’autant plus surprenante que c’est bien à partir d’un affect particulier, l’angoisse, que Heidegger approfondit son dépliement de la structure du Dasein, mettant en évidence la possibilité pour celui-ci d’un passage à l’authenticité. Avant de tenter une explication de cette absence, voyons de quoi il retourne dans l’angoisse.

b. L’angoisse

L’expérience affective de l’angoisse vient briser l’existence quotidienne placée sous le signe d’une différence entre un sujet (moi) et un objet (le monde, « la réalité », ce qui fait évidence). L’angoisse est l’expérience de l’identité, au sein du mouvement de compréhension d’être, de l’ouverture, qu’est le Dasein, et de l’ouvert, c’est-à-dire de ce qui surgit dans l’aire de jeu qu’il a délimitée. Heidegger insiste beaucoup sur le caractère méthodologique fondamental de l’angoisse : elle possède en effet cette propriété qu’elle isole le Dasein et le ramène à son propre, c’est-à-dire qu’elle permet d’expérimenter un solipsisme existentiel face auquel l’authenticité et l’inauthenticité apparaissent comme des possibilités d’être. Pour le dire encore autrement, l’angoisse remet le Dasein face à sa responsabilité originelle qui est de pouvoir exister proprement ou improprement, responsabilité voilée en temps normal par l’étant intramondain sur lequel le Dasein, se fuyant lui-même, échoue. Cette capacité qu’a l’angoisse de faire coïncider directement le pôle objectif, le pôle subjectif et l’expérience angoissante elle- même, la propulse au rang de Grundstimmung ou de Befindlichkeit insigne. En somme, cette tonalité affective ontique a ceci de particulier qu’elle permet de faire face à la donnée ontologique fondamentale que le Dasein fuit la plupart du temps : celle de l’identité entre pôle objectif, pôle subjectif et expérience (ou encore entre ouvrir, ouvert et ouverture).

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Il convient donc de distinguer : l’existence propre ou authentique dont nous avons parlé jusqu’à présent correspond au sens lâche d’Eigentlichkeit223

, par quoi il faut comprendre le retour dans l’existence quotidienne en ayant conservé une trace du « caractère problématique de l’ouverture »224

, bref de l’expérience de l’identité entre ouvrir et ouvert. Autrement dit, cette existence propre ou authentique au sens lâche évolue avant tout dans la sphère du « comprendre ». Par contre, le décrochage par rapport au « moi » et à l’étant auquel le Dasein se rattache dans l’échéance, ce décrochage a lieu dans l’affection. Cette suspension de l’« identité mondaine » ou « ontique » par l’identité de l’ouverture et du monde constitue l’Eigentlichkeit au sens strict. Puisque c’est au sein de l’affection que s’opère le mouvement qui me met face à ma responsabilité, c’est elle qui rend possible une existence authentique. Et si l’angoisse est une Befindlichkeit insigne – son affect est immédiatement identique au sujet et à l’objet de l’expérience, me mettant en quelque sorte face à « moi-même » –, il faut bien voir que la moindre affection, en tant que tonalité affective de l’ouverture, possède tous les moments constitutifs de l’être-au-monde, à savoir le monde, l’être-à et le Soi-même. Potentiellement donc, il serait possible d’éprouver l’identité de l’ouvrir et de l’ouvert, du monde et de l’être-au-monde, identité qui est dépersonnalisation ou dé-propriation responsabilisante, en chaque affection. Cette conséquence, qui demeure formelle et abstraite dans l’œuvre de Heidegger225

, est de toute première importance et doit être soigneusement conservée en mémoire. Elle implique que ce que

223

Nous devons cette distinction aux analyses de Julien Pieron dans Identité, différence, production immanente.

Prolégomènes à une lecture « systématique » de l’œuvre de Heidegger, thèse de doctorat, Liège, 2005-2006. Un

livre a été publié sur la base de ce travail : Julien Pieron, Pour une lecture systématique de Heidegger. Identité,

différence, production immanente, Bruxelles, Ousia, 2010.

224

Contrairement au On qui désigne un « mode d’être non-problématique de l’ouverture » (ibid., p. 142).

225 Il convient de tempérer cette affirmation qui ne prend en compte que l’œuvre heideggérienne à laquelle Sartre

avait accès. En effet, il serait tout à fait possible de défendre le point de vue selon lequel la destruction de la

métaphysique n’est que l’envers négatif dont l’avers est l’apprentissage de la « mêmeté », de cette source de l’apparaître. Janicaud explique comme suit cette « phénoménologie tautologique » qu’est la phénoménologie de l’inapparent : « Se tenir auprès de…, écouter, regarder d’un autre regard : tout cela, comme l’Éveil bouddhique (mais là s’arrête sans doute l’analogie) réclame temps, patience, endurance. […] Apprendre à habiter sobrement auprès du surgissement même du temps, de la parole, du monde, voilà un ‘programme’ qui n’a strictement plus rien à voir ni avec le progrès de la science ni même avec l’enrichissement du savoir. C’est bien plutôt une éthique du non-savoir, acquise grâce à une traversée herméneutique-critique de la visée épistémique et métaphysique en sa volonté d’objectivation. […] cette discrète innovation est faussement modeste : elle entend amorcer, comme Heidegger lui-même l’a suggéré, une sortie hors de l’histoire occidentale » (La phénoménologie dans tous ses

états, Paris, Gallimard, 2009, pp. 264-265). Comme nous le verrons, nous souscrivons pour notre part au

programme de « phénoménologie minimaliste » tel que l’a décrit Janicaud dans cet ouvrage : articuler cet