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L’exigence de rupture perpétuelle ou le refus des médiations A Lire et penser

I. L’herméneutique cannibale : rêve, folie, violence

5. L’exigence de rupture perpétuelle ou le refus des médiations A Lire et penser

a. La lecture symptomale

L’acte de lire prend, d’emblée, une dimension considérable pour Althusser qui, dans Lire le Capital (titre évocateur), distingue sa propre lecture symptomale des lectures qu’il nomme « religieuses ». S’étant rendu attentif aux ratés, aux non-dits, aux lapsus présents dans l’œuvre de Marx341, il s’agit de ne plus se laisser prendre par le ressac idéologique emplissant ces cases vides. Faute d’avoir élevé au concept la distinction qu’il produit et opère par rapport à ses prédécesseurs, l’auteur du Capital laisserait en effet couler dans son texte deux couches de discours, l’une scientifique, l’autre idéologique : tout ce qui peut être vu comme un effet de cette absence doit être considéré comme les restes de l’idéologie de laquelle Marx n’a pas su se départir tout à fait (que ce soit l’anthropologisme de Feuerbach ou l’idéalisme absolu de Hegel). Une lecture symptomale vise donc à comprendre l’auteur mieux qu’il ne se comprenait lui-même en produisant le concept du décrochage que son œuvre induit dans le milieu idéologique ambiant. Toutefois – outre la difficulté inhérente au geste althussérien qui mobilise le concept marxien de connaissance comme « production » pour comprendre et penser la rupture marxienne342 –, cette attention accrue lors et autour de la lecture n’entraîne-t-elle pas quelques

340 Effets dont Bourdieu montrera la provenance sociologique (raison scolastique, etc.). 341

Ce qui, en apparence, est exactement le genre de lecture que critique Foucault. Sauf que Althusser ne voit pas une intention cachée dans ces lacunes mais le « On » de l’idéologie. Althusser ouvre un champ immense de recherches. Mais il nous semble que, dans ce champ, rares sont ceux qui ont répondu de manière positive aux questions de Sartre : quelle conception de la vérité faut-il proposer pour que ces méthodes curatives ne sombrent pas dans le scepticisme ? Et : « quelle est la structure de notre société qui provoque l’apparition de cet herméneutisme ? » (CM, p. 450).

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« Tour de pensée » que, rappelons-le, nous avons déjà rencontré dans la réflexion foucaldienne concernant la méthode archéologique, et que nous retrouverons dans la tentative sartrienne d’une critique de la raison

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néfastes effets : l’individu capable de séparer la science de l’idéologie n’est-il pas amené à juger ses contemporains – ignorants leur ignorance – du point de vue supérieur du philosophe-roi platonicien ? En outre, n’est-il pas lui-même, en son être et quoi qu’il fasse, un obstacle aux processus effectifs d’émancipation ? Et d’abord, qui est-il ? Et comment est-il devenu le lecteur ? Une fois n’est pas coutume, l’interrogation des effets du primat de la lecture nous ramène vite dans les parages flous des questionnements quant à l’essence de l’influence, quant à l’intellectuel et à son rôle et, enfin, quant à l’efficace de la parole, trois thèmes que nous avons déjà vu poindre auparavant (notamment dans notre critique de la déconstruction derridienne).

Qu’en est-il de cette lecture plus précisément ? Nous l’avons dit, Althusser oppose au paradigme mythico-religieux de la lecture – dans lequel le lecteur « voit » un donné se manifester sous de multiples expressions – une lecture symptomale, capable de voir l’invisible auquel le visible s’oppose pour se construire. L’épiphanie propre au premier type de lecture apparaît sous les traits d’un lien d’évidence s’établissant entre un Sujet et un Objet qui préexistent à ce lien : un Sujet « demande » au texte ce qu’il veut dire et ce dernier « répond » en se hiérarchisant autour d’une essence qu’il exprime. Le second « mode » de lecture considère, au contraire, ce soi-disant « donné » comme un produit conditionné par une structure théorique, seule véritable condition de possibilité du visible et du pensable. Il s’agit dès lors dans ce cas d’une explicitation du lien reliant la vision à la non-vision qu’elle rejette pour s’établir. L’« invisible » est ce qui est exclu par le champ mais qu’il porte au-dedans de lui-même sans s’y arrêter, sans se réfléchir en lui et sur lui. En réalité, l’invisible lui sert à ne pas se regarder et, ainsi, à ne pas voir sa contingence. À nouveau, et à l’instar de ce que Foucault dégageait dans son archéologie, l’évidence subjective et le donné auquel elle « donne accès » se manifestent comme ce qu’ils ne sont pas : loin du « Sujet-voulant-exprimer-quelque-chose-à-l’aide-d’une- série-de-médiations343 », il s’agit d’effets pointant vers une causalité absente qu’ils voilent. Nous pourrions ajouter, instruits de la leçon derridienne, que cette différence entre un mode de manifestation et un mode d’être ouvre, si elle est recouverte, la possibilité d’une forme de violence. La lecture symptomale permet de rétablir l’adéquation entre le mode de manifestation

dialectique dans laquelle Sartre entend montrer et démontrer l’hypothèse de laquelle il part, c’est-à-dire l’identité entre une vie humaine et l’histoire.

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« Sujet », « telos » et « médiations » forment donc une triade solidaire dans la perspective althussérienne. Ces dernières sont comprises comme ce qui permet de rabattre les niveaux les uns sur les autres et donc de ramener tout à l’unité d’une même essence. Nous verrons plus loin que ce qui est critiqué par Althusser, ce n’est pas tant la médiation en tant que telle que l’évidence au cœur de certaines médiations.

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et le mode d’être en indiquant la genèse de l’évidence, c’est-à-dire le mode particulier d’oubli de sa genèse.

La lecture mythico-religieuse étant un effet du champ – ou, plus précisément, la médiation entrainant la reproduction du champ –, il lui est structurellement impossible de faire retour sur l’acte constitutif de ce dernier. Elle a également un impact sur le sujet lisant : effet de champ, il ne peut décider d’opérer la réflexion qui lui permettrait de voir l’invisible344. C’est pourquoi, s’il souhaite opérer le passage vers une lecture symptomale, il n’y a d’autres choix pour lui que de pister les silences, les « retombées idéologiques », etc. C’est cette méthode que Marx aurait lui-même mise en œuvre dans sa lecture des économistes classiques, et c’est ce qu’Althusser entend effectuer, à partir de Marx lui-même, afin de dégager ce que pourrait être la philosophie marxienne. Autrement dit, une lecture philosophique du Capital implique d’appliquer comme méthode l’objet que l’on recherche, à savoir : la philosophie de Marx. Ou, pour le dire encore différemment : lire philosophiquement le Capital exige de le lire selon les principes de la philosophie de Marx, or ces principes sont justement ceux que l’on recherche. Si nous retrouvons l’ambiguïté abordée plus haut, il faut voir, en outre, qu’une telle tentative est amenée à intégrer activement ses propres conditions d’effectuation : l’on ne se contente nullement, en effet, de montrer ce qui est latent chez Marx, mais l’on vise à produire et à transformer ce qui existe déjà en l’adaptant à une fin spécifique. Il s’agit là d’un mouvement très particulier : le processus de production d’une pensée adaptée à nos besoins actuels s’opère à partir de principes que ce processus entend justement dégager345. La recherche n’est autre que la mise en branle de son hypothèse confirmée. Et c’est seulement après avoir dépassé cette étape, c’est-à-dire, c’est seulement une fois en possession de la philosophie de Marx, qu’il devient possible de fournir des principes herméneutiques corrects concernant les grands textes de la tradition marxiste346. La position de Marx est à ce point particulière qu’une lecture interne de son

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Toutefois, une transformation objective des conditions de production de la connaissance pourrait induire une telle réflexion, mais il n’est pas encore certain que ce soit ce sujet qui puisse faire la lecture symptomale. Il semblerait bien plutôt que cette lecture s’érige sur la mort du sujet.

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En ce sens, Althusser anticipe le lien entre archéologie et généalogie qu’à cette époque Foucault ne fait peut- être encore qu’entrevoir.

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Par exemple : dans tel texte de Lénine, quels sont les développements qui dépendent de la conjoncture et quels sont ceux qui ressortissent à la science marxiste ?

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œuvre – type de lecture que, rappelons-le, a défendu Derrida contre Foucault – fournirait la grille permettant de distinguer ce qui vient de la conjoncture et ce qui vient de l’« invisible »347

. b. La production de la connaissance

Ce projet – concevoir la philosophie de Marx – charrie une théorie de la connaissance comme production, théorie s’opposant à la vision empiriste selon laquelle un objet est donné à un sujet, ceux-ci étant considérés comme existant tels quels avant que le procès de connaissance ait été engagé. Ainsi, tout comme la lecture symptomale doit être ramenée à son fondement épistémologique (la connaissance comme production), l’empirisme s’avère être le genre dont la lecture « religieuse » ne serait qu’une espèce. Selon Althusser, la conception empirique du processus de connaissance suppose un sujet dégageant de l’objet une essence et possédant cette dernière. La connaissance divise la réalité en ce qui, en elle, est « essentiel » et en ce qui est « inessentiel » afin de livrer l’essentiel au sujet. Telle une pépite d’or invisible dans sa gangue et qu’il faudrait extraire pour la voir et la posséder, la connaissance se voit comme un procès d’extraction d’une réalité pré-existante et voilée. C’est omettre toutefois que, en réalité, la structure essentielle de l’objet n’est que la trace du processus de connaissance. Oubliant son opération, la connaissance s’auto-justifie à présent en tant qu’extraction de l’essentiel (qui est pourtant son produit)348. Dans ce schème de la découverte ou de l’élimination, « [la connaissance] est donc déjà réellement présente dans l’objet réel qu’elle doit connaître »349. Mais alors, nul doute qu’un processus de pensée rigoureux dans ses déductions butera, à un moment ou à un autre, contre une contradiction, simple effet de cette illusion amnésique. De ce point de vue, tout raisonnement doit se poursuivre jusqu’à ce qu’il parvienne à cette contradiction exprimant l’oubli constitutif de la connaissance (ou, si l’on veut, exprimant une discrépance entre les présupposés de la connaissance et ses prétentions).

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Nous verrons qu’il est de la plus grande importance pour les commentateurs bouddhistes de distinguer, dans l’amas gigantesque d’enseignements, ceux qui dépendent des circonstances (aides contingentes, conseils ad

hominem, etc.) de ceux qui ont une valeur absolue, c’est-à-dire qui demeurent justes et pertinents quelle que soit

la situation. Or pour accomplir cela, il faut être en possession du sens ultime qu’expriment, chacun à leur manière, ces textes.

348 La nécessité de l’oubli de la genèse pour le fonctionnement du processus est présente non seulement dans

l’explicitation épistémologique, dans la lecture religieuse, mais également, comme nous le montrerons, dans la

perception. Althusser qualifierait probablement d’« idéologique » la logique qui s’exprime dans toutes ces

opérations.

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Louis Althusser, Étienne Balibar, Roger Establet, Pierre Macherey, Jacques Rancière, Lire le Capital, Paris, PUF, Quadrige, 2008, p. 36. À présent LC.

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Cette conception qui voit dans la connaissance une autopromotion par l’oubli, a cours, selon Althusser, dans les batailles se déroulant sur le terrain idéologique. En ce sens, l’empirisme, la lecture mythico-religieuse et la causalité expressive (c’est-à-dire la vision d’une cause unique s’exprimant dans divers effets) possèdent bien une forme de positivité. En tant qu’elles rendent compte d’un certain type d’expérience (nous pensons et percevons de cette façon), on ne peut les rejeter purement et simplement comme étant de totales erreurs, mais on doit admettre et penser un fonctionnement local de leurs règles. Toutefois, s’il est vrai que la Science doit sacrifier à l’idéologie chaque fois qu’elle veut prendre parti contre elle (le danger venant à chaque fois du fait que l’on se place sur le terrain de l’adversaire), il lui faut néanmoins d’abord rompre avec elle et contrecarrer toutes les fois où cette localité se prend pour la totalité350. Car, comme le dit Althusser, « si on ne peut pas toujours résoudre un problème qui existe, on peut être assuré qu’on ne peut en tout cas pas résoudre un problème qui n’existe pas »351.

c. Les étapes et les outils de la pensée

Aidé de ces quelques développements, nous pouvons d’ores et déjà tracer à gros traits les étapes d’une pensée. Évoluer en milieu idéologique signifie, pour un processus de pensée, secondariser les conflits et colmater les fissures autant que faire se peut, cela afin de préserver cette certitude d’être une pensée « libre » et « productrice » (et non, « conditionnée » et « reproductrice »). Dérivation et mise en acte de l’auto-justification qui caractérise la pensée empirique, la pensée se vit comme un contact évident à ce qui lui fait face. Toutefois, lorsque s’opère une rupture du cadre idéologique, naît l’obligation de tout redémarrer à un niveau différent : la mutation de la problématique problématise ce qui apparaissait auparavant comme évident. Cette mutation double (mutation de la problématique, mutation de l’objet de connaissance) générée par une rupture, ce mouvement interactif entre un objet, une méthode et un moyen de communiquer et de partager ce mouvement, qu’est-ce sinon la mise en branle d’un mouvement dialectique ? Aussi une philosophie réfléchissant sur les formes de savoir, sur les

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Il s’agit de montrer que le « Réel », ce qui existe, résiste à ce paradigme empirique essentialisant. Comme le dit F. Jameson, « l’histoire n’est pas un texte, ni un récit, maître ou autre, mais, en tant que cause absente, elle nous est inaccessible sauf sous forme textuelle ; notre approche de l’histoire et du Réel lui-même passe nécessairement par une textualisation préalable, par une narrativisation de l’inconscient politique » (op. cit., p. 39). Cette dernière expression (« inconscient politique », objet du grand livre éponyme), indique que F. Jameson est des rares auteurs à avoir pleinement investi le « lacano-marxisme » althussérien.

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processus de production de connaissances et sur leurs interactions, peut-elle, à bon droit, être qualifiée de « dialectique ». Mais il s’agit ici d’une dialectique particulière étant donné que la « contradiction-devenue-apparente »352, fille de l’évidence, n’est pas résolue dans une relève (Aufhebung) mais supprimée, d’abord par la connaissance elle-même, puis par la transformation laborieuse des conditions donnant naissance à cette contradiction. Rompre c’est produire, et produire c’est supprimer un faux-problème. Exprimé dans une terminologie althussérienne, le processus de pensée est, en somme, le suivant : l’utilisation de moyens d’analyse (Généralités II – proches des « notions communes » spinozistes)353

permet de se détacher de l’idéologie (Généralités I – « imagination ») et d’atteindre la Science (Généralités III – « intuition intellectuelle »). Appliqué au cas spécifique de la lecture, ce schéma esquisse le mouvement d’un parcours du texte qui n’évolue pas à partir des notions contradictoires que ce dernier recèle, mais qui, dégageant le plan biaisé d’où naissent toutes ces contradictions, montre en quoi elles résultent d’illusions idéologiques visant à voiler ces contradictions.

La signification véritable de cette « production/suppression »354 ne va toutefois pas sans difficulté : s’agit-il d’un mouvement d’analyse qui, exposant les contradictions de l’idéologie, les fait réellement disparaître ? Ou bien la suppression coïncide-t-elle avec l’érection d’un nouveau système au sein duquel ces contradictions possèdent simplement un autre statut ? En d’autres termes : la production du concret-de-pensée à partir des abstractions empiriques (notions communes) transforme-t-elle les conditions qui donnaient lieu à l’idéologie, ou bien les met-elle simplement sous la lumière d’une connaissance de l’inadéquation du mode d’être et du mode de manifestation ? Une lecture « positive » maintiendrait que la conscience de l’inadéquation du mode d’être et du mode de manifestation ne signifie nullement l’éradication de la manifestation idéologique (comme le voudrait la lecture « négative »), mais simplement celle du poids ontologique qu’elle croit avoir. Dire que la science naît de la « suppression » des apparences

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Contradiction du type de celles que l’on affronte dans ce que nous appelons les modes contaminés de la pensée (dont nous fournirons la définition à l’occasion de notre analyse de L’Imaginaire).

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Mais la nécessité de cette utilisation peut être suspendue à la contingence de bouleversements historiques. Nous avons déjà rencontré cette dépendance lors de notre approche du schème dans la partie consacrée à l’œuvre de P. Descola : seul un état de crise peut, parfois, révéler la présence et l’influence d’un schème intégrateur.

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Althusser, une fois n’est pas coutume, en appelle à Spinoza : dès que l’on possède la « science des prémisses », la « science des conclusions » (qui n’est que l’actualisation du rapport spéculaire selon lequel une prétendue science se donne un objet qu’elle présente comme donné) apparaît comme imaginaire et disparaît. La science des conclusions, « ignorance en acte de ses ‘prémisses’ » (LC, p. 364), n’est autre que l’imagination ou le premier genre de connaissances.

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n’impliquerait dès lors nullement que l’on nie la réalité des apparences en tant qu’apparences et tant que durent les conditions matérielles donnant naissance à l’idéologie. Simplement, elles ne sont pas ce pour quoi elles se donnent et la science dévoile les mécanismes de ce travestissement, rendant ainsi possible une transformation des conditions matérielles. Nous dirons, pour notre part, que la Science (ou Généralités III) restaure et rend transparente la conditionnalité au sein de la pensée, et d’abord celle de la pensée par rapport au réel : en effet, le réel précède la pensée puisqu’elle le suppose (nous sommes proches du raisonnement de la preuve ontologique), mais celle-ci demeure néanmoins une instanciation particulière – dont la caractéristique est la production de connaissances – et autonome au sein du réel. Si restaurer la conditionnalité apparaît comme le seul moyen d’échapper à l’idéalisme et à son complice empiriste, les effets de cette restauration demeurent néanmoins équivoques (comme l’était, mutatis mutandis, l’intuition intellectuelle chez Spinoza).

Il semble, en définitive, que cette difficulté trouve son origine dans l’être ambigu, sinon double, des opérateurs du mouvement de la pensée : les généralités abstraites (ou Généralités II). En effet, du point de vue de l’idéologie, ces opérateurs généraux se construisent à la fois au sein d’une complicité fondamentale et d’un décalage ; du point de vue de la Science, ils sont tout simplement faux et c’est pourquoi ils doivent constamment être ouverts aux améliorations et aux adaptations. Méthode et moyens d’expression visant à produire une connaissance, s’ils sont élevés au rang d’entités pérennes et de catégories permanentes, l’idéologie a alors pris irrémédiablement le dessus. Et c’est précisément le rôle de la philosophie, selon Althusser, que de préserver, au sein de l’idéologie, cette ouverture que produit la Science (ce en quoi il est très proche de Derrida)355. Aussi la philosophie n’a-t-elle, pour lui, ni objet ni histoire puisqu’elle n’est qu’affaire de thèses et de démarcations dans un champ conflictuel en vue de ne pas refermer toutes possibilités de Science. En ce sens, elle n’est pas concernée par une vérité qui serait la norme transcendante du champ, mais par l’à-propos ou la justesse au sein de ce champ, justesse que l’on atteint par une harmonisation avec les coordonnées de la situation. Qu’est donc, dès lors, cette philosophie sinon, de nouveau, un art stochastique ? La pensée d’un philosophe, effet de sa position dans le champ, n’est rien sinon son analyse de ce champ et de cette position

355 À ce détail près que, pour Derrida, la philosophie, quoi qu’elle fasse, est elle-même fermeture. Son devoir

consiste alors « uniquement » à laisser ouverte la possibilité que l’expérience qui l’innerve puisse la transpercer à nouveau.

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afin de rendre possible le mouvement scientifique356. Cela fait de la philosophie une pensée différentielle, n’existant qu’à sentir son positionnement par rapport à d’autres pensées. Son propre est la différence en quoi elle consiste et qu’elle incarne au sein de la situation. La